Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGE

Les universités francophones réclament un sous-sommet sur la communication et les médias La conférence de l'AUPELF-UREF réunie à Hué ( Vietnam) recommande en outre l'enseignement du français comme langue seconde


La conférence de l’AUPELF-UREF réunie à Hué (Vietnam) recommande en outre l’enseignement du français comme langue seconde


HUÉ (Vietnam) — De Issa GORAIEB

C’est au nom de la diversité — considérée non plus seulement à l’intérieur de l’espace francophone mais à l’échelle planétaire, cette fois — que les universités et réseaux d’expression française entendent faire face à la mondialisation en cours, c’est-à-dire au risque d’une hégémonie économique, politique, linguistique et culturelle américaine. Telle est, en tout cas, la principale conclusion qui se dégage des «Assises de l’enseignement du et en français / Une stratégie du multilinguisme» qui se sont tenues du 19 au 21 octobre à Hué, l’ancienne capitale impériale du Vietnam, et cela à l’initiative de l’Agence francophone pour l’enseignement supérieur et la recherche (AUPELF-UREF). Y ont pris part plus de 250 enseignants, linguistes, chercheurs, représentants des médias et chefs d’entreprise venus de 49 pays ayant en commun l’usage du français.

Au terme de cette réunion, qui a comporté des séances plénières aussi bien que des ateliers d’études spécifiques, a été adoptée une «Charte», véritable programme d’action qui sera proposé à la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement des pays francophones appelée à se tenir à la mi-novembre dans la capitale vietnamienne, Hanoi. Se gardant bien de partir en guerre contre un anglais en pleine expansion géographique, les congressistes de Hué prônent prudemment, au contraire, le multilinguisme en demandant avec insistance, cependant, que le français soit appris désormais comme langue seconde, dès le plus jeune âge, dans chaque pays de la francophonie où il ne serait pas la langue maternelle. A cet effet, sont préconisées diverses mesures pratiques intéressant la formation, ainsi que des méthodologies modernes. Les auteurs de la «Charte de Hué» se sont préoccupés par ailleurs du développement d’un environnement médiatique adéquat, et ont demandé la réunion d’une conférence des ministres en charge de la communication et des médias des pays francophones. Enfin, la Charte recommande aux gouvernements l’adoption d’un système de valorisation des cursus francophones et prévoit, à cette fin, la création de bourses d’emploi favorisant les porteurs de diplômes d’études en langue française.
Dans son discours de clôture, le recteur de l’AUPELF-UREF M. Michel Guillou a tenu à souligner d’un «Oui c’est bien pour vous, Libanais, que je parle» l’annonce qu’il faisait du projet de conférence ministérielle consacrée à la question des médias francophones: «Car sans ces médias, a-t-il noté, et quelle que soit la qualité d’éducation, le français ne franchit pas les murs de l’école». La veille déjà et comme nombre d’autres participants, M. Guillou n’avait pas caché son inquiétude en apprenant que, dans ce bastion régional de la francophonie qu’est le Liban, si la presse écrite ne se porte pas trop mal, les organes audiovisuels émettant en français sont quasi inexistants en revanche, en raison notamment de l’incompréhensible laxisme des autorités (NDLR: «L’Orient-Le Jour» a publié, dans son édition de mardi 21 octobre, les communications de son rédacteur en chef sur l’état de la presse francophone libanaise, et de Mme Katia Haddad, vice-doyenne de la Faculté des lettres de l’USJ, sur l’enseignement du et en français au Liban).
Il faut dire que l’infatigable Michel Guillou voue une affection et un intérêt particulier pour notre pays, où se tiendra en avril 1998 une assemblée générale de l’AUPELF-UREF réunissant plusieurs centaines de personnes; il est brillamment assisté, en outre, par un directeur de cabinet d’origine libanaise, Me Leila Rezk, et relayé avec la plus grande énergie, à partir de Beyrouth, par le directeur du bureau arabe de l’Association Eric Pinon, un «ancien» du service culturel français au Liban marié à une Libanaise.

«Une marchandisation
généralisée»

