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Actualités - OPINION

Regard Le quatrième symposium de sculpture de Rachana (2) Utilité publique

… Les sculpteurs invités, saupoudrés de la tête aux pieds de la fine poussière de calcaire et de marbre produite par les disques à rotation rapide, portent des masques pour se protéger les poumons.
Cette année, cinq hôtes sur six (le septième, l’Albanais, a fait faux bond) ont choisi de gros rochers de pierre locale calcaire, sans doute sous l’influence de l’environnement si présent, si parlant. On sent, chez la plupart, le désir de voir leur œuvre s’y intégrer, et même s’y perdre.
Seul le Sénégalais Tafsir Momar Gueye (né en 1956) a préféré se distinguer en s’attaquant à un bloc vertical de marbre blanc de Carrare, pour une raison technique précise: il comptait l’évider pour en tirer une œuvre similaire, dans son élégance sinueuse, à celles qu’il réalise en bois dur d’Afrique. Seul ce marbre supporte d’être aminci et affiné à ce point sans se casser. Indépendamment de son succès auprès du public (il a recueilli plusieurs commandes), on peut lui reprocher de projeter mécaniquement, et donc paresseusement, la logique du bois dans la pierre, devenue filiforme, aérée et presque impondérable.
Le Chilien Francesco Gazitua (né en 1944) pratique d’ordinaire une sculpture constructiviste anti-organique («post-Moore»). L’année dernière, il a réalisé une sculpture de 12 mètres de long dans la glace, vieille de deux millions d’années et comprenant des inclusions de lave volcanique, d’une banquise de l’Antarctique qui dérive actuellement quelque part dans l’océan.
Ici, il a choisi de revenir à une démarche organique. Dans un rocher creusé comme une auge, mais laissé brut, il en a dressé un autre où il a ménagé un tunnel long comme une soufflerie, avec une sorte de rebord en forme d’arcade sourcilière: l’œil d’un inquisiteur, d’un voyeur, d’un curieux, d’un artiste ou d’un critique. La société chilienne a longtemps vécu sous surveillance. Ce n’est pas très convainquant en regard de ses œuvres précédents, projetées en slides.
Le Brésilien Ireneu Garcia (né en 1949) a, lui aussi, opté pour deux rochers couchés l’un sur l’autre, comme une bête à deux dos. Il a soigneusement travaillé celui d’en dessous, qui est partiellement dissimulé, y aménageant un réceptacle carré garni d’eau et d’une plante grasse, tandis que celui d’en dessus, laissé à l’état semi-fini, a été percé d’un puits carré également, permettant d’apercevoir, en se penchant, la cuve. L’œuvre, horizontale, colle au sol. Elle a besoin de soins constants pour «fonctionner». Il suffit que l’eau ne soit pas renouvelée régulièrement pour que la plante dépérisse (mais elle peut être remplacée) et que la sculpture, qui cherche à marier le minéral, l’aquatique et le végétal, donc à créer un micro-environnement, perde son sens et sa raison d’être.
Le Roumain Dinu Campeanu (né en 1946) est l’auteur d’œuvres en bois originales et impressionnantes qu’il intitule «Fenêtres» et qui sont plutôt des emboîtements complexes de cadres pyramidaux. Il a, lui aussi, travaillé sur deux blocs horizontaux, comme jetés ou tombés par terre. Par les entailles en forme d’écailles, ce pourraient être des tortues, mais on y discerne plutôt des ailes brisées, celles d’une victoire humiliée ou d’une dictature déchue. Ces débris supposés d’une statue virtuelle géante, gisant à même le sol du chantier, parmi les éclats de pierre, en acquièrent un aspect «archéologique» marqué.
Le Libanais Charbel Farès (né en 1952), qui s’emploie actuellement à édifier dans son village du Sud, pierre par pierre, ce qu’il appelle bizarrement un «resthouse culturel», est l’auteur de sculptures à matériaux et techniques mixtes et d’installations «dadaïstes«. Il s’est employé, ici, à inciser systématiquement la surface de son bloc juché sur piédestal de sillons parallèles. Il a sans doute surtravaillé l’ensemble, la surcharge ornementale affaiblissant l’effet: un oiseau blessé abstrait.
A l’oiseau blessé de Farès et aux ailes brisées de Campeanu, le Costaricien Domingo Ramos (né en 1949), chanteur et poète à ses heures, a préféré le phoenix qui se relève de ses cendres, avec une œuvre toute en courbes dynamiques continues et en surfaces alternant textures fortes et fines, qui a l’air de décoller dans un grand envol. C’est sans doute la configuration sculpturale la plus complexe et la plus achevée parmi les six, quoique en elle-même peu originale.
C’est le travail de la Polonaise Marta Branicka (née en 1968) qui semble le plus rigoureux et le plus abouti. Cérébral, certes, mais en même temps d’une grande sensibilité et d’une grande subtilité, sans effets faciles. Sur deux larges blocs dressés qui se font face — (décidément, c’est l’année des diptyques), dont la majeure partie de la surface a été soigneusement lissée comme une paroi, elle a laissé en relief accentué, dans sa texture brute naturelle, une sorte d’écorce ocre de la pierre apparemment constituée de débris de coquillages stratifiés, taillée en forme de L, de U ou d’accent grave. On a l’impression que les éléments sont collés ou rapportés, à cause du contraste et du creusement de leurs bases. C’est simple et fort, sans bavardage ni effets faciles.
Tous les sculpteurs, sauf Tafsir, qui a soigneusement poli son couple mère-enfant, ont tablé sur les effets de contraste entre le brut, le bouchardé, le texturé et le lisse. La plupart ont l’air d’avoir bâclé leur travail, terminé avant les délais (Tafsir, en trois jours, par exemple, malgré son inexpérience relative dans le travail du marbre). En tout cas, leur «devoir» de symposium correspond bien mal à leurs réalisations antérieures, beaucoup plus amples, originales et intéressantes.
A quoi tient cette disparité? Il faudrait y réfléchir avant de lancer les invitations pour le symposium de l’année prochaine.
Un terrain de trois mille mètres carrés encore à aménager accueillera bientôt les sculptures des visiteurs, trop à l’étroit dans leur jardin actuel. Fidèle à lui-même, Alfred Basbous ne cesse de chercher à améliorer les conditions de tenue du symposium et d’exposition de ses résultats. Les artistes, qui bénéficient d’un accueil et d’un traitement exceptionnels, en comparaison des autres symposiums à travers le monde, repartent enchantés.
Bien qu’Alfred Basbous et son équipe fassent œuvre d’utilité publique, ils ne sont pas suffisamment soutenus sur le plan financier. Avis aux intéressés.

Joseph TARRAB
… Les sculpteurs invités, saupoudrés de la tête aux pieds de la fine poussière de calcaire et de marbre produite par les disques à rotation rapide, portent des masques pour se protéger les poumons.Cette année, cinq hôtes sur six (le septième, l’Albanais, a fait faux bond) ont choisi de gros rochers de pierre locale calcaire, sans doute sous l’influence de...