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Actualités - INTERVIEWS

Meshaka et sa troupe les 29-30 à Beiteddine : une Lucrèce Borgia humanisée. (photos)

Vendredi 29 et samedi 30 août, à Beiteddine, «Lucrèce Borgia» de Victor Hugo, mise en scène par Jean-Marie Meshaka et jouée par sa troupe, «Le théâtre de la Ruelle», créée en 1982 à Mulhouse. Comme on sait, c’est en Alsace que Meshaka, fuyant la guerre, s’est installé il y a maintenant vingt ans. En 1994, il renonce à sa première casquette de chirurgien dentiste, met la clé sous la porte et se consacre uniquement au théâtre, qu’il a toujours chéri. Avant la guerre en effet, il s’était fait dans le flamboyant, dans le théâtre de Beyrouth de l’époque, un petit nom en défendant des pièces de vaudeville, du Feydeau notamment.

«J’ai enfin réalisé mon rêve», dit-il, «et Mulhouse a mis à ma disposition un théâtre». Normal: il est professeur d’art dramatique au Conservatoire de la ville.
Le dernier passage de Meshaka au pays natal remonte à cinq ans. «C’était à l’occasion de la réouverture du TDB à Aïn el-Mreissé. Nous avions joué «Volpone». Onze représentations. Un succès, un grand moment d’émotion, ces retrouvailles avec mon public, se souvient-il. Cela faisait 15 ans que j’avais été absent, le pays sortait de la guerre et beaucoup traversaient le «ring» pour la première fois depuis de longues années…»
Aujourd’hui, c’est donc «Lucrèce Borgia».
«Tout le monde connaît l’histoire de cette famille particulière qui a traversé le XVIe siècle avec tout ce qu’on sait de meurtres, d’incestes…», dit-il. «Victor Hugo est parti d’éléments vrais, qu’il a racontés dans son propre langage. Il a voulu, d’une certaine manière, réhabiliter Lucrèce, montrer qu’elle n’était pas seulement l’empoisonneuse ou la sorcière qu’on dit, et qu’il y avait derrière tout cela aussi une femme, une vraie. D’ailleurs elle dit elle-même, ajoute Meshaka, qu’elle a pris le chemin du mal parce que sa famille l’y a induite, et qu’elle aurait pu être autre chose si elle avait vécu dans un autre contexte…»
Pour Jean-Marie Meshaka, cette œuvre est «l’occasion de démontrer que le «pouvoir du pouvoir» est le même aujourd’hui qu’il y a quatre siècles». Soulignant en effet que le pouvoir exerce une action sur ceux-là même qui le détiennent, il conclut: «La façon dont on gère la politique est restée la même. Les moyens ont changé mais pas le discours ni les objectifs».
Est-ce là la raison de son choix? «Non, répond-il. Mon but n’est pas de traiter du pouvoir… En général, mes choix sont des coups de cœur. Cette année, je voulais aborder Victor Hugo en tant qu’auteur, et cette pièce — qui n’a pas souvent été jouée — m’a attiré par son côté historique et par son actualité». Et de noter que «Lucrèce Borgia» a été montée et jouée à Mulhouse. «Je ne l’ai donc pas préparée pour le festival, mais j’y ai quand même apporté quelques modifications».

Configuration

Sur scène, 21 acteurs. «La troupe est composée d’un noyau dur de douze acteurs», indique-t-il. «Cependant, avec l’équipe des techniciens, nous serons 25 à Beiteddine. Nous sommes tous Français, quoique je reste pour ma part «très Libanais»».
Pour «Lucrèce Borgia», une scénographie «spéciale». «Toute la configuration des gradins va changer. Ce ne sera pas une scène à l’italienne, mais une scène centrale qui divisera le public en deux. Le spectacle se déroule donc sur un couloir qui traverse la cour d’un bout à l’autre. Le public sera installé en vis-à-vis», explique-t-il.
Pourquoi? «Parce que je traite cette pièce comme une messe noire. Tout ce processus, ce rituel autour du vin et autour de ces fêtes… Les fêtes peuvent être merveilleuses mais elles peuvent aussi être, parfois, des messes noires», dit-il.
L’approche du public est plus intimiste et le substrat musical est aussi un peu particulier. «Je ne peux pas en dire plus», ajoute Meshaka. «Cependant, il faut préciser que «Lucrèce Borgia» est également une épopée, un polar, avec beaucoup de costumes et d’accessoires»…
A noter qu’auparavant, le 27, «Le théâtre de la Ruelle» aura donné le «Souper», ce fameux duel Talleyrand-Fouché, au C.C.F de Deir el-Kamar, à la demande de la municipalité. Représentation unique et quasi-confidentielle en fait, qui n’est pas ouverte au public.
«Là encore, il s’agit d’un fait historique puisque ce souper a réellement eu lieu, le 6 juillet 1815, à un moment où la France était «flottante», où il n’y avait plus de pouvoir», indique le metteur en scène, qui assume le rôle de Fouché. «Ce sont deux monstres, d’une intelligence aiguë, qui jouent, au cours de cette rencontre, l’avenir de la France. A travers cette discussion, on perçoit le parcours que suivent des gens de pouvoir pour arriver à leurs fins».
A signaler que le député-maire de Mulhouse, Jean-Marie Bockel, sera du voyage et assistera aux deux spectacles du «Théâtre de la Ruelle».
Bien que les deux pièces aient «très bien marché» en Europe, Jean-Marie Meshaka avoue qu’il a le trac. «Le théâtre c’est du vent, du «direct». C’est très fragile. D’abord nous jouons dans un cadre prestigieux. J’aborde un public qui me connaît peut-être, mais qui ne m’a pas vu depuis cinq ans. Je n’ai pas envie de le décevoir», dit-il.
Est-ce un défi à relever? «Je n’aime pas le mot «défi»», dit-il. «Je viens rencontrer mon public, et si j’apporte quelque chose, c’est un moment de bonheur à partager. «Défi» veut dire que je cherche à gagner. Je n’ai pas envie de gagner mais de partager quelque chose avec un public et un pays que je connais, que j’aime, et qui reste le mien»…

Propos recueillis par
Natacha SIKIAS
Vendredi 29 et samedi 30 août, à Beiteddine, «Lucrèce Borgia» de Victor Hugo, mise en scène par Jean-Marie Meshaka et jouée par sa troupe, «Le théâtre de la Ruelle», créée en 1982 à Mulhouse. Comme on sait, c’est en Alsace que Meshaka, fuyant la guerre, s’est installé il y a maintenant vingt ans. En 1994, il renonce à sa première casquette de chirurgien dentiste,...