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Actualités - ANALYSE

Le temps des affreux

Par Issa GORAIEB

Netanyahu n’a décidément pas de chance, avec toutes ces «opérations spéciales» qu’il multiplie depuis quelque temps; et qui, en atteignant durement l’adversaire, sont censées lui assurer un regain de prestige au sein d’une opinion publique israélienne déçue de n’avoir obtenu ni la paix ni la sécurité promises par le champion du Likoud.
Le mois dernier, un commando d’élite était exterminé alors qu’il venait de débarquer sur le littoral sud de notre pays, où il se proposait apparemment de kidnapper — ou alors de liquider — un des chefs du renseignement du Hezbollah. Soit que les services israéliens aient été «intoxiqués» par un agent double, soit que les agresseurs aient été repérés avant même d’avoir accosté, l’ampleur de la catastrophe suscitait, en Israël, une vague de protestations contre l’enlisement croissant au Liban-Sud. On aura même vu Sharon, architecte de l’invasion de 1982, réclamer à cor et à cri un retrait d’Israël, à défaut d’un retour à la confrontation totale.
Les deux agents secrets chargés par le Mossad d’aller assassiner un important responsable du Hamas palestinien, la semaine dernière à Amman, n’ont pas eu à payer de leur vie le ratage de leur mission. Mais ce qui est pire sans doute pour leurs mandataires, ils ont été pris culotte basse et la main dans le sac. Et comme si cette humiliation essuyée par une des officines de basses œuvres les plus redoutables du monde n’était pas encore assez, Netanyahu a dû remettre en liberté le numéro un du Hamas, le vieux cheikh Yassine: cela afin d’apaiser le plus accommodant de ses voisins, le Roi Hussein, qu’avait irrité en effet cette incursion dans ses terres royales; et qui jouant de main de maître sans mettre publiquement en cause, un seul moment, les services israéliens, aura chèrement fait payer à «Bibi» la dernière en date de ses folles équipées.
Par le plus grand des paradoxes, voilà l’homme qui a relancé à outrance la colonisation juive, qui a déclaré une guerre totale aux intégristes palestiniens, qui a obstinément rejeté toutes les demandes de libération de leurs chefs, qui menaçait d’aller les traquer lui-même dans les territoires autonomes (et même, on vient d’en avoir la révélation, dans les capitales arabes), voilà donc ce taureau furieux acculé à se dessaisir, dans des circonstances on ne peut moins favorables, de la plus grosse de ses prises. D’avoir étendu sa clémence à des extrémistes juifs coupables de meurtre n’épargnera sans doute pas, au premier ministre d’Israël, une grave tempête politique dont on perçoit déjà les signes avant-coureurs: car non seulement le gouvernement d’Ottawa, outré que les tueurs aient fait usage de faux passeports canadiens dans l’exercice de leurs activités criminelles, a promptement publié, à l’encontre du Mossad, un accablant acte d’accusation; non seulement la rupture vient-elle d’être évitée de justesse avec le seul dirigeant arabe jouissant d’une sympathie réelle auprès des Israéliens; mais ces derniers en sont à se demander où peut les mener encore l’aventurisme balourd de l’homme qu’ils portaient au pouvoir il y a un peu plus d’un an.
Ce paradoxe israélien n’est pas le seul, il est vrai, dans le jamesbondesque épisode de la guerre des ombres dont Amman vient d’être le théâtre et qui, par les moyens mis en œuvre (un dispositif à injection instantanée de poison) n’est pas sans rappeler l’affaire des «parapluies bulgares» du temps du Rideau de Fer. Depuis des années en effet, Yasser Arafat réclamait en vain la remise en liberté du cheikh Yassine, dans l’espoir de se rallier les intégristes palestiniens en leur démontrant le bien-fondé de sa politique de paix. Or non seulement le vieux leader est relâché au moment précis où l’Autorité autonome, cédant aux énormes pressions américaines et israéliennes, vient de lancer une vague d’arrestations d’une ampleur sans précédent, avec tous les risques politiques que comporte une telle campagne; mais de surcroît c’est à la Jordanie — et non à l’Autorité autonome — qu’est remis le chef emblématique du Hamas, détail qui ridiculise et inquiète au plus haut point le pouvoir d’Arafat: comment en effet celui-ci pourrait-il continuer de faire arrêter les activistes palestiniens, maintenant que l’Etat hébreu vient de libérer leur chef suprême?
Et surtout, peut-on se demander, le «bazar» intervenu en dépit de toutes les dénégations entre Netanyahu et Hussein ne viserait-il pas à restaurer l’influence du trône hachémite parmi la population des territoires occupés? Israël ne cherche-t-il pas à montrer ainsi à cette population que le gouvernement d’Amman est plus à même de la restaurer dans ses droits qu’une Autorité autonome piégée à Oslo, brouillée avec une importante fraction de ses administrés et minée, de surcroît, par la corruption? Et enfin pour quelle raison cachée la Jordanie, pourtant en paix avec Israël, accorde-t-elle asile à de nombreux responsables du Hamas, et non des moindres?
Tous ces soupçons ne sont guère gratuits. Ce n’est que sous la vive pression des Etats arabes qu’Amman avait fini, il y a une quinzaine d’années, par reconnaître l’OLP de l’époque comme l’unique représentant légitime des Palestiniens; mais même s’il le souhaitait sincèrement, en aucun cas le Roi Hussein ne pourrait se désintéresser des affaires de la Rive-Ouest: car même amputé depuis 1967 de la Cisjordanie, son royaume abrite aujourd’hui une population aux deux-tiers palestinienne. La solution, qui paraît inévitable, serait une union confédérale entre l’actuelle Jordanie et les territoires palestiniens; le hic c’est que les Palestiniens des territoires, même s’ils en admettent volontiers le principe, n’envisagent une telle option qu’après l’émergence d’une entité nationale, et plus précisément d’un Etat palestinien ayant Jérusalem-Est pour capitale...
C’est dans ce climat de suspicion que les uns et les autres viennent d’échanger les rituelles accolades autour d’un lit d’hôpital à Amman, promu pour la circonstance en lieu de pèlerinage. Quant au processus de paix, il reste, jusqu’à nouvel ordre, consigné aux soins intensifs.

I.G.


Par Issa GORAIEBNetanyahu n’a décidément pas de chance, avec toutes ces «opérations spéciales» qu’il multiplie depuis quelque temps; et qui, en atteignant durement l’adversaire, sont censées lui assurer un regain de prestige au sein d’une opinion publique israélienne déçue de n’avoir obtenu ni la paix ni la sécurité promises par le champion du Likoud.Le mois...