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Actualités - REPORTAGE

Pour le cinquantenaire de l'Institut de Chemlane Une trentaine d'anciens en pèlerinage...

Chemlane est un petit village du Chahhar al-Gharbi, célèbre depuis qu’il a abrité, entre 1947 et 1978, l’Institut anglais du Moyen-Orient pour les études arabes. Le jubilé d’or du transfert de cette institution au Liban, ne pouvait que se fêter sur place. Ainsi, l’Association des anciens de Chemlane, présidée par Sir James Craig, a organisé un voyage auquel se sont joints une trentaine d’anciens accompagnés de leurs épouses. Chemlane, collège pour l’enseignement des langues et des civilisations arabes ou «école d’espions»... un tour d’horizon en arabe…
Des cheveux blancs comme neige, d’épais sourcils qui protègent de leurs broussailles une paire d’yeux pétillants de malice, la bonhommie qu’affiche Sir James Craig est spontanée. Le jubilé d’or, c’est à la fois pour célébrer les cinquante ans de la création de l’institution et pour fêter Beyrouth… «Nous avons ainsi, voulu marquer un attachement», souligne James Craig. «Nous n’avons pas uniquement étudié la langue. Nous avons appris à aimer la société arabe, sa culture, sa civilisation». Des liens se sont tissés. A Chemlane, le groupe a retrouvé «avec émotion» de nombreux amis. «Nous nous sommes tous regroupés au restaurant as-Sakhra, qui n’est évidemment plus le petit boui-boui auquel nous nous rendions à l’époque», commente James Craig.
L’Institut du Moyen-Orient pour les études arabes a été créé en 1944, à Jérusalem. «En raison des tensions croissantes que connaissait la Palestine, non encore partagée; à cause des dangers qui pesaient sur les ressortissants anglais, il a été décidé de transférer l’Institut à Chemlane en 1947». Le choix de Chemlane s’est fait pour diverses raisons: «C’est un village à la fois isolé et pas trop loin de la ville. Cela offre un double avantage: nos étudiants se consacrent en semaine, à leurs études, ne profitant des distractions de Beyrouth qu’en week-end. Ensuite, dans un village, ils ont beaucoup moins de chance de rencontrer quelqu’un parlant l’anglais, ils étaient donc obligés de pratiquer l’arabe». Dans un premier temps, l’Institut a occupé deux immeubles appartenant aux Moukaddem, cheikhs druzes du village. «Ces locaux étaient beaux mais inconfortables. Nous avons déménagé douze ans plus tard, en 1959, pour nous installer dans des bureaux plus vastes et plus modernes, chez Eddy Hitti».

Divergence...

Mais la guerre qui balaie tout sur son chemin, contraint l’Institut à fermer ses portes en 1978. Aujourd’hui, les cours théoriques dispensés à Londres sont complétés par un stage pratique de six mois en Egypte. «Il y a peu de chances de rouvrir l’Institut dans la région», indique James Craig. «C’est une ancienne divergence de vues entre les Finances et les Affaires étrangères. Au ministère des Finances, plutôt regardant sur les dépenses, on a toujours critiqué l’implication du gouvernement dans l’enseignement. Aux AE, on soutient que les études linguistiques, qui englobent bien plus qu’une langue, sont plus efficaces si elles sont entreprises sur place». Craig est convaincu pour sa part, «qu’il est nécessaire d’enseigner l’arabe sur place, aux employés-étudiants appelés à travailler dans la région».
L’Institut du Moyen-Orient pour les études arabes comptait une vingtaine d’étudiants en 1947. «Nous en avions une soixantaine par an, vers la fin», souligne James Craig. «La durée d’un cycle était de dix mois. Au début, nous n’accueillions que des Britanniques, employés du ministère des AE, officiers de l’armée, ressortissants du Commonwealth. A la fin des années cinquante, les cycles sont devenus accessibles à toutes les nationalités». Et il remarque amusé, qu’il leur arrivait même d’accueillir «des employés du Quai d’Orsay». Outre les formations longues, l’Institut organisait des cycles courts, «à l’adresse des employés des firmes internationales travaillant dans le commerce, le pétrole ou l’industrie». Quant aux enseignants, «nous les recrutions sur place. Dans un premier temps, les collaborateurs palestiniens nous avaient suivis à Chemlane. Le staff s’est petit à petit libanisé». L’encadrement était bien entendu anglais.

