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Actualités - INTERVIEWS

Dans une interview à l'Orient Le jour Boueiz : après un an d'absence les USA de retour au Proche-Orient Sultan Abou Ainayne est responsable des tirs de Katioucha, déclare le chef de la diplomatie (photo)

Selon le ministre des Affaires étrangères, M. Farès Boueiz, la venue de Dennis Ross dans la région et la visite annoncée au Proche-Orient du secrétaire d’Etat prouvent que les Etats-Unis sont de retour après une absence d’une année. Mais il est encore trop tôt pour dire si le chef de la diplomatie américaine sera porteur de nouvelles propositions susceptibles de débloquer le processus de paix.
Dans une interview accordée hier à «L’Orient-Le Jour», le ministre des A.E. a qualifié d’explosive la situation au Liban-Sud, affirmant que le calme ne régnera pas dans la partie méridionale du pays à court et à moyen terme. M. Boueiz a une nouvelle fois accusé le président de l’Autorité palestinienne, M. Yasser Arafat, de fournir à l’Etat hébreu des prétextes pour une opération contre le Liban. Il a précisé dans ce cadre qu’il possédait des informations prouvant que le représentant du Fateh-Arafat au Sud, le colonel Sultan Abou Aïnayne, est responsable des derniers tirs de Katioucha contre la Galilée vendredi 8 août.
Question: Vous êtes plutôt pessimiste au sujet de la situation au Sud, alors que MM. Nabih Berry et Rafic Hariri multiplient les déclarations apaisantes. Pourquoi vos points de vue sont-ils contradictoires?
Réponse: Il ne s’agit pas d’une contradiction, mais d’une plus grande sensibilité à certains aspects. Le premier ministre est plus sensible à la question économique. Aussi essaye-t-il d’éviter les déclarations pouvant avoir un impact négatif sur la conjoncture économique. Il a une tendance naturelle à vouloir réduire le volume des choses. M. Berry a d’autres considérations. Il sait que, lorsque la situation au Sud devient explosive, la population resserre les rangs autour du Hezbollah à ses dépens. Son intérêt est donc de rassurer les gens. Plus la situation est normale, plus sa légitimité parlementaire est grande. En temps de crise, la population se dirige vers ceux qui sont sur le terrain, c’est-à-dire le Hezbollah. En tant que ministre des Affaires étrangères, je n’ai pas à faire ce genre de calculs. J’ai peut-être intérêt à exagérer les faitspour rameuter l’opinion publique externe. Mon conditionnement politique m’impose de tirer la sonnette d’alarme, alors que les considérations économiques et psychologiques de MM. Hariri et Berry les contraignent à tenir des propos rassurants. La presse aussi est parfois responsable de l’exagération des faits. Pour ma part, je n’ai jamais dit qu’une opération israélienne d’envergure est imminente. J’ai précisé qu’à cause de divers facteurs, nous traversons une période assez tourmentée, une période de grande nervosité qui peut dégénérer.

Des enregistrements
de communications
israéliennes

Q.: Quels sont ces facteurs?
R.: Nous avions deux informations qui nous faisaient craindre une escalade sur le terrain. D’abord, nous avons des enregistrements de communications israéliennes donnant à la milice du Sud des ordres très précis de bombarder des civils. Cela dénote un degré d’agressivité assez avancé. Ensuite, des hélicoptères israéliens ont atterri de nuit à plusieurs reprises ces dix derniers jours sur les hauteurs de Baalbeck. L’armée libanaise qui s’est rendue sur les lieux a retrouvé des traces.
Q.: Et sur le plan politique?
R.: Netanyahu a torpillé le processus de paix en vidant de son contenu la conférence de Madrid. Il a remplacé le postulat de «la terre contre la paix» par celui de «la paix contre la paix», il a estimé que les résolutions internationales impliquent «des retraits qui restent à négocier» et non pas un retrait total, et a rejeté le principe d’une solution négociée pour Jérusalem. Le blocage du processus de paix s’est traduit par une détérioration de la situation économique en Israël. Et si Netanyahu a réussi à torpiller ce processus, il n’a rien proposé en échange. Or les Israéliens sont habitués à une mobilisation idéologique et il y a aujourd’hui un malaise en Israël qui se concrétise aussi bien au sein du Likoud que dans le gouvernement. Les Israéliens sont aussi indisposés par le «One man show» de leur premier ministre. Ils estiment que cet homme qui travaille seul est en train de prendre d’importantes décisions qui étaient traditionnellement prises par l’ensemble du commandement israélien. C’est de là que découlent ses problèmes avec son ministre des Affaires étrangères, David Lévy, son ex-ministre des Finances, Dan Méridor, et Ariel Sharon.

