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Actualités - CHRONOLOGIE

Les manifestants protestaient contre l'interdiction de l'interview du général à la MTV Heurts entre FSI et aounistes à Achrafieh Une soixantaine de personnes interpellées (photos)

Lég. A

Après avoir tenté de percer la barrière humaine formée par la brigade anti-émeute à une cinquantaine de mètres de la MTV, M. Hikmat Dib, secrétaire général de l’Ordre des ingénieurs (au centre), est stoppé par les agents et battu à coups de matraque.

Lég. B

Les jeunes manifestants brandissaient des portraits du général Aoun en scandant... «Liberté, souveraineté, indépendance».
(Photos Ibrahim Tawil)
Quel «danger» peut représenter pour «la sécurité nationale» un sit-in de protestation contre l’interdiction d’une interview télévisée du général Aoun? Dans l’état actuel des choses, il serait absurde de trop réfléchir à la question et encore plus d’essayer de comprendre pourquoi des jeunes manifestants ont été maltraités hier soir à Achrafieh lorsqu’ils ont essayé de faire valoir un droit que la Constitution garantit pourtant aux Libanais: la liberté d’expression. Le quartier populaire de Fassouh ressemblait davantage à un champ de bataille qu’à une paisible zone résidentielle après les heurts qui se sont produits entre les FSI et des partisans du général Michel Aoun, indignés et furieux parce que l’interview de leur leader (qui était supposée être diffusée hier en direct sur la MTV) a été interdite par le ministère de l’Information.
Parmi les partisans du général Aoun, plusieurs dizaines ont été interpellés, alors que d’autres étaient battus. Les échauffourées se sont soldées par au moins un blessé, un avocat, Georges Haddad, qui a eu un bras fracturé et qui a été admis à l’hôpital el-Arz. Il devait repartir tard en soirée après avoir reçu les premiers soins.
Les jeunes aounistes brandissaient des portraits du général Michel Aoun et des banderoles reproduisant le texte de l’article 19 de la Charte des droits de l’homme sur la liberté d’opinion et d’expression.
L’interdiction de l’interview du général Aoun avait provoqué un tollé dans les milieux politiques et aurait même été désapprouvée par le chef de l’Etat, M. Elias Hraoui. Les incidents d’Achrafieh pourraient provoquer les mêmes réactions de réprobation. Si les jeunes aounistes avaient été autorisés à organiser le sit-in, l’affaire aurait été vite oubliée et n’aurait pas pris une telle dimension. Il faut préciser que de nombreux passants, même des femmes âgées, ont rejoint les rangs des manifestants scandant des slogans anti-étatiques, après avoir constaté l’imposant dispositif de sécurité établi autour des locaux de la MTV à Fassouh.

Par petits groupes

Il est 19h: les rues d’Achrafieh grouillent de piétons qui, profitant d’une belle soirée de fin de week-end, flânent dans les ruelles décorées pour les fêtes de fin d’année. Aucune tension n’est perceptible et les piétons ne semblent même pas se rendre compte de la présence de soldats de l’armée et des Jeeps des FSI dans le secteur de la place Sassine. La présence des forces de l’ordre se justifie par le fait que les manifestants s’étaient donné rendez-vous à 18h 30 devant les locaux de l’ICN. Il est 19h et l’entrée de l’immeuble est vide. Par contre, plusieurs petits groupes de jeunes se sont formés sur les trottoirs: on échange quelques mots et on prend le plus normalement possible le chemin de Fassouh, en ayant soin de garder une distance d’une vingtaine de mètres entre un groupe et un autre. De temps à autre, des sifflements résonnent: on s’interpelle, on se concerte sur la voie à prendre. Les portraits du général Aoun sont cachés sous les pulls. Les jeunes aounistes avaient décidé depuis jeudi d’organiser le sit-in devant la MTV. Des partisans du président Amine Gemayel devaient les rejoindre, venant de Bickfaya.
Arrivés au niveau du Collège La Sagesse, il devient difficile de gagner Fassouh. Les FSI quadrillent le secteur bouchant tous les accès. Les plus hardis poursuivent leur chemin en bavardant, en parfaits promeneurs du dimanche.
C’est en empruntant les rues secondaires qu’ils finissent par arriver à cinquante mètres des locaux de la MTV. L’accès en est bouché par des agents de la brigade anti-émeute, armés jusqu’aux dents et formant un bloc humain devant une autopompe. Comme un seul homme, les manifestants se mettent à gesticuler, brandissant d’une main les portraits de «leur» général, et faisant de l’autre le signe de la victoire en criant: «Liberté, souveraineté et indépendance», sur fond du célèbre «taratata» klaxonné par les voitures qui tentaient difficilement de se frayer un chemin à travers une marée humaine en délire. Une voiture diffuse à l’aide d’un haut-parleur un des hymnes composés pour le général Aoun lors de la guerre dite de libération. Les agents regardent faire, immobiles. Si certains semblent franchement hostiles, d’autres ont l’air littéralement ailleurs, bavardant avec leurs collègues. Un officier tente de parlementer avec M. Hikmat Dib, secrétaire général de l’Ordre des ingénieurs, et un des cadres du courant aouniste. Il l’implore presque: «Croyez-moi. Je ne veux pas qu’un mal vous arrive. Pour l’amour de Dieu, dispersez-vous». «Nous voulons seulement arriver jusqu’à l’immeuble de la MTV», lui répond M. Dib. L’officier parlemente encore, sans succès. Un agent de police tente de frapper un manifestant qui essaie de percer en hurlant la ceinture humaine formée par les forces de l’ordre. Un de ses collègues lui saisit le bras à temps. Entre-temps, une Peugeot blanche conduite par une jeune femme passe et s’arrête à quelques mètres des manifestants. Une vieille dame, petite et frêle, en descend et rejoint les manifestants le poing levé. Plus tard, lorsque l’échauffourée commencera, elle s’en prendra, furibonde, à l’un des agents: «Vous n’avez pas honte, c’est honteux, honteux. Vous fermez l’œil sur ce qui se passe à Baalbeck et vous vous en prenez à des gens pacifiques. C’est une honte!». L’agent l’ignore. Il a d’autres chats à fouetter.