...Toujours est-il qu’après M. Guillou qui a pressé les francophones «de bouger, s’ils ne veulent pas devenir les Indiens du 21e siècle», M. Arthur Bodson, recteur de l’Université de Liège et vice-président de l’AUPELF-UREF, a prôné la résistance (à l’hégémonie) dans l’ouverture aux autres langues, y compris évidemment l’anglais, avant de donner lecture de la Charte de Hué, dont voici les passages essentiels:
«La mondialisation n’est pas heureuse pour tous. Impulsée par la dynamique économique et obéissant aux seules lois du marché, elle ignore les dimensions culturelles, sociales et écologiques des sociétés. Elle débouche sur une marchandisation généralisée qui efface les identités et met en péril, à terme, l’existence de toutes les langues; elle constitue l’antithèse de l’aspiration à l’universel qui a été le fondement de toutes les civilisations. Ce contexte nouveau pose à la francophonie, comme à toutes les communautés linguistiques, petites ou grandes, la question cruciale de leur pertinence, et donc de leur avenir (...); le mouvement francophone affronte ce défi en proposant une autre façon de penser le monde. Ensemble organisé de nations présentes sur tous les continents, la francophonie, si elle en a la volonté, peut «faire signe» à un monde aspirant au respect de la diversité et à la promotion du bien commun. Le français peut être l’un des vecteurs de ces espoirs en faisant, sans arrière-pensée, alliance — notamment comme langue seconde — avec toutes les autres présentes en son sein, ainsi qu’avec les autres grandes langues internationales».
A partir de ces constats et analyses (...), les participants aux Assises de Hué proposent le plan d’action suivant:
AMENAGEMENT LINGUISTIQUE: Construction d’une francophonie plurielle par un aménagement linguistique qui conduise au multilinguisme — Mise en place, dans chaque pays membre du sommet où le français n’est pas la langue maternelle, de politiques d’aménagement linguistique apportant un soutien aux langues nationales et au français qui doit être appris comme langue seconde dès le plus jeune âge, tout en permettant par ailleurs l’apprentissage du français comme langue étrangère — Adoption, dans chaque pays membre du sommet où le français est la langue d’enseignement, de politiques favorisant la maîtrise de trois langues à la fin du secondaire, aucune d’elles ne disposant d’un statut privilégié.
MOBILITE: Un réel développement de la formation exige que soit favorisée la mobilité des étudiants, des enseignants, des intellectuels, des artistes et des entrepreneurs dans l’espace francophone. Les autorités ministérielles compétentes doivent prendre toutes mesures à cette fin, en particulier veiller à ce que les dispositions administratives en vigueur ne limitent pas cette mobilité.
FORMATION: Mise en place, dans les pays où le français n’est pas langue d’enseignement, d’un système éducatif intégré, des classes bilingues aux filières universitaires, garantissant le trilinguisme: langue maternelle, français langue seconde, langue étrangère, et conduisant à une certification francophone à la fin du secondaire reconnue dans tous les pays membres, ainsi qu’à des co-diplômations.
METHODOLOGIES ET SUPPORTS D’ENSEIGNEMENT: En vue de créer les supports de l’enseignement et de l’innovation en français, et dans le cadre d’une coopération étroite entre pays membres du sommet, mise en place d’une politique du français dans l’édition, du livre aux nouveaux supports: édition et diffusion d’ouvrages, de revues, de banques de données, de docmefs, de manuels scolaires et universitaires en français à un prix abordable... — Développement de nouvelles méthodologies d’enseignement innovantes: méthode universelle de français seconde langue, complétée par des cahiers nationaux; disques, optiques compacts interactifs d’apprentissage sélectif des sciences, jeux-vidéo d’apprentissage — Création de l’université virtuelle francophone mettant au service de la francophonie les nouvelles technologies de l’information et de la communication dans l’enseignement du et en français, en particulier pour l’enseignement à distance.
FORMATION DES ENSEIGNANTS: Développement de méthodes et de programmes rénovés de formation des enseignants, pour assurer leur excellence, leur motivation et leur engagement francophone — Mise en place de centres nationaux et régionaux de formation des enseignants — Intensification et diversification des programmes de mobilité offrant aux enseignants la possibilité d’effectuer des stages dans les pays francophones (...)
ENVIRONNEMENT FRANCOPHONE: Développer un environnement francophone par une politique de création d’une véritable presse francophone, nationale et internationale, et par la généralisation de bouquets de chaînes télévisuelles francophones. Dans ce cadre, il est demandé que se tienne une conférence des ministres francophones chargés de la communication et des médias.
ENTREPRISE: Etablissement de liens étroits entre les systèmes d’éducation et les entreprises, plus particulièrement celles des pays francophones, afin de valoriser les cursus francophones en offrant des débouchés aux étudiants, par la création à leur intention de bourses d’emploi — Démarche conjointe des entreprises et des milieux éducatifs pour mettre en perspective un projet global aboutissant à l’emploi, l’entreprise francophone devant utiliser le français et se donner un haute visibilité comme francophone.
En guise de conclusion, les universités partiellement ou entièrement de langue française et les réseaux d’expression française soulignent que cette redynamisation de l’enseignement du et en français passe par la prise en considération, par les gouvernements concernés, des principes et propositions énoncés plus haut, et donc par la prise en compte de ce programme d’action dans la programmation soumise au prochain sommet de Hanoi.

