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Actualités - ANALYSE

Armée-gouvernement : des rapports difficiles mais toujours sous contrôle

D’un côté, les responsables politiques, tout de blanc vêtus comme des colombes de la paix, et de l’autre, des soldats bien entraînés, qui défilent consciencieusement.
A les voir réunis pour célébrer le 52e anniversaire de l’armée à Fayadieh, on pourrait croire qu’aucun conflit ne les a jamais opposés et que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. C’est comme si soudain, la crise — baptisée «problème de la promotion de certains officiers» — qui avait éclaté au début de l’année ainsi que les multiples différends autour, entre autres, des élections à la CGTL, des projets de loi sur l’abolition du service du drapeau et sur la réorganisation des FSI, qui avaient même entraîné une visite urgente à Chtaura du fils du président syrien, Bachar el-Assad, pour demander «une trêve», n’avaient jamais existé.
Pourtant, si pour la fête de l’armée, les responsables ont voulu préserver les formes, les relations entre l’Exécutif et la «grande muette» continuent à être mauvaises. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à écouter l’allocution du chef de l’Etat, à l’occasion du 1er août, dans laquelle, s’adressant aux soldats, il a affirmé: «Plus vous vous éloignez de la politique et plus vous vous rapprochez du peuple». De son côté, l’armée a distribué aux personnes présentes à la cérémonie un livret rappelant les réalisations de l’armée de 1990 à nos jours, et expliquant notamment l’utilité du service du drapeau ainsi que les ressources qu’il donne au trésor public...
La crise, à peine camouflée, se poursuit donc. Mais au-delà des questions ponctuelles, à quoi est-elle réellement due? Les proches du président du Conseil, M. Rafic Hariri, accusent certains responsables des services de «faire de la politique» et de le combattre ouvertement, à l’aide des multiples moyens dont ils disposent, dans le but de préparer le terrain à l’arrivée au pouvoir du général Lahoud. Ainsi, pour ces sources, la crise aurait commencé à la veille de la prorogation du mandat du chef de l’Etat, et elle connaît des hauts et des bas, selon les circonstances politiques.
D’autres politiciens, pas forcément proches de l’armée, mais hostiles au président du Conseil, pensent que même si le général ou certains de ses collaborateurs ont des ambitions politiques, le véritable problème n’est pas là. Selon eux, l’armée est la seule institution du pays qui résiste encore au contrôle du premier ministre, en dépit de toutes les tentatives de ce dernier de la «séduire» ou de mettre au pas certains de ses services.
Selon ces politiciens, le président du Conseil a d’abord essayé ouvertement de combattre les services de l’armée, profitant du malaise provoqué par les arrestations massives à la fin de l’année dans les milieux chrétiens et qui, en dépit du rattrapage tardif du parquet, étaient entachées de nombreuses irrégularités... Ce fut la crise dite de la promotion de certains officiers et il a fallu l’intervention de Damas pour éviter qu’elle ne s’envenime et pour qu’elle soit réglée à la manière libanaise, sans vainqueur ni vaincu.
Mais, dès lors, les deux parties campaient sur leurs positions. C’est dans ce climat ambigu qu’a éclaté la crise des élections au sein de la centrale syndicale, le 24 avril. Mais comme il fallait aussi préparer la visite du pape à Beyrouth, les 10 et 11 mai, elle a été plus ou moins gelée pendant quelques semaines. Selon des sources opposantes, le président du Conseil, estimant que la visite papale constitue une échéance cruciale pour le Liban et craignant un incident qui pourrait la compromettre, tout en mettant en question les efforts de sécurité au Liban, avait proposé de confier la sécurité pendant la visite aux forces syriennes présentes sur le territoire, conformément aux accords de sécurité signés entre les deux pays. Mais une délégation sécuritaire vaticane, venue spécialement au Liban pour préparer le séjour du Saint-Père, aurait refusé un tel arrangement, précisant que le pape ne pouvait se rendre au Liban et y être protégé par une armée étrangère, fût-elle «alliée».
C’est donc l’armée libanaise qui se chargea de la sécurité pendant la visite papale et elle s’en tira tellement bien que toutes les parties libanaises et étrangères concernées ont été amenées à lui rendre hommage.
Au lieu de calmer la tension entre l’Exécutif et l’armée, ce succès n’a fait qu’envenimer les choses. Les proches du premier ministre affirment que les militaires ont voulu profiter de ce regain de confiance pour marquer des points politiques, alors que les opposants déclarent que M. Hariri a aussitôt voulu couper court à toute tentative de faire fructifier la réussite de la visite du pape au bénéfice de l’armée. Et ce fut l’affaire des poursuites judiciaires engagées contre le chef de la centrale opposante, Elias Abou Rizk, et son secrétaire général, Yasser Nehmé, sur fond d’échanges d’accusations entre les deux parties. La mise en détention préventive, pour un délit mineur, pendant neuf jours, du chef de la centrale opposante, accusé par M. Hariri d’être proche de l’institution militaire, ou même d’être «l’instrument de l’armée dans sa lutte contre le premier ministre», a constitué l’apogée de cette nouvelle crise, qui comme toutes les autres n’a pas été finalement réglée, mais tout simplement mise en veilleuse.
Beaucoup de choses ont été dites sur le conflit entre le gouvernement et la centrale opposante, mais le rôle de l’armée dans cette affaire n’a pas encore été clairement défini, M. Abou Rizk niant toute intervention militaire et accusant les Forces de sécurité intérieure, sur instruction du gouvernement, d’avoir investi les locaux de la centrale. Alors que le président Hariri a, à plusieurs reprises, accusé ouvertement l’armée — et plus particulièrement ses services — d’avoir procédé à des élections syndicales fictives, dans le but de l’affaiblir. Entre les deux parties, la tension était devenue si grande que le fils du président syrien, M. Bachar el-Assad, a dû se rendre à Chtaura pour y rencontrer le président Hariri et lui demander, selon certaines sources, de cesser d’attaquer publiquement l’armée.

