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Actualités - CONFERENCES INTERNATIONALES

Le Liban à la conférence euroméditerranéenne du Luxembourg Promouvoir dans l'enseignement l'altérité et le dialogue

Sous l’égide de la présidence du Conseil de l’Union européenne, assumée actuellement par le Luxembourg, une conférence internationale a réuni au Luxembourg du 3 au 5 novembre 1997 des décideurs, chercheurs et éducateurs de 27 pays euroméditerranéens autour du thème: «La perception de l’autre dans le domaine de l’enseignement». Les deux participants libanais, les professeurs Antoine Messarra et Zouheir Hatab, ont participé aux travaux. Nous présentons ci-dessous une synthèse de la conférence du professeur Messarra qui s’est proposé d’expliciter et de considérer le volet culturel de la Déclaration de Barcelone qui a jeté les bases du partenariat euroméditerranéen.
La conférence internationale organisée à Mondorf-Les-Bains (Luxembourg) du 3 au 5 novembre 1997 avec la participation de 27 pays euroméditerranéens sur le thème: «La perception de l’autre dans le domaine de l’enseignement» constitue un acte fondateur pour l’étude et l’action en ce qui concerne le volet culturel de la Déclaration de Barcelone du 27-28 novembre 1995.
Le ministre tunisien de l’Education nationale, Ridha Ferchiou, souligne dans son exposé introductif: «La Déclaration de Barcelone a été abordée sous les deux angles politique et économique, alors que son volet culturel est à la base de la construction européenne et du partenariat euro-arabe». Le secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, au Commerce extérieur et à la Coopération au Luxembourg, Georges Wohlfart, relève que «sur le volet culturel nous n’avons pas fait des progrès». Comment donc promouvoir la compréhension mutuelle, le dialogue interculturel et un «épanouissement pluriel» (Ridha Ferchiou) entre les pays du bassin méditerranéen qui ont été «berceau de civilisations et aussi berceau d’affrontement» (Mohammad Charfi) ou des «adversaires intimes» (Jean-Paul Lehners).
La conférence, qui se situe dans le cadre de la présidence de l’Union européenne assumée actuellement par le Luxembourg, vise à identifier les domaines susceptibles de favoriser le dialogue entre les cultures, à promouvoir la coopération multilatérale dans le domaine de l’enseignement et surtout à «donner une impulsion à des projets d’avenir», comme le souligne Georges Wohlfart, secrétaire d’Etat au Luxembourg.
Les communications introductives, les travaux des ateliers et les débats ont été centrés sur les objectifs d’une éducation à l’altérité dans le contexte euroméditerranéen, les obstacles à la perception positive de l’autre, et les stratégies éducatives et culturelles d’avenir.
«Un rideau de fumée, souligne-t-on, enveloppe la perception exacte de l’autre». En conséquence, «sortir du carcan identitaire» (Mohammad Charfi), assurer «une représentation plus équilibrée des civilisations dans les manuels d’histoire» (G. Wohlfart), «concilier le global et le particulier» (Ridha Ferchiou) sont les principales finalités d’une éducation à l’altérité. Ces finalités impliquent, comme le souligne dans son exposé introductif le ministre de l’Education nationale et de la formation professionnelle au Luxembourg, Erna Hennicot-Schoepges, «l’élaboration de programmes pour mieux intégrer l’altérité à l’enseignement de l’histoire, la promotion d’attitude d’honnêteté, de rigueur intellectuelle, de courage civique et de tolérance, des attitudes pour démontrer les préjugés, et donc un recul des enseignants par rapport à leur système de normes: il faut certes accepter la différence, mais la différence relève plus de l’ordre du fait et moins de la valeur. Il faut éviter de considérer la différence intouchable, car apprendre c’est aussi changer, passer d’un état à un autre. Le dilemme est de changer sans se renier, de s’impliquer dans une dynamique de transformation mutuelle et une culture de dialogue».
Il découle de cette approche la nécessité d’acquérir «le sens de la relativité et de la pondération, le respect et le souci de la concertation, évitant la pensée unique qui équivaut à une pensée inique» (Ridha Ferchiou). Plus encore, il faudrait «une nouvelle philosophie de l’enseignement orientée vers la connaissance et la compréhension de l’autre» (Mohammad Charfi).