Ne pas diaboliser l’Amérique

Tout au long des travaux de Hué, se seront affrontés — avec une saine vigueur parfois — alarmistes et réalistes, puristes intransigeants et évolutionnistes convaincus. Si maints intervenants ont ainsi agité le spectre d’une hégémonie de l’Oncle Sam, invoquant à ce propos le fameux «Globalisation is Us» (c’est nous») affiché par la grande presse américaine, beaucoup d’autres ont mis en garde contre toute diabolisation des Etats-Unis qui serait non seulement inutile, mais dangereuse car mortellement inhibante. Sur ce point précis, on a pu assister à une éblouissante performance de Claude Hagège, professeur au Collège de France, linguiste et polyglotte de grand renom. En véritable magicien du Verbe et exemples concrets à l’appui (il s’est notamment exprimé en vietnamien), Hagège a souligné que toutes les langues vivent et meurent, ou bien alors elles se transforment, elles évoluent, elles s’adaptent à leur temps. C’est le même message qu’a lancé, entre autres, Jean-Claude Guillebaud, journaliste, écrivain et éditeur qui, maniant admirablement le paradoxe, a appelé à une dédramatisation du «péril anglais», demandant notamment: «Qu’est-ce que la francophonie elle-même, sinon le produit d’un autre empire, révolu celui-là?». L’un comme l’autre de ces intervenants ont admis volontiers que le français a cessé d’être la propriété des Français, la francophonie n’étant plus désormais en effet affaire de territoire. Mieux: c’est hors de France, se sont-ils accordés à souligner, que la langue de Molière est la plus innovante et, dès lors, la plus vivante.
Le français, langue de l’Afrique, revendiquera d’ailleurs avec le même aplomb un linguiste ivoirien, faisant valoir qu’on a affaire là en effet à une langue commune à des groupes divers et souvent antagonistes: le fossé se creuse de plus en plus, signale-t-il, entre une forme de langue figée, considérée comme une référence, et des variétés dynamiques auxquelles personne n’échappe, que l’on soit pour ou contre (et là réside le plus important) ne changeant strictement rien au problème. Même culte des particularismes, bien entendu, parmi les Québecois, grands bailleurs de fonds de la francophonie et très conscients, par ailleurs, de leur nord-américanisme.

Le roi-dollar

Les Vietnamiens, quant à eux, n’ont apparemment aucun complexe à cultiver un retour à la langue du colonialiste d’hier, qu’ils n’avaient réussi à déloger que pour s’engager aussitôt dans une deuxième, longue et tout aussi victorieuse guerre contre les Américains. Bien sûr, le français pratiqué ici n’est pas toujours des plus châtiés; bien sûr aussi la politique d’ouverture pratiquée depuis plusieurs années par le régime de Hanoi n’exclut en aucun cas l’anglais, «langue dominante dans le monde», comme n’a pas craint de le relever le ministre vietnamien de l’Education et de la Formation, dont une dizaine de collègues de nationalités diverses participaient eux aussi aux assises de Hué. Mais il est clair que la très socialiste république du Vietnam, qui n’a visiblement nulle envie de partager le superbe isolement international de Cuba, agira en fonction d’intérêts avant tout économiques. «Une langue de communication commune ne peut remplir sa mission qu’en servant aussi les échanges économiques»: ces propos du ministre Nguyen Minh Hien sont des plus révélateurs à cet égard. Plus prosaïquement, les Vietnamiens — officiels et citoyens — ont réservé un accueil des plus amicaux au retour d’une culture française (et plus généralement francophone) dépouillée désormais de toute connotation coloniale, et qui n’effraie donc plus; mais, signe des temps, ce sont des dollars bien verts, évocateurs, de coke, de burgers et de jeans que vous réclameront, avec une ténacité qui tient du prodige, les essaims de jeunes vendeurs de cartes postales et autres «souvenirs» touristiques grouillant aux abords des hôtels.
Après trois jours de fièvre, Hué et sa Ville Interdite, ses citadelles, ses temples et son Pont Eiffel enjambant la Rivière des Parfums retrouvait mercredi sa torpeur provinciale, la machine francophone se transportant en effet à Hanoi pour y préparer le prochain sommet de la Francophonie. A aucun moment de ces Journées les sampans, ces domiciles flottants au toit d’osier, n’ont interrompu leur tranquille dérive millénaire. Et dans le bruissement soyeux de leurs sarongs flottant au vent, bien droites sur leurs vélos, les jeunes et gracieuses Vietnamiennes, invariablement coiffées de chapeaux de paille coniques ou de capelines à ruban d’un autre âge, marquent de leurs coups de pédales le rythme d’une Asie en mutation permanente, et pourtant immuable.
Issa GORAIEB



La conférence de l’AUPELF-UREF réunie à Hué (Vietnam) recommande en outre l’enseignement du français comme langue secondeHUÉ (Vietnam) — De Issa GORAIEBC’est au nom de la diversité — considérée non plus seulement à l’intérieur de l’espace francophone mais à l’échelle planétaire, cette fois — que les universités et réseaux d’expression française...