Le service du drapeau

Ce nouveau dossier à peine gelé, le gouvernement — par la personne du ministre de la Défense, désormais acquis aux thèses de son chef après avoir été proche du commandement de l’armée — envoie au Parlement un projet de loi proposant l’annulation du service du drapeau, sous prétexte qu’il entraîne de grosses dépenses pour le Trésor. En réalité, le projet a été établi sans que le commandement de l’armée n’en ait été informé et depuis, il mène campagne contre lui, affirmant que le service du drapeau est vital puisqu’il permet de consolider l’entente entre les Libanais (en particulier la nouvelle génération), tout en étant très peu coûteux. L’affaire est toujours en suspens, la Chambre ayant reporté l’examen de ce projet.
Un autre projet de loi a alors commencé à faire parler de lui, il s’agit de la réorganisation des FSI. Pour le premier ministre, la loi actuelle est complètement obsolète et il faut à tout prix moderniser les structures des Forces de sécurité qui devraient être en mesure d’assurer la sécurité à l’intérieur du territoire, laissant à l’armée la mission de défendre les frontières. Par conséquent, son projet prévoit le renforcement des effectifs, des équipements et des moyens des FSI. En théorie, la thèse est irréprochable, mais les détracteurs du président du Conseil estiment qu’on ne peut dissocier ce projet des différends qui l’opposent à l’armée, d’autant qu’en parallèle à ce projet, M. Hariri se propose de réduire les effectifs et les équipements de «la grande muette». Ceux qui sont opposés à ce projet estiment que le président du Conseil veut ainsi créer une «armée parallèle» dotée de toutes les structures propres à une armée et rattachée directement au chef du gouvernement. Indépendamment des susceptibilités confessionnelles que cette formule soulève, elle ranime l’hostilité latente entre l’armée et M. Hariri.
Ce dossier particulièrement délicat est amené à connaître d’importants développements au cours des prochaines semaines, car, une nouvelle fois, il cristallise le profond malaise qui continue à régner au Liban.
C’est sur fond de réforme controversée de la loi sur les FSI qu’ont commencé les huitièmes Jeux panarabes. La sécurité en a été naturellement confiée à l’armée, qui, une fois de plus, a su gérer, sans incidents majeurs, une foule surexcitée de plusieurs milliers de personnes. D’ailleurs, comme pour la visite du pape, cela lui a valu de nombreux hommages à la fois locaux et internationaux.
Mais cela n’a pas pour autant désamorcé la crise entre les militaires et le gouvernement. Au contraire. Pendant le séminaire économique des 21 et 22 juillet dernier, le premier ministre aurait, selon des sources bien informées, critiqué l’importance des sommes octroyées annuellement à l’armée. Parlant du déficit public, il aurait précisé que le budget de l’armée est de 817 milliards de L.L. auxquels il faut ajouter 320 milliards pour ce qui est appelé «le matériel de sécurité» et M. Hariri aurait ajouté que ce sont des sommes bien trop importantes, mais s’il cherche à les réduire, il sera aussitôt accusé de combattre l’armée.
De son côté, l’armée se plaint des restrictions financières qui lui sont imposées, notamment en matière de soins médicaux... Et le débat se poursuit, par partisans et opposants interposés, augmentant encore le malaise au sein de la société libanaise, qui voudrait pouvoir se réjouir sans arrière-pensées de la sécurité retrouvée...

Scarlett HADDAD
D’un côté, les responsables politiques, tout de blanc vêtus comme des colombes de la paix, et de l’autre, des soldats bien entraînés, qui défilent consciencieusement.A les voir réunis pour célébrer le 52e anniversaire de l’armée à Fayadieh, on pourrait croire qu’aucun conflit ne les a jamais opposés et que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. C’est...