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Actualités - OPINION

Libre opinion Mo le taxi : à propos de l'essence, des femmes et de la politique en général


Je m’appelle Mohammed. Ce sont mes clientes qui m’appellent Mo. Toutes des dames très bien, «bala zoghra», d’Achrafieh et de Ras Beyrouth. En réalité, j’aime qu’on m’appelle Abou-Chadia. C’est ma fille. Elle a 18 ans, le corps de Brigitte Bardot et les yeux de Faten Hamama, un pur produit du Liban. Si je parle trop, vous m’arrêtez. Vous allez où Madame? Chadia, c’est ma fierté. Elle deviendra pharmacienne et je mets de l’argent de côté pour lui offrir une officine. Contrairement aux âneries qu’on entend parfois, une femme éduquée en vaut deux car elle est avertie des choses de la vie et donne moins de soucis à ses parents. Regardez la princesse Diana, Dieu ait son âme, son mariage était arrangé. Elle, si bonne, ne pouvait pas aimer un benêt comme Charles. Ça lui a coûté la vie. A propos du coût de la vie, vous avez vu cette histoire d’augmenter le prix de l’essence? Qu’en pensez-vous? On dit que les femmes n’entendent rien à la politique mais ceux qui disent ça, en général, sont des gens qui n’écoutent pas les femmes. Qu’est-ce qu’ils y entendent alors. Notez que ce sont souvent des femmes qui tiennent de tels propos. Mais c’est parce que les hommes leur laissent si peu de place qu’elles sont en concurrence entre elles. C’est comme notre mode de scrutin électoral: il met les membres de chaque communauté religieuse en concurrence entre eux et non pas avec les autres communautés. Ah, si un jour, ils abolissaient ce système confessionnel. Mais qui le ferait? Ils en profitent. Sinon, ils ne seraient pas là où ils trônent maintenant. Moi, ça me ferait mal au cœur de majorer mes tarifs. Mes clientes ont, elles aussi, du mal à joindre les deux bouts. Elles sont comme tout le monde, riches peut-être mais ça engendre tellement de frais. Pour tenir leur rang, il leur faut dépenser toujours plus. C’est qu’elles fréquentent du beau monde «high class». Si nos gouvernants s’occupaient plutôt d’améliorer notre couverture sociale et le niveau des écoles publiques, au lieu de multiplier les ponts et les échangeurs, mais bien sûr ça leur coûterait moins cher et donc ça rapporterait moins si vous voyez ce que je veux dire.

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Tout s’arrose

Tout s’arrose.
Y’a qu’à voir comment les gens conduisent le dimanche, au sortir des restaurants, après des repas bien arrosés. De vrais dangers publics. Il paraît qu’en Europe, ils leur font subir des alcotests. Mais ça non plus, ça ne coûte pas assez cher pour qu’on l’inscrive au budget. Moi, je jongle avec le mien mais Emm-Chadia tient les cordons de la bourse. Certains prétendent que les femmes ne savent que dépenser l’argent. Mais c’est parce qu’elles savent sa valeur. Et s’ils augmentent le prix de l’essence, le reste suivra. Pour allez chez vous, c’est à gauche ou à droite. Gauche, droite, ces hommes politiques ne valent pas mieux l’un que l’autre. Dire que c’est le peuple qui les a élus l’an dernier! Ils disent vouloir développer les régions défavorisées mais il faudra d’abord qu’ils arrêtent les bombardements israéliens au Sud. Ça fait 40 ans que je rentre chez moi tous les soirs, presque à l’aveuglette, en prenant par Mazraa, puis la première à gauche. Et hier, il y avait un panneau juste à l’angle «interdiction de tourner à gauche». Ils vont me faire perdre le nord et c’est pas pour ça qu’ils libéreront le pays. Vous ne m’avez pas dit ce que vous en pensez, vous. Moi je parle mais je ne suis qu’un chauffeur de taxi.
— Mais vous savez, ils sont là justement pour gérer les affaires courantes. Les décisions politiques se prennent ailleurs...
— Ya sitti, c’est pas ailleurs, c’est ici, la politique, elle commence dans mon taxi. De quoi parlons-nous depuis une demi-heure?
Marie-Najla ONEISSI
Je m’appelle Mohammed. Ce sont mes clientes qui m’appellent Mo. Toutes des dames très bien, «bala zoghra», d’Achrafieh et de Ras Beyrouth. En réalité, j’aime qu’on m’appelle Abou-Chadia. C’est ma fille. Elle a 18 ans, le corps de Brigitte Bardot et les yeux de Faten Hamama, un pur produit du Liban. Si je parle trop, vous m’arrêtez. Vous allez où Madame? Chadia,...