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Actualités - ANALYSE

Affaire Wakim : l'article 39 accorde une immunité absolue aux députés

La polémique provoquée par les poursuites judiciaires engagées contre le député Najah Wakim en raison de propos diffamatoires et injurieux qui lui ont été attribués à l’encontre de hauts responsables de l’Etat a permis de déterrer de nombreuses affaires similaires et qui se sont toutes terminées à l’avantage des parlementaires mis en cause.
L’article 39 de la constitution qui stipule qu’«aucun membre de la Chambre ne peut être poursuivi à l’occasion des opinions ou votes émis par lui pendant la durée de son mandat» constitue en effet une solide protection pour les députés libanais. Le 17 octobre 1927, cet article avait été amendé de manière à interdire catégoriquement les poursuites pénales contre les parlementaires pour des opinions et des idées exprimées à l’intérieur ou à l’extérieur de l’hémicycle et quelle que soit la nature des propos qu’il tient en sa qualité de représentant du peuple. Les opinions du député peuvent porter sur n’importe quelle question intéressant le peuple qui lui a accordé un mandat. Et selon l’article 27 de la constitution, le député représente toute la nation et son mandat ne peut être lié à des conditions posées par ses électeurs. Aussi, fallait-il accorder au parlementaire une immunité et une liberté d’action à condition que les votes émis par lui ne soient pas motivés par des intérêts purement personnels. Ces arguments ont été longuement développés par l’avocat de M. Wakim, Me Béchara Abou Saad, dans l’exception de forme qu’il a soulevée et qu’il a présentée par écrit jeudi dernier au juge d’instruction Fouad Geagea.
Me Saad a réclamé l’arrêt des poursuites contre son client et a estimé que le flagrant délit invoqué pour le déférer devant la justice conformément à l’article 40 de la constitution ne peut être appliqué à cette affaire. Selon l’avocat, le flagrant délit concerne un crime qui a des témoins et dans le cadre duquel des suspects sont arrêtés et trouvés en possession d’armes ou de documents prouvant qu’ils sont les auteurs du crime en question. Dans le cas du flagrant délit, les poursuites doivent être engagées moins de 24 heures après les faits incriminés. Pour ce qui concerne l’affaire Wakim, 48 heures s’étaient déjà écoulées lorsque le parquet a été saisi par le ministre de la Justice.
L’immunité dont jouit le député conformément à l’article 39 a été consacrée par plusieurs verdicts émis par les tribunaux dans le cadre d’affaires similaires. Le 7 décembre 1972, le tribunal des imprimés présidé par M. Youssef Gébrane (président de la cour d’appel) avait jugé irrecevable la plainte déposée par l’ancien commandant en chef de l’armée, le général Emile Boustani, contre le député Raymond Eddé. La cour s’était basée sur l’article 39 qui garantit au parlementaire une immunité pendant la durée de son mandat.
Même conclusion dans les poursuites engagées le 8 juillet 1969 par le ministère public contre l’ancien député Abdel Karim Zein «qui a exercé son droit conformément à l’article précité».
Le tribunal militaire avait adopté le point de vue du défenseur de M. Zein, Me Antoine Frangié, qui avait soulevé une exception exhaustive qui fait aujourd’hui valeur de référence juridique dans ce domaine. Le commissaire du gouvernement près du tribunal militaire avait estimé que M. Zein ne jouissait pas de l’immunité parlementaire lors des faits qui lui étaient attribués. L’acte d’accusation s’était aussi rangé à cet avis. Me Frangié avait souligné que le commissaire du gouvernement avait interprété d’une manière erronée la constitution libanaise en se basant sur des jurisprudences françaises sans aucun lien avec l’affaire en cours. L’article 39 de la constitution libanaise est différent de l’article 13 de la loi fondamentale française de 1875 qui stipule qu’aucun membre de l’Assemblée nationale ne peut faire l’objet de poursuites pénales pour des opinions exprimées pendant «l’exercice de sa fonction». L’article 39 de la constitution libanaise interdit les poursuites «pendant la durée du mandat». La marge de manœuvre accordée aux députés libanais est plus grande que celle dont bénéficient les membres de l’Assemblée nationale en France.
Dans son ouvrage sur les pratiques parlementaires au Liban et dans les pays arabes, le député disparu Anouar el-Khatib déclare que «le principe de l’irresponsabilité du parlementaire conformément à l’article 39 est absolu».
De toute manière, la constitution française empêche aussi les poursuites contre les députés pour diffamation et injure «ou tout autre crime commis à travers les votes ou les paroles pendant l’exercice de leur fonction». Ceci permet au député de dire des choses que d’autres citoyens ne peuvent pas se permettre de dire sans tomber sous la coupe de la loi.
Cette immunité absolue dont bénéficie le député libanais a fait naître chez certains responsables l’idée d’amender l’article 39 de la constitution dans le sens de l’article 13 de la loi fondamentale en France. Mais les chances pour que le Parlement accepte de détruire un des derniers remparts qui permettent aux députés de critiquer l’action du gouvernement sont et resteront pendant longtemps presque nulles.

E. K.
La polémique provoquée par les poursuites judiciaires engagées contre le député Najah Wakim en raison de propos diffamatoires et injurieux qui lui ont été attribués à l’encontre de hauts responsables de l’Etat a permis de déterrer de nombreuses affaires similaires et qui se sont toutes terminées à l’avantage des parlementaires mis en cause.L’article 39 de la...