Mobiliser autour
d’un danger

Q.: Il a quand même été élu pour la première fois au suffrage universel.
R.: Oui, mais il y a un gouvernement. Et je ne fais que citer les reproches de Lévy, de Méridor et de Sharon. Netanyahu n’a pas de solutions à proposer à tous les problèmes économiques et politiques. Pour échapper à la pression exercée contre lui, il cherche à chauffer les fronts externes d’une manière continue dans le but de remobiliser les Israéliens autour d’un danger. Il y a un mécanisme automatique en Israël: à chaque fois qu’il y a un danger externe, les problèmes internes sont relégués au second plan.
Par ailleurs, Netanyahu subit aujourd’hui des pressions américaines même si elles sont timides. Sur le fond, il est en désaccord avec les Américains, surtout depuis qu’il leur a imposé sa vision qui consiste à dire: «Arrêtez les promesses et les garanties qui vous avez faites aux Arabes. Cessez vos navettes au Proche-Orient parce qu’elles remontent le moral des Arabes et laissez-moi essayer une période de fortes pressions au bout de laquelle je les mènerais à la paix de façon plus radicale». Les Américains n’étaient pas d’accord parce que cela sabotait leur rôle d’intermédiaire honnête. Mais pour éviter le conflit avec l’Etat hébreu, ils ont donné une chance à Netanyahu. Ils ont adopté un profil bas et se sont retirés du jeu. C’est ce qui explique que, depuis un an, le secrétaire d’Etat n’est plus venu dans la région et que M. Dennis Ross ne s’occupait plus que d’un petit aspect sécuritaire du dossier palestinien. A la veille de la venue de Mme Madeleine Albright, il est logique de penser que les Israéliens essayent de placer très haut la barre pour convaincre le secrétaire d’Etat, qui selon eux se mêle de choses qui ne la regardent pas, d’examiner les questions de sécurité et non pas de politique. Les Israéliens veulent faire en sorte que le titre sécuritaire soit prédominant sur le politique.

Paix et sécurité sont liées

Q.: Mais sur le plan sécuritaire, Netanyahu n’a pas accompli de grandes réalisations. Cela ne va-t-il pas l’obliger à revoir ses priorités?
R.: En effet, toute la philosophie politique de Netanyahu était basée sur la sécurité. Il a dit aux Israéliens que Shimon Pérès et Yitzhak Rabin, malgré toutes les concessions faites aux Arabes, n’ont pas pu obtenir la sécurité. Or depuis un an qu’il est au pouvoir, aucune opération importante n’a eu lieu. Et puis subitement il y a eu les attentats de Jérusalem qui ont marqué l’échec de toute sa théorie. Il est apparu qu’en l’absence d’une paix, les Israéliens ne peuvent obtenir la sécurité. Paix et sécurité sont donc étroitement liées. Le premier ministre israélien a aujourd’hui tout intérêt à essayer de remonter le moral de ses troupes en faisant croire que son armée a les moyens de contrer la résistance au Liban. De plus, Netanyahu est déterminé à ne pas jeter du lest concernant les accords d’Oslo. Il veut donc opérer une diversion vers le Sud pour éloigner les regards de la communauté internationale de ce qui se passe à Gaza et dans les territoires occupés. La combinaison de tous ces facteurs, en y ajoutant l’élément stratégique qui est que le premier ministre israélien ne veut pas la paix et veut effacer les résultats de la conférence de Madrid, nous laisse penser que nous vivons une situation nerveuse et alarmante.
Q.: Vers quelle situation cela peut-il dégénérer?
R.: Personne ne le sait. Mais une chose est sûre, les développements ne sont pas rassurants. A court et à moyen terme, je ne pense pas que le calme régnera au Liban-Sud.
Q.: Quel rôle M. Arafat joue-t-il dans tout cela? Les accusations lancées contre lui par les responsables libanais sont-elles réellement fondées?
R.: Complètement isolé à Gaza, M. Arafat est contraint de négocier bien en deçà du plafond d’Oslo qui, en soi, n’était pas une grande réalisation. Les négociations entre l’Autorité palestinienne et les Israéliens portent uniquement sur l’aspect sécuritaire. Aujourd’hui, M. Arafat n’est plus en mesure de donner davantage aux Israéliens sans risquer une guerre civile chez lui. Aussi, tente-t-il d’opérer une diversion en direction du Liban en proposant à l’Etat hébreu d’être son complice dans une éventuelle action au Sud. D’habitude quand il y a des tirs de Katioucha, les différentes forces entrent en compétition pour revendiquer l’opération. Or, lorsque les six roquettes ont été récemment tirées sur la Galilée, la Résistance a publié un communiqué annonçant qu’elle n’était pas responsable de ce tir. Nos informations nous disent que (le colonel) Sultan Abou Aïnayne (responsable du Fateh de M. Arafat au Liban-Sud) est derrière cette affaire. Le lendemain, le chef de l’Autorité palestinienne a déclaré que l’escalade au Sud est liée aux deux attentats de Jérusalem dont les deux auteurs viennent, selon lui, de l’extérieur. Visiblement, M. Arafat est en train de procéder à une préparation de terrain pour une opération israélienne.

