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Actualités - CONFERENCES INTERNATIONALES

A l'occasion de la création de l'Institut des droits de l'homme au Liban Conférence internationale sur la réforme du système pénitentiaire

Il peut paraître absurde de parler des droits des prisonniers dans un pays où ceux de l’homme «libre» sont le plus souvent bafoués. Mais pour sa première manifestation publique, depuis sa création il y a quelques jours, l’Institut des droits de l’homme — présidé par le bâtonnier en exercice et ayant Me Georges Assaf pour président — a choisi d’organiser une conférence internationale sur le thème de la réforme du système pénitentiaire. Un thème courageux, vu la situation désastreuse des prisons au Liban, de l’aveu même du président de la commission parlementaire des droits de l’homme, le député Michel Moussa.

Des bâtiments délabrés, des prisons surpeuplées, des prisonniers condamnés à de lourdes peines, côtoyant d’autres qui, en principe, n’en ont que pour quelques mois, des maisons d’arrêt bondées qui, contrairement à la loi, gardent leurs pensionnaires pendant plusieurs jours, voire pendant des semaines et surtout un budget insuffisant pour tout projet de réforme radicale, le constat fait hier par les nombreux intervenants est assez désolant. C’est d’ailleurs ce qui pousse le ministre de la Justice, M. Bahige Tabbarah, à œuvrer en vue de rattacher l’administration pénitentiaire à son propre ministère. De plus, le directeur général du ministère de la Justice, M. Wagih Khater, a présenté hier un plan de réforme global du système pénitentiaire, tel que le conçoit son ministère, alors que l’adjoint du directeur de l’Administration pénitentiaire française, M. Rébeillé-Borgella, a exposé l’exemple français.
Bilan de la première journée: des constats lucides, des déclarations de principe, des projets optimistes, et surtout le discours d’ouverture du bâtonnier Chakib Cortbawi — qui restera sans doute dans les annales du Barrreau comme l’un des bâtonniers les plus dynamiques- qui a expliqué que «les droits de l’homme ne peuvent être protégés par des slogans et des discours pompeux. Il faut des actions concrètes et c’est pourquoi nous avons créé cet institut, dont la principale mission sera d’informer les hommes de loi et les avocats, ainsi que l’opinion publique de tout ce qui concerne les droits de l’homme...». Le bâtonnier, en avocat des grandes causes, a ensuite soulevé le problème des détenus libanais en Israël, privés de leurs doits élementaires et traités de «terroristes» ainsi que ceux qui se trouvent en Syrie et qui devraient être jugés au Liban, en respect au principe de souveraineté de l’Etat.
Hier, à la salle de conférences du siège de l’Ordre des avocats de Beyrouth, le parterre était particulièrement impressionnant: des magistrats, à leur tête le président du CSM, M. Mounir Honein, des avocats, mais aussi Mme Nayla Moawad, présidente de la commission parlementaire des droits de l’Enfant, M. Michel Moussa, président de la commission parlementaire des droits de l’homme et, bien sûr, le ministre de la Justice, M. Bahige Tabbarah, sans oublier les ambassadeurs de France, M. Daniel Jouanneau, et du Canada, M. Daniel Marchand, et enfin, les nombreux intervenants étrangers, dont le président du CICR au Liban, M. Jean-Jacques Frésard.
Les discours d’ouverture donnent déjà le ton. Après l’allocution du bâtonnier Cortbawi, c’est M. Michel Valticos, de l’Union internationale des avocats, qui a pris la parole pour expliquer que la conception de la prison a évolué et que désormais, elle n’a plus seulement un rôle répressif, mais aussi un rôle éducatif. Désormais, selon lui, il y a des normes internationales pour le traitement des détenus, qui doivent être intégrées aux législations nationales. L’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants en font notamment partie. Ainsi que les droits essentiels de la défense, en particulier le droit à l’assistance d’un avocat indépendant, choisi par le prévenu, et celui de s’entretenir librement avec lui. Pour M. Valticos, ces règles ont un fondement commun: respecter la dignité des prévenus, afin que les conditions de détention d’emprisonnement leur permettent de retrouver leur place dans la société, au lieu de les amener à récidiver.
Le chef de la délégation de la Commission européenne au Liban, M. Dimitris Kourkoulas, a souligné le fait que «le respect des droits de l’homme constitue l’un des éléments essentiels de l’appartenance d’un pays à l’U.E» Et, selon lui, le nouveau traité sur l’U.E., signé à Amsterdam mais pas encore ratifié, va encore plus loin. Il prévoit notamment que si le Conseil européen constate l’existence d’une violation grave et persistante des principes du respect des droits de l’homme par un pays membre de l’U.E., celui-ci pourrait être privé de son droit de vote au sein de l’Union. Enfin, les accords euro-méditerranéens prévoient le respect des principes démocratiques et des droits fondamentaux de l’homme...
Ce fut ensuite le tour de M. Jean-Pierre Laborde (de la division de la prévention du crime à l’office des Nations Unies à Vienne) de prendre la parole. M. Laborde, avec son collègue, M. Schmidt, sont au Liban en mission, à la demande du gouvernement libanais, le premier pour présenter un projet de lutte contre la corruption et le second pour améliorer la situation des jeunes délinquants.
Pour M. Laborde, on ne peut lutter contre les criminels avec des moyens identiques à ceux qu’ils utilisent. Il a ensuite énoncé les principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus: le droit à la dignité, à un traitement non discriminatoire et à bénéficier des meilleures chances de resocialisation. M. Laborde a d’ailleurs reconnu que sur le plan législatif, le Liban est en accord avec ces principes, mais, selon lui, ils ne sont pas appliqués en totalité.
