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Actualités - REPORTAGE

Deux mois après la fermeture de certaines radios et télévisions Médias illégaux : les employés licenciés abandonnés à eux-mêmes

L’affaire de la fermeture des médias audiovisuels illégaux, décidée le 23 juillet dernier par le gouvernement, continue de faire couler beaucoup d’encre. Au-delà des conflits, quelquefois violents, qui opposent l’Etat aux chaînes de télévision et aux stations de radio, la question revêt un aspect humain et social, celui de centaines d’employés qui se retrouvent sans ressources, souvent avec des familles à nourrir. A l’époque de la décision ministérielle, le ministre de l’Information, M. Bassem el-Sabeh, avait promis l’ouverture d’un bureau censé aider ces personnes à trouver un nouvel emploi. Quelle est la situation aujourd’hui? Ce bureau a-t-il vraiment fonctionné, et combien de personnes ont profité de ses services?
Quand on tente de s’informer sur la situation actuelle, même les plus récalcitrantes des personnes interrogées reconnaissent que les employés font face à d’énormes problèmes, notamment d’embauche dans les autres médias, incapables d’absorber un si grand nombre. Cela pousse certains d’entre eux à se recycler dans d’autres domaines. Certains reviennent à la presse écrite ou à la radio, dans des emplois souvent moins gratifiants. Mais une bonne partie demeure au chômage.
Mohammad Dakka, ancien cameraman à la New Television (NTV), fait partie de cette dernière catégorie. «Trouver un nouvel emploi dans cette branche est difficile», dit-il. «Les chaînes de télévision restantes ne suffisent en aucun cas à absorber un tel nombre d’employés, et chercher à se caser sans piston relève de l’utopie», poursuit-il. Il avoue volontiers avoir désespéré de retrouver un jour son métier de cameraman.
Ziad Choueiri, directeur de l’ICN, confirme: «Des 107 employés que nous avions, vingt à trente sont toujours au chômage. Certains ont eu plus de chance mais un grand nombre a dû se reconvertir dans d’autres domaines».
Pierre Azar, propriétaire de la CVN — une chaîne qui avait fusionné avec deux autres pour former la UTV — estime que «90% de ses anciens employés n’ont pu se recaser ailleurs», mais se refuse à fournir des précisions supplémentaires.
Pour ce qui concerne les stations de radio, «il n’y aura pas de problèmes», selon M. Gaby Murr, président du syndicat des radios FM. M. Murr attribue cette réalité à deux facteurs: «D’une part, les employés des grandes stations qui ont fermé, comme Hit FM ou Magic 102 (en tout quatre ou cinq), ont tous été embauchés par d’autres radios, souvent celles avec qui ces entreprises ont fusionné (RML et Nostalgie pour Hit FM) ou avec des partenaires (Radio Liban libre pour Magic 102). D’autre part, les petites radios, qui n’ont en tout cas pas beaucoup d’employés, ne se sont jamais pliées à la décision de fermeture». M. Murr révèle que «52 radios émettent aujourd’hui à partir de Beyrouth, dont 18 sans permis».
M. Simon el-Khazen, président du comité de suivi de l’audiovisuel, donne une idée globale de la situation: «Nous ne disposons pas de statistiques sur le sujet. Mais les employés concernés par ces licenciements sont au nombre de 500 environ (tous médias confondus), dont 300 au moins sont au chômage. Ceux qui ont été engagés ultérieurement sont certainement moins bien payés que dans leur premier poste».

Relation des entreprises
avec leurs employés

Dans sa décision du 23 juillet dernier, l’Etat avait exigé la fermeture des médias audiovisuels non autorisés, mais n’avait pas précisé les modalités de licenciement, notamment en ce qui concerne les indemnités.
Les entreprises n’ont pas toutes réagi de la même façon. Ziad Choueiri déclare que l’ICN n’a eu aucun problème avec ses salariés. «Nous avons fait notre possible pour résoudre leurs problèmes en employant un bon nombre d’entre eux dans le quotidien «Nida’ el-Watan» et dans notre maison de production, et en aidant les autres à trouver du travail dans les entreprises autorisées», a-t-il précisé.
Il n’en a pas été de même partout. Un groupe de 25 employés de la NTV a intenté un procès à son ancien employeur. Mlle Pauline Tohmé, ancienne employée du département des nouvelles, explique: «Le cas de la NTV est particulier: l’entreprise compte une chaîne de télévision et une boîte de production. Cette dernière est toujours opérationnelle. A l’époque de la fermeture, 50 employés ont été récupérés par la boîte de production, et 106 ont été au chômage».