«Syrie dehors»,
«Non au Parlement»

Les cris des manifestants ne parviennent pas à couvrir les bruits de bottes. Trois rangs d’agents de la brigade anti-émeute s’avancent au pas cadencé, le visage caché sous des casques à visière, un bouclier en main et une matraque dans une autre. Leur mouvement ne fait qu’enflammer les protestataires qui se ruent sur eux en criant de plus belle «Syrie dehors», «Non à un Parlement à la solde de la Syrie». Ils se heurtent à une première ceinture humaine. Les policiers tentent de les disperser en les aspergeant d’eau, mais ce sont leurs collègues qui s’efforçaient de les retenir qui reçoivent le jet. Hikmat Dib s’avance vers un des policiers en hurlant «Laissez-nous passer». Trois policiers l’agrippent et il disparaît sous un tas de boucliers et de matraques levés. Personne ne fait attention au bruit de deux détonations. Soudain l’air devient irrespirable. On a du mal à respirer et à avaler. La police a lancé deux grenades lacrymogènes. Les manifestants battent en retraite en criant toujours, pourchassés par les policiers. Certains parmi ceux qui sont attrapés sont violemment roués de coups avant d’être conduits vers les fourgons postés un peu plus loin. Curieusement, un agent protège un des manifestants de la colère d’un autre policier. Le spectacle est surréel. Dans la voiture qui diffusait les chants, un des partisans du général Aoun s’adresse directement aux agents à l’aide de son haut-parleur. «Vous êtes nos frères. Nous ne voulons pas nous battre avec vous. Comprenez-nous». Mais la police ne l’entend pas de cette oreille. Trois agents le tirent du véhicule et lui assènent des coups de matraques avant de l’emmener.

Une soixantaine de
personnes interpellées

Dix minutes plus tard, les rues sont vides. La police boucle toujours les accès des locaux de la MTV. On apprend qu’une soixantaine de personnes ont été interpellées, dont le fils de l’ancien bâtonnier Chakib Cortbawi, Wadih Cortbawi. Parmi les personnes interpellées, le secrétaire général de l’Ordre des ingénieurs, M. Hikmat Dib, deux avocats, Georges Haddad et Elie Atallah, tous deux membres du conseil de l’Ordre, ainsi que Dany Aoun, Georges Rabahieh, Tony Moukheiber, Chafic Sassine, Wassim Saab, Tony Otayeck, Ziad Abs, Aline Germani, Pierre Hayeck, Rabih Traboulsi, Patrick Khoury, Georges Sawma, Rita Keyrouz, Michel Keyrouz, Houssam Onaissi, Tony Harb, Georges Atallah, Bassam Lteif, Nizar Khoury, Gilbert Chahine, Rami Semaan, qui avaient été tous emmenés au poste de gendarmerie d’Achrafieh. M. Chakib Cortbawi, ainsi que le bâtonnier Antoine Klimos se sont rendus tard en soirée au poste de police, où les parents attendaient anxieusement d’avoir des nouvelles de leurs enfants. Ces derniers devaient passer la nuit sur place parce qu’il n’a pas été possible de joindre les procureurs généraux de Beyrouth, selon M. Cortbawi qui a vivement protesté. «C’est bien cela l’Etat de droit. Voyez donc les grands criminels du pays», a-t-il fulminé, en faisant remarquer que parmi les personnes interpellées, pour la plupart des universitaires, figurent un médecin de l’AUB, le Dr Rami Serhal, deux professeurs de Jamhour, des ingénieurs et des architectes. M. Cortbawi a noté que les jeunes aounistes sont bien traités à la gendarmerie où ils sont détenus dans trois salles, tout en tirant à boulets rouges contre l’Etat. Défenseur acharné des droits de l’homme, l’ancien bâtonnier doit commenter dans les prochaines heures les incidents d’hier. L’affaire pourrait être loin d’être terminée.
Tilda ABOU RIZK

Lég. AAprès avoir tenté de percer la barrière humaine formée par la brigade anti-émeute à une cinquantaine de mètres de la MTV, M. Hikmat Dib, secrétaire général de l’Ordre des ingénieurs (au centre), est stoppé par les agents et battu à coups de matraque.Lég. BLes jeunes manifestants brandissaient des portraits du général Aoun en scandant... «Liberté,...