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Actualités - OPINION

Un deuxième exil

Pierre Eddé est mort en exil, au pays de son épouse Hilda. Mais son véritable exil, son exil d’entre les hommes, il avait commencé à le vivre lors de la maladie fatale d’un fils, Emile, avec qui il entretenait des rapports et un dialogue privilégiés, et dont la mort fut un douloureux arrachement, une séparation sans pardon.
Passionné très jeune par la politique, sa carrière ne fut à la hauteur ni de son talent ni de ses ambitions, qui n’aveuglèrent jamais ce personnage lucide et courageux. Il prit sa retraite dans les affaires, où sa grande intelligence et son sens de la mesure lui valurent l’estime générale. Il en reprit une autre, définitive, quand la guerre ensevelit toutes les tentations qui auraient pu lui donner la chance de jouer un rôle sur la scène publique.
L’homme, qui tenait d’Alceste par un fort scepticisme à l’égard de ses semblables, manifestait, dans la conduite de sa vie amicale et de sa profession, une humanité et une générosité que ne venait altérer aucune forfanterie. La sobriété, on le sait, était une de ses qualités majeures, qualité qui tranchait particulièrement avec le contexte libanais.
Une initiative dont on ne cessa de parler pendant longtemps dans les landernaus libanais fut sa visite de condoléances aux enfants de Béchara el-Khoury. Ce fut, pour la première fois, un Montaigu chez les Capulet, un clan qui s’ouvrait, en sa personne, pour honorer le vieil ennemi de la famille, en reconnaissance des services rendus à la patrie. Un geste, comme on dit, mais un geste impensable à l’époque, et d’autant plus apprécié qu’il fut solitaire.
Je ne saurais parler de sa compétence en matière de finances, d’autres le feront à ma place. Mais je peux évoquer le rôle qu’il joua dans la vente de «L’Orient», puis dans la fusion entre le quotidien de la rue Trablos et celui de la rue Hamra. Dans cette opération à cœur ouvert que ne manque jamais d’être une fusion de sociétés comme un changement de patron, il sut être le lien qui rendit plus supportable, aux uns et aux autres, l’union de deux noms en un, «L’Orient-Le Jour». Peut-on dire qu’il se prit au jeu du patron de presse qu’il était devenu? Oui, dans la mesure où il s’est vite senti une appartenance personnelle au journal, mais avec une autorité doublée de modestie.
Pierre Eddé est mort. Le pays perd un de ses fils. L’Etat, un expert brillant. Ses amis, un homme fidèle et loyal, un interlocuteur toujours attentif. De l’intelligence et du cœur, on peut dire qu’il n’y avait pas en lui de primauté, tant l’une était subtile et l’autre offert.
Salut à cet Alceste pétri d’élans. Salut à l’homme douloureux qui pleurait son enfant, qui l’a rejoint.

Amal NACCACHE
Pierre Eddé est mort en exil, au pays de son épouse Hilda. Mais son véritable exil, son exil d’entre les hommes, il avait commencé à le vivre lors de la maladie fatale d’un fils, Emile, avec qui il entretenait des rapports et un dialogue privilégiés, et dont la mort fut un douloureux arrachement, une séparation sans pardon.Passionné très jeune par la politique, sa...