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Actualités - REPORTAGE

Les complexes résidentiels vides inquiètent les habitants A Jezzine, le spectre de l'implantation est toujours là

A qui sont destinés les milliers d’appartements neufs construits dans la région de Jezzine et de l’est de Saïda où les complexes flambant neuf poussent comme des champignons? En moins d’un an, il y a eu 21 transactions immobilières dans 21 villages du coin, portant sur des centaines de mètres carrés et on s’étonne après cela que les habitants de la région s’inquiètent sans cesse d’un éventuel projet d’implantation des Palestiniens dans leurs localités… Si le calme est retourné aujourd’hui à Jezzine, l’angoisse de l’avenir demeure, sans qu’aucun responsable ne cherche véritablement à rassurer les habitants.
Comme par miracle — ou comme si toute l’affaire était manipulée à l’aide d’un «remote control» — la situation s’est calmée dans la région de Jezzine. Pour certains, ce n’est qu’un répit avant une nouvelle crise, et pour d’autres, les parties concernées ayant obtenu satisfaction, la trêve pourrait se prolonger. Les habitants des 36 villages de la région sous contrôle de l’ALS, eux, restent toutefois inquiets.
Certes, après avoir fui en catastrophe, à la suite de la multiplication des charges explosives sur les routes de leurs villages, ils ont recommencé à réintégrer leurs foyers. Et aujourd’hui, des sources officieuses estiment que la population de la région a atteint de nouveau les 5000 âmes, alors qu’elle avait chuté à 3000 il y a deux mois. (Avant 1985, date du premier exode dans la région, ils étaient 80.000). Y a-t-il eu des garanties? «Non, répond le ministre Nadim Salem. Ce que nous savons, c’est que la situation est désormais calme et que, de toute façon, les habitants n’ont pas d’autre choix que de rentrer chez eux. Et nous devons les aider avec tous les moyens dont nous disposons. D’autant que dans l’accord de Taëf, le Liban rejette aussi bien les déplacements de population que l’implantation des Palestiniens au Liban…»
L’implantation, le mot tabou est lancé. Personne n’en parle, mais tout le monde y pense, surtout les habitants de Jezzine qui craignent de se voir chassés de leurs terres pour qu’elles soient données aux Palestiniens, réglant ainsi une fois pour toutes le problème de leur droit de retour. Le schéma pourrait paraître simpliste, mais le ministre Salem lui-même ne cache pas ses appréhensions. «Pour qui est-on en train de construire des complexes gigantesques dans la région?», se demande-t-il.
De fait, à Kfarjarra, village maronite situé à 10 km de Saïda, un sunnite a construit 500 appartements encore vides. Un peu plus bas, du côté de Saïda, 20.000 appartements vides n’ont toujours pas d’acquéreurs. A qui sont destinées toutes ces habitations? Après l’expérience de Qray’a en 1994 (la construction d’un complexe résidentiel pour les Palestiniens, transformé aujourd’hui en zone industrielle) — bloquée de justesse à la suite d’une vaste campagne de protestation — les habitants se posent de nombreuses questions.
D’ailleurs, au cours de l’année écoulée, les statistiques enregistrées auprès des registres fonciers montrent qu’il y a eu 21 transactions immobilières dans 10 villages de la région de Jezzine et 11 autres à l’est de Saïda. Ces transactions portent sur plusieurs centaines de mètres carrés. Et elles ont été généralement effectuées pour le compte d’habitants de Saïda. Officiellement, ces transactions sont parfaitement légales puisque les acquéreurs sont des Libanais. Mais à Jezzine, on s’inquiète de voir ces appartements demeurer vides. Et on se demande comment un propriétaire terrien peut-il décider de construire autant d’habitations avant d’en avoir vendu quelques-unes. Comment, dans ces conditions, ne pas penser au pire, c’est-à-dire à une modification démographique de la région en guise de prélude à une éventuelle implantation des Palestiniens?
Ce ne sont certes pas les dénégations des responsables qui pourraient balayer ces angoisses, alors que la question cruciale demeure sans réponse: à qui sont destinés ces complexes?
Dans ces circonstances, il est facile pour les habitants de Jezzine de croire que la dernière crise, qui a bouleversé la région, était destinée à la vider de ses habitants pour faciliter le processus de changement démographique et d’implantation. C’est d’ailleurs pour chasser ces idées noires que la rencontre de Mar Roukoz, chapeautée par l’abbé Slim, a décidé d’entamer son action «essentiellement non politique», insiste le ministre Salem.
En dépit des multiples critiques dont la rencontre — et lui-même — ont fait l’objet, le ministre de l’Industrie reste convaincu que son action est très efficace. Selon lui, il fallait que quelqu’un attire l’attention de l’opinion publique sur la situation à Jezzine et dans ses environs. «En haussant le ton, nous avons calmé le jeu», précise M. Salem, qui rappelle qu’à la suite de l’action menée par la rencontre de Mar Roukoz, pour la première fois, le Conseil du Sud a payé des «indemnités pour les maisons endommagées en 72 heures». «Et aujourd’hui, nous demandons à l’Etat d’assumer ses responsabilités à notre égard, en nous considérant des citoyens comme les autres, ayant des droits et des devoirs».
La région échappant au contrôle de l’Etat, celui-ci ne peut y assurer la sécurité, mais il peut fournir les services permettant aux habitants de rester chez eux et de résister à leur manière. «Il faut surtout leur donner le sentiment d’être des citoyens à part entière, comme les habitants de Beyrouth ou d’ailleurs», ajoute M. Salem qui précise que c’est la mission que s’était assignée la rencontre de Mar Roukoz. Il rappelle, à cet égard, que le président de la Chambre, M. Nabih Berry, lui avait demandé ainsi qu’à d’autres députés de la région de ne pas en faire partie, mais il était passé outre ce souhait, estimant que ses responsabilités vis-à-vis des habitants du caza de Jezzine étaient plus importantes que les considérations politiques.
Et ce sont ces mêmes responsabilités qui le poussent aujourd’hui à se poser des questions, à l’instar des habitants de Jezzine, sur les appartements vides et neufs qui ne semblent attirer aucun acheteur… Et comme les habitants, M. Salem n’a pas de réponses.

Scarlett HADDAD
A qui sont destinés les milliers d’appartements neufs construits dans la région de Jezzine et de l’est de Saïda où les complexes flambant neuf poussent comme des champignons? En moins d’un an, il y a eu 21 transactions immobilières dans 21 villages du coin, portant sur des centaines de mètres carrés et on s’étonne après cela que les habitants de la région...