«Nid d’espions»...

L’Institut de Chemlane s’est taillé, au fil des ans, la réputation d’être un nid d’espions. On se souvient notamment, des virulentes attaques de Kamal Joumblatt. A cette évocation, James Craig se montre plutôt amusé. Il soutient que de «telles allégations ne sont pas sérieuses. Pensez-vous que si nous avions voulu former des espions, nous aurions engagé des enseignants étrangers, et nous aurions accueilli des étudiants de toutes nationalités?». Il relève, cependant, que «peut-être parmi les étudiants envoyés par le ministère des AE, il y avait des personnes pas très nettes. En 1961, un des étudiants, un certain Black, appartenait au service de renseignements ou d’espionnage. Mais, on lui a mis la main dessus car il travaillait pour le compte de l’Union soviétique»…
A défaut d’espions, Chemlane a formé nombre d’employés du ministère des AE anglais: «Actuellement, les trois plus importants fonctionnaires de ce ministère: les directeurs général, politique et administratif sont issus de Chemlane. Il en va de même pour le directeur des services secrets et pour celui du Conseil culturel du Royaume». Ainsi que des ambassadeurs et des consuls: «L’actuel ambassadeur américain à Damas, l’ambassadeur japonais au Caire, douze ambassadeurs anglais en poste au Moyen-Orient…».
L’Association des anciens compte, aujourd’hui, quelque 360 membres de différentes nationalités.

Diplomatie

Destin ou hasard, Craig est venu à l’arabe plus par goût des langues en général que par affinité avec une civilisation en particulier. Quand il rentre de la guerre en 1945 et qu’il cherche à intégrer Oxford, département des langues, il n’y a que la section arabe qui lui ouvre ses portes. «Je ne connaissais rien à la langue ou au monde arabe». L’éminent orientaliste auprès duquel il s’inscrit, l’envoie apprendre les bases linguistiques pendant deux mois. Ensuite, pour le familiariser avec cette langue, il lui recommande de lire l’introduction d’Ibn Khaldoun. «Un pavé où les pages ressemblent aux pages, où il n’y a aucune césure, et bien sûr pas d’accentuation...», se souvient-il. Ses études terminées, il est nommé assistant professeur dans une université du nord de l’Angleterre. «Après sept ans, le ministère des Affaires étrangères m’a emprunté pour une période de trois ans, pour m’envoyer professer à Chemlane». C’est en 1955. «Jusqu’en 1958, j’ai été le président des enseignants de l’Institut». Son passage à Chemlane lui fait l’effet d’une révélation. James Craig démissionne de l’enseignement et embrasse la carrière diplomatique. «Je suis revenu à Beyrouth en 1964, comme premier secrétaire de l’ambassade britannique. J’y suis resté jusqu’en 1967». Il a été, par la suite, ambassadeur en Syrie, en Arabie Séoudite…
Pour James Craig, apprendre la langue arabe c’est satisfaire une curiosité et une soif. «C’est comme s’il vous était donné à vous, en tant que femme, de vous introduire dans une société d’hommes, d’en comprendre les mécanismes et les subtilités mais sans que quoi que ce soit dans votre physique ou dans votre langage ne vous distingue de ces hommes. Ils m’acceptaient, j’étais un des leurs»… Un «espion» d’une autre espèce…

Aline GEMAYEL
Chemlane est un petit village du Chahhar al-Gharbi, célèbre depuis qu’il a abrité, entre 1947 et 1978, l’Institut anglais du Moyen-Orient pour les études arabes. Le jubilé d’or du transfert de cette institution au Liban, ne pouvait que se fêter sur place. Ainsi, l’Association des anciens de Chemlane, présidée par Sir James Craig, a organisé un voyage auquel se sont...