M. Jean-Jacques Frésard s’est ensuite rendu à la tribune et il a expliqué le rôle du CICR dans la protection des prisonniers et a précisé que le CICR vise surtout à vérifier les conditions matérielles et psychologiques de détention, sans réclamer la libération des détenus et sans rendre publics ses rapports. C’est ce qui le différencie des autres organisations des droits de l’homme, telles que Amnesty International. M. Frésard a précisé que s’il s’occupe généralement des prisonniers de guerre, le CICR peut aussi visiter les «prisonniers internes». Au Liban, depuis près d’un mois, les autorités israéliennes ont suspendu les visites à la prison de Khiam, probablement en raison du processus d’échanges de prisonniers ou de dépouilles, actuellement en cours. En 1994, le CICR avait proposé au gouvernement libanais de visiter toutes les prisons du pays afin détablir un rapport à ce sujet. Mais le gouvernement avait décliné l’offre. M. Frésard l’a réitérée au ministre de la Justice, soulignant que le CICR reste prêt à agir en faveur des détenus de sécurité qui pourraient se trouver dans les prisons libanaises.
Le ministre de la Justice, M. Bahige Tabbarah, a insisté, lui, sur le projet de son ministère de reprendre le contrôle des prisons, qui dépendent actuellement du ministère de l’Intérieur. Ce projet n’attend plus que l’approbation du Conseil des ministres et selon le ministre, il pourrait être bénéfique pour la situation des détenus. Ce projet pose toutefois le problème de la prison de Yarzé qui est actuellement sous le contrôle de l’armée. Le ministre a aussi annoncé que le gouvernement s’occupe sérieusement du problème des mineurs délinquants.
Comme pour appuyer les propos du ministre, M. Rébéillé-Borgella, directeur adjoint de l’Administration pénitentiaire française, a expliqué le contenu des réformes du système pénitentiaire en France. Selon lui, les prisons françaises sont sous le contrôle du ministère de la Justice et elles sont administrées par des civils. Le directeur d’une prison doit être détenteur d’une licence (généralement de droit, d’économie ou de gestion) et les surveillants ont une formation spéciale. De plus, en France, les barrages vitrés entre les détenus et leurs visiteurs ont été éliminés et il peut arriver que des détenus puissent avoir des relations sexuelles avec leurs conjoints en visite. Naturellement, en principe, c’est interdit, mais les surveillants parfois font preuve d’indulgence. M. Rébéillé-Borgella a précisé que le système pénitentiaire français n’est pas idéal, il y a notamment une surpopulation carcérale, mais un effort certain est accompli, même dans le suivi après l’exécution d’une peine.
Le directeur général du ministère de la Justice, M. Wagih Khater, a ensuite présenté une longue étude proposant une réforme du système pénitentiaire, qui reprend les grands principes du respect de la dignité humaine, du droit à la non-discrimination et de la nécessité de donner à la peine une mission éducative, pour favoriser la réinsertion sociale des détenus libérés. M. Khater a bien sûr précisé que certaines de ces dispositions ne sont pas appliquées actuellement. Par exemple, selon lui, le détenu riche bénéficie d’un traitement privilégié et certains condamnés fortunés purgent leurs peines dans des hôpitaux.
Le président de la commission parlementaire des droits de l’homme a ensuite dressé un constat assez sévère de la situation dans les prisons. Selon lui, outre le problème de la surpopulation carcérale, il y a le fait que les détenus ne sont pas installés selon la nature de leur crime, ou encore selon leur état de santé. Ce qui a pour résultat de transformer un condamné mineur en un vétéran du crime. De même, la réinsertion sociale n’est pas assurée, bref, selon lui, il est urgent d’agir. L’ancien magistrat Hassan Kawas — qui a une longue expérience dans les tribunaux pénaux — a approuvé le constat du député, ajoutant le fait qu’il est nécessaire d’indemniser les prévenus déclarés par la suite innocents, tout comme il faut que le juge continue à se soucier du sort du détenu, après avoir prononcé la condamnation.
L’avocat général près la Cour de cassation, Mme Rabiha Ammache, a ensuite dressé un état des lieux des prisons au Liban, qui se veut plus ou moins positif. Mme Ammache a ainsi insisté sur les efforts déployés pour améliorer la situation dans les prisons, notamment au niveau des activités offertes aux détenus, et de la création de plusieurs divisions consacrées aux malades, aux jeunes et aux condamnés à de lourdes peines etc.
M. de Fontbressin a, lui, évoqué le sort des détenus au regard des droits de l’homme et du droit supranational. Il a ainsi parlé des conventions internationales sur les droits de l’homme et de leur importance sur la législation interne des pays qui les ont signées. Et c’est Me Hassan Rifaat qui a clôturé la journée d’hier en parlant de la sûreté personnelle au regard des libertés publiques au Liban. Selon lui, la sûreté personnelle «est un état de droit et de fait donnant à l’individu le sentiment permanent de ne pas être à la merci du pouvoir ou des autres individus ni moralement ni physiquement». Il a conclu en reprenant cette phrase de la cour européenne: «La justice ne saurait s’arrêter à la porte des prisons».
Encore faudrait-il préciser où elle commence.

Scarlett HADDAD
Il peut paraître absurde de parler des droits des prisonniers dans un pays où ceux de l’homme «libre» sont le plus souvent bafoués. Mais pour sa première manifestation publique, depuis sa création il y a quelques jours, l’Institut des droits de l’homme — présidé par le bâtonnier en exercice et ayant Me Georges Assaf pour président — a choisi d’organiser une...