Visite possible de
Ross à Damas

Q.: La mission de Ross peut-elle contribuer à faire baisser la tension?
R.: D’émissaire de la paix au Proche-Orient, M. Ross est devenu le négociateur d’un chapitre du dossier palestinien. Sa mission a été réduite à sa portion congrue qui est le problème sécuritaire palestinien. Depuis un an, nous n’avons pas entendu M. Ross parler ni du Golan, ni du Liban-Sud, ni de la paix en général. La visite à Damas du médiateur américain est possible. Mais je pense que d’éventuels entretiens avec les responsables syriens porteront aussi sur les moyens de calmer la situation dans les territoires palestiniens et non pas sur le dossier syrien.
Q.: Peut-on en dire de même de la visite de Madeleine Albright?
R.: Depuis son élection, Netanyahu a imposé aux Américains d’arrêter toutes leurs navettes qui remontaient le moral des Arabes, comme nous l’avons dit. Au bout de trois réunions, il semble que le chef de l’Etat américain ait accepté de donner une chance à Netanyahu afin qu’il essaye ses méthodes. Aujourd’hui, le style Netanyahu a prouvé qu’il s’agissait d’un fiasco total. Oslo n’existe pratiquement plus, les autres volets sont complètement gelés... Les Américains estiment que si les choses continuent comme cela, le processus de paix va être complètement détruit. D’autre part, Washington s’inquiète de l’ingérence européenne grandissante dans le règlement du conflit du Proche-Orient. L’Administration US réalise qu’elle ne peut plus demander à l’Europe de rester inactive dans cette région, alors qu’elle-même ne fait rien pour débloquer la situation. La venue de Mme Albright montre que les Américains bougent un peu. On a l’impression qu’il y a un retour des Etats-Unis au Proche-Orient. Mais il est trop tôt pour dire si ce retour est fondamental ou simplement tactique. Vont-ils discuter avec les Palestiniens, la Syrie et le Liban du fond du problème ou veulent-ils seulement calmer les Européens et certains de leurs alliés arabes? A ce stade, personne n’est en mesure de répondre à ces interrogations. Personne non plus ne sait si Mme Albright sera porteuse de nouvelles propositions, ou s’il s’agit uniquement d’un voyage de prospection.
Q.: Sa déclaration concernant la nécessité de poursuivre le processus de paix sur la base de la terre contre la paix n’est-elle pas encourageante?
R.: Effectivement, depuis trois semaines, nous captons des signaux américains qui méritent d’être pris en considération. Il y a eu aussi une autre déclaration de Mme Albright assez musclée et plutôt équilibrée condamnant Palestiniens et Israéliens. C’est déjà pas mal qu’Israël ait été condamné avec autant de clarté. Il y a toute une série de signaux qui demeurent cependant insuffisants pour affirmer si nous sommes à la veille d’un nouveau plan américain global ou uniquement d’une action ponctuelle.

P. Kh.
Selon le ministre des Affaires étrangères, M. Farès Boueiz, la venue de Dennis Ross dans la région et la visite annoncée au Proche-Orient du secrétaire d’Etat prouvent que les Etats-Unis sont de retour après une absence d’une année. Mais il est encore trop tôt pour dire si le chef de la diplomatie américaine sera porteur de nouvelles propositions susceptibles de...