Tout un arsenal de préjugés, véhiculés par les manuels d’histoire, d’éducation civique, de littérature, de religion, et aussi par le comportement des enseignants dans les pays euroméditerranéens doit être démonté. Dee par les manuels est démentie par celle puisée du milieu et du vécu des jeunes. Dans un pays européen, «une école de l’indifférence et du silence a souvent ignoré la présence d’élèves étrangers en classe» (Antonio Perotti).
En ce qui concerne l’enseignement de l’histoire, on déplore «qu’à propos d’un même événement enseigné dans deux pays, on dirait qu’il ne s’agit pas du même événement et que les auteurs veulent continuer la guerre. Pourquoi ne présentent-ils pas les diverses versions?» (Mohammad Charfi). On déplore aussi «le triomphalisme dans la présentation des faits», «le passéisme dans la présentation de la civilisation arabe, évitant presque toujours le monde arabe au présent». On déplore aussi le fait que «des franges du passé sont reléguées dans un no man’s land historique» (Hassan Arfaoui). On relève aussi que «les relations euro-arabes sont plus centrées sur le conflit que sur l’échange en période de paix, une histoire antagoniste étant la règle avec une démonisation de l’autre». Or, en qui concerne du moins la décolonisation, une analyse plus profonde montre que la décolonisation n’a été possible que grâce à des forces libérales en Europe.
Une histoire tronquée ou truquée est facteur d’aliénation culturelle. Bien souvent «l’histoire d’un pays africain ou arabe devient l’histoire des Anglais en Afrique ou des Européens dans les pays arabes». Le délégué maltais relève: «Je connais mieux la Grande-Bretagne que l’Afrique du Nord qui est à 8 kilomètres des frontières de Malte» (Ronald Sultana). En outre le décalage entre le contenu des manuels et le vécu entraîne une schizophrénie: «On apprend à l’école le contraire de ce qu’on vit» (Mohammad Charfi).

En ce qui concerne l’enseignement de la religion, il y a souvent une ignorance de l’autre religion, une exclusion explicite ou implicite, ou une déformation de la réalité historique qui montre que «gouverner au nom de la religion, c’est gouverner de manière autoritaire» (Mohammad Charfi).
Autre obstacle à l’éducation interculturelle: le carcan identitaire ou «la conception immobile de l’identité». Il ressort de certaines interventions qu’il faudrait «parler d’identité de façon dynamique» (Gema Martin-Munoz), «chaque être humain étant la composante de plusieurs identifications» (Aglaia Zafirakos). En outre, l’identité «ne peut être réduite à un ensemble de composantes ethniques» (Antonio Perotti). L’exemple libanais de respect des particularismes et d’unité montre «la confrontation entre les identités peut être re-création d’une synthèse».

Les conflits de territoire et d’espace, au sens à la fois matériel et symbolique, est un obstacle à l’altérité harmonieuse. Or l’espace au Moyen-Orient se trouve être envahi ou mal délimité (Hassan Arfaoui). Dans un système consensuel de gouvernement, l’empiétement sur les limites du système entraîne des réactions de peur et de rejet de l’autre en tant que menace. Nombre de participants de la rive sud de la Méditerranée ont aussi le sentiment, peu favorable à un échange harmonieux, que «le transfert s’opère de façon unilatérale, du Nord vers le Sud».
Les principes d’une éducation à l’altérité sont universels en raison de l’unité de la nature humaine et des valeurs humaines fondamentales. Par contre, les stratégies et les applications éducatives plongent dans la spécificité en raison de la disparité des structures mentales, des traditions, des coutumes, des conditions socio-économiques et de la multiplicité des moyens de transmission du message en vue de son inculturation dans le vécu des peuples et leurs comportements.
Il ressort des débats que toutes les disciplines doivent contribuer à une stratégie qui ne se limite pas au contenu de l’enseignement, mais doit recourir à des méthodes qui favorisent l’échange et la concertation. Il faudra aussi «investir dans la jeunesse et engager une politique durable de programmes éducatifs et culturels», adopter des curricula optionnels qui motivent les gens (Aglia Zafirakos). En outre, tous les arts sont des véhicules privilégiés de valeurs humaines. Mais pour que les contenus des programmes soient facteur de changement d’attitudes, il faudra qu’ils suscitent la conviction intime des jeunes et donc qu’il soient crédibles. Une clause à ce sujet figure dans le projet d’amendement des programmes élaboré par le CNRDP.
