Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Carnet de route Fadi Barrage, Thucydide et ma voiture

«L’enfance et la gravité, main dans la main, terribles fléaux sur la terre» (1). Pourquoi ce propos de Julien Gracq me revient-il à l’esprit à propos de Fadi Barrage, sur la disparition duquel dix ans sont passés maintenant? Mais je ne fais que semblant de me poser la question. Car Fadi est tout entier résumé par ces mots. Le rire de l’enfance, sa virginité devant le monde fabriqué par les adultes, la gravité du questionnement, de la sensibilité profonde... Peintre d’abord, intellectuel d’abord? La question ne vaut que pour la chronologie: quand il entra en peinture, officiellement à 28 ans, sa culture, ses interrogations, sa démarche philosophique, en faisaient déjà un interlocuteur d’élite. Quand l’artiste se confirma en lui, il avait déjà fait le tour du monde de l’intelligence. Si sa connaissance de l’art précéda sa pratique, elle devait éviter à celle-ci, quand il prit les pinceaux, une grande partie des errements propres à d’autres. Enfance de sa première exposition (il a toujours choisi lui-même les titres de ses toiles), avec «Mademoiselle Rose à sa toilette» ou le «Hussard bleu», saisissante gravité de son exposition à Dar el Fan. Enfance de ses premières amours pour la littérature gréco-latine, et pour le «gentiluomo» de la Renaissance qui resta longtemps son modèle de culture et de vie, gravité de sa découverte de la Palestine, traitée jusque-là comme un «épisode» (qu’il démontrait, Thucydide à l’appui). Il fut en effet retourné comme un gant par une visite chez Racha et Walid Khalidi à Aïnab, et par la rencontre simultanée d’un jeune artisan palestinien et de Fawaz Traboulsi («J’ai rencontré un véritable militant»...).
Fadi Barrage. C’est étrange de parler d’un ami intime comme d’un personnage. Etrange d’avoir connu un adolescent dix ans avant qu’il ne s’enfouisse dans sa vocation profonde. Etrange d’avoir perdu pour toujours un compagnon qui n’avait pas fait «assez attention» en faisant l’amour. Etrange de voir lui survivre des toiles et des dessins, étrange de se dire qu’on a aimé, pour ce qu’il portait déjà en lui, quelqu’un qui est considéré maintenant comme l’un des meilleurs artistes libanais.
De cette fusion de l’enfance et de la gravité, il supporta lui-même le fléau. Avec une élégance de prince.

*
* *

On ne peut ne pas être séduit par Nassib Lahoud, plus encore quand on est une femme. Mais voilà qu’aujourd’hui il vient peser sur mes décisions privées. Me dire que la taxe mécanique sur une petite voiture, que j’envisageais d’acheter un jour faste, allait hausser de 1260%, c’est transformer mon hésitation en renoncement. Avec tous les risques que je cours déjà, véhiculée par des amis ou des taxis dans Beyrouth et l’hinterland, avec ces soudaines priorités à gauche qui m’affolent, et des camarades, qui quand ils ne sont pas au garage portent une minerve, avec, enfin, ces conducteurs qui, virtuoses, doublent les autres en déclarant avec fierté: «Chefté,’al chaa’ra daoubalto» (moi, sourire crispé fesses serrées, coup au cœur), il est vrai que je ne débordais pas d’enthousiasme. Mais tout de même, 1260% en plus sur n’importe quoi est un chiffre dissuasif en soi.
Ceci dit, il a raison, Lahoud. Mais qui s’attend à ce que l’Etat, tel qu’il est , ne ménage pas les riches? Il ne se reconnaît qu’en eux! Lahoud, ou un journaliste courageux, devraient discrètement faire évaluer la fortune de chacun de nos ministres. On se rendra compte de l’inévitable identification...
Amal NACCACHE

(1) Julien Gracq, «En lisant, en écrivant».

A

M. Hélou et la délégation de la Ligue maronite chez M Boueiz.
(Photo Michel Sayegh)


«L’enfance et la gravité, main dans la main, terribles fléaux sur la terre» (1). Pourquoi ce propos de Julien Gracq me revient-il à l’esprit à propos de Fadi Barrage, sur la disparition duquel dix ans sont passés maintenant? Mais je ne fais que semblant de me poser la question. Car Fadi est tout entier résumé par ces mots. Le rire de l’enfance, sa virginité devant le...