Griefs contre
le gouvernement

Sur la nature des revendications, Mlle Tohmé précise: «Nous considérons que la direction n’a pas été correcte avec nous. Après avoir reçu à plusieurs reprises des assurances sur le sort de l’entreprise (ce qui nous a incités à ne pas chercher un nouveau travail), nous avons été surpris de voir que, non seulement NTV n’avait pas obtenu de permis, mais qu’en plus, nous n’avons pas été embauchés par la maison de production, comme on nous l’avait promis. De plus, ils n’ont accepté de nous payer notre salaire de juillet qu’à condition de nous faire signer un document en vertu duquel nous renoncions à tous nos droits. Certains d’entre nous se sont plaints au ministère du Travail et se trouvent aujourd’hui en plein procès».
Mais quelles que soient leurs revendications, toutes les personnes interrogées s’accordent pour condamner l’indifférence du gouvernement. En effet, celui-ci avait promis l’ouverture d’un bureau chargé de s’occuper du sort des employés licenciés. Ceux-ci devaient en principe remplir des formulaires dans les plus brefs délais. Qu’en est-il de cette mesure deux mois après les licenciements?
Interrogé, le responsable du bureau au ministère de l’Information, M. Ibrahim Khoury, affirme: «Ce bureau a fonctionné un mois seulement après la fermeture des médias non autorisés, et 600 à 700 personnes se sont présentées».
Sur l’activité de ce bureau, M. Khoury dit: «Son but n’a jamais été de fournir du travail à ces employés, mais d’effectuer un sondage afin d’évaluer leur situation». Comment, précisément, évalue-t-il leur situation? «Je n’ai aucune idée. Le dossier est entre les mains du ministre». Que va-t-il en faire? «Je ne sais pas», avoue M. Khoury.
Selon les personnes interrogées, le bureau n’a jamais, et ne sera jamais, opérationnel. Ziad Choueiri n’hésite pas à le qualifier de «fictif». «De toute façon, le gouvernement ne tient jamais ses promesses», ajoute-t-il. Mohammed Da’a va plus loin: «Le ministre de l’Information ne nous a jamais caché que ce bureau n’était qu’une consolation morale destinée à contenir le sentiment de révolte suscité par la décision de fermeture, et qu’il ne fallait pas par conséquent y placer ses espoirs». Pierre Azar partage leur avis.

Espoirs d’avenir

Malgré la décision de fermeture, les responsables des chaînes de télévision que nous avons interrogés croient tous que le dossier n’est pas définitivement clos. M. Pierre Azar estime que «l’espoir est toujours permis». M. Choueiri considère que «les hommes libres vont continuer d’exiger des médias qui répondent à leurs aspirations».
M. Simon el-Khazen reproche à l’Etat de ne pas avoir présenté de plan directeur technique. «L’Etat a octroyé des permis à beaucoup trop de radios et à trop peu de chaînes de télévision, parce qu’il redoute davantage ces dernières. Dans la même logique, il a provoqué le problème des médias religieux pour avoir une raison valable de fermer le dossier en toute bonne conscience». «Mais cette affaire est loin d’être terminée», conclut-il.

Suzanne BAAKLINI
L’affaire de la fermeture des médias audiovisuels illégaux, décidée le 23 juillet dernier par le gouvernement, continue de faire couler beaucoup d’encre. Au-delà des conflits, quelquefois violents, qui opposent l’Etat aux chaînes de télévision et aux stations de radio, la question revêt un aspect humain et social, celui de centaines d’employés qui se retrouvent sans...