Une attention particulière a été portée sur les manuels d’histoire dans les 27 pays participant à la conférence. On souligne que «les stéréotypes de l’autre exigent une révision des historiographies nationales» (Françoise Henry-Lorcerie). Loin d’occulter ou de supprimer ce qui est négatif, il faudra «laisser une place à l’énoncé d’une divergence de sorte que l’autre point de vue ait sa place», «donner de multiples versions des événements qui nous tracassent (Jean-Paul Lehners), présenter les conflits du passé dans toute leur réalité, mais en termes de coût, de sorte que les souffrances et les pertes engendrent un traumatisme salutaire. On propose même «un droit de regard sur l’enseignement de l’histoire dans un autre pays».
Le concept de culture religieuse, distinct de l’enseignement religieux, retient l’attention, car l’ignorance engendre des préjugés. On parle même de «smig culturel» indispensable à toute personne. Mais il faudra exposer les données rudimentaires de l’autre religion avec authenticité, «comme si on était pour un temps un adepte».
Des recherches opérationnelles sont proposées, afin «d’expurger les manuels des contenus stéréotypés» et pour dresser une nomenclature des préjugés et stéréotypes dans l’espace culturel euroméditerranéen. On propose aussi une relecture du patrimoine culturel arabe pour en puiser des valeurs compatibles avec les droits de l’homme et l’élaboration de guides et de matériel didactique dans les divers pays.
On propose plus de discernement dans le vocabulaire, évitant par exemple tel titre d’un journal: «Partir en croisade contre le chômage» et «l’enseignement des langues avec leurs référents culturels», la «dynamisation et le renouvellement de l’enseignement des langues d’origine» et des bains culturels à l’étranger pour les enseignements linguistiques.
Une stratégie éducative en vue de l’altérité exige que «les enseignants soient des partenaires impliqués» (Domenico Lenarduzzi), «qu’ils soient capables d’analyser l’actualité de la zone et qu’ils se positionnent dans le dialogue euroméditerranéen». Afin de crever l’écran des comportements xénophobes, il faut une observation directe des attitudes et des comportements. On propose l’élaboration d’un code de déontologie pour les enseignants et la formation des enseignants par leur participation à des projets concrets et à la production de matériel didactique.
On propose aussi le jumelage entre des établissements du Nord et du Sud, «la socialisation de l’espace scolaire» et l’effort pour que «l’école devienne le milieu de référence». Dans les échanges, il faudrait «des spécialistes modestes du Nord qui ne viennent pas dire à ceux du Sud ce qu’ils ont à faire, car le Nord a beaucoup à apprendre du Sud sur la gestion du pluralisme culturel». On cite cette phrase de Hugo dans la Préface des «Contemplations». «O insensé qui croit que je ne suis pas toi», et cette réflexion de Saint-Exupéry: «Si tu diffères de moi mon frère, loin de m’agresser, tu m’enrichis».
Le texte final de la conférence comporte cinq volets d’action: l’information et la documentation, la recherche et l’analyse, la production de matériel didactique, la formation des enseignants, et l’échange multilatéral. La rencontre «n’a pas été un forum de débat entre une poignée d’experts, ni un événement isolé» (Jean-Paul Lehners). La conférence, sous la présidence Luxembourgeoise de l’Union européenne, pourrait être considérée comme la première portant sur le volet culturel de la Déclaration de Barcelone qui implique un processus «à la fois novateur et global». Il est précisé dans la Déclaration que «le dialogue et le respect entre les cultures et les religions sont une condition nécessaire au rapprochement des peuples» et qu’il faudra œuvrer en vue du «respect de la diversité et du pluralisme».
Le Liban, grâce à sa riche expérience historique, sa gestion du pluralisme communautaire et son unité que les démarcations durant des années de guerre n’ont pas réussi à briser, pourra apporter une contribution originale aux travaux internationaux sur la gestion du pluralisme, travaux dont la valeur déborde le cadre de notre pays. Une entreprise nationale et pionnière de rénovation des programmes d’enseignement est actuellement en cours au Liban, dans le cadre notamment de l’Education civique, et cela avec la participation des forces vives de la société et au sein du Centre national de recherche et de développement pédagogique.
Sous l’égide de la présidence du Conseil de l’Union européenne, assumée actuellement par le Luxembourg, une conférence internationale a réuni au Luxembourg du 3 au 5 novembre 1997 des décideurs, chercheurs et éducateurs de 27 pays euroméditerranéens autour du thème: «La perception de l’autre dans le domaine de l’enseignement». Les deux participants libanais, les...