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Actualités - INTERVIEWS

Georges Saadé à l'Orient Le Jour : certains, au pouvoir, se vantent d'avoir neutralisé les kataëb Je n'ai approuvé le document de Taëf qu'après avoir reçu l'aval des membres du bureau politique, affirme le chef du parti (photos)

Après avoir longtemps occupé les devants de la scène chrétienne et parfois nationale, le parti Kataëb semble aujourd’hui marginalisé. Depuis 1992, il n’a plus de députés au Parlement et il n’arrive pas à se trouver une place entre loyalistes et opposants. Pourtant, en dépit de ses multiples adversaires (nouveaux et anciens), le parti a quand même réussi à faire élire un de ses membres au conseil exécutif de la Ligue maronite. M. Rachad Salamé est d’ailleurs le seul membre d’un parti à avoir été élu. Enfin, lors de la visite de l’émir Abdallah ben Abdel Aziz et de l’émir Séoud el-Fayçal à Beyrouth, les deux responsables séoudiens se sont étonnés de l’absence du Dr Saadé aux réceptions officielles. Et l’émir Fayçal a même tenu à accorder une entrevue de 30 minutes au chef de ce parti qu’il avait bien connu à Taëf. Alors, complètement désintégré, le parti de Cheikh Pierre, tiraillé entre de multiples groupes qui revendiquent la légitimité de l’héritage Kataëb? M. Saadé refuse ce genre d’affirmations. Après avoir fait un passage à vide — dû notamment à deux opérations chirurgicales —, il veut maintenant redorer le blason de son parti et tenter une réconciliation avec les opposants. Mais cela ne l’empêche pas d’en avoir gros sur le cœur...
— Pourquoi, après avoir longtemps joué un rôle important, le parti Kataëb est-il désormais dans une si triste situation?
— Actuellement, plus personne n’est important. Pourtant, dans le document d’entente nationale, adopté à Taëf, nous nous étions engagés à renforcer l’Etat et ses institutions. Nous devions aussi créer de nouvelles institutions. Or, celles-ci n’ont pas vu le jour ou alors leur rôle a été marginalisé alors que les institutions existantes ont été neutralisées. Dans ces conditions, il est normal que les Kataëb n’échappent pas à cette situation. D’autant que ce parti a longtemps influé sur le cours des événements, que ce soit négativement ou positivement. Vivant de près les bouleversements, certains membres du parti se sont sentis attirés par les thèses du courant aouniste, et d’autres par celles des Forces libanaises. Quant à ceux qui restaient attachés au commandement du parti, ils ont été la cible de tentatives d’infiltration par certains hauts responsables de l’Etat qui les ont poussés à ne plus respecter la discipline du parti. Toutes ces interférences ont abouti à la situation actuelle. Mais nous remercions Dieu parce que le parti existe encore en dépit de tous les coups qu’il a subis.
— Certains disent pourtant que le parti Kataëb ne regroupe plus que le Dr Saadé et quelques-uns de ses partisans. Or vous en êtes le président depuis 1986. N’auriez-vous pas pu tout au long de ces années récupérer une partie de la base?
— Lorsque j’ai été élu en 1986, le président de la République de l’époque, M. Amine Gemayel, a pris cela comme un défi personnel. Et peu de temps après mon élection, trois membres du bureau politique, le secrétaire général du parti et 7 responsables ont présenté leur démission et se sont constitués en groupe ayant pour siège le bâtiment «d’iqlim el Metn». Ils ont mené la guerre contre le commandement du parti. Quelque temps plus tard, le conflit entre le parti et les FL a éclaté. Il n’a cessé de s’amplifier jusqu’à connaître son apogée en 1992, au moment de l’élection du chef du parti, lorsque le Dr Samir Geagea et moi-même nous sommes affrontés. Tous ces événements ainsi que les décisions graves que nous avons été amenés à prendre ont contribué à l’affaiblissement du parti.
Je tiens toutefois à rappeler que je n’ai approuvé le document de Taëf qu’après avoir reçu l’aval des membres du bureau politique. Il y a eu ensuite les élections présidentielles puis l’assassinat du président René Moawad. Personnellement, j’ai boycotté les élections du président Hraoui.
— Pourquoi? Vouliez-vous être candidat à sa place?
— J’ai présenté ma candidature contre le président René Moawad seulement. Ma décision avait d’ailleurs été prise à la demande de nombreux députés qui menaçaient de boycotter les élections si je ne présentais pas ma candidature. Par souci de la démocratie, j’ai donc répondu à leur attente. Après cette échéance, nous avons traversé une longue période de silence où nous ne pouvions pas émettre nos opinions et expliquer nos positions à l’opinion publique. Tout cela a creusé un certain fossé entre la base et le commandement. Même si nous avons toujours été soucieux de préserver la démocratie au sein du parti, puisque, pour la première fois dans l’histoire des Kataëb, nous avons procédé à l’élection des responsables de districts. Malheureusement, en raison de l’ignorance des faits réels, la base a élu dans certaines régions, des personnes qui se sont ensuite rebellées contre les directives du parti et ont justifié cela en se présentant comme des victimes ou des promoteurs d’un mouvement de redressement. A ce sujet, je reconnais que le commandement a commis une erreur en ne contactant pas directement la base afin d’expliquer nos positions véritables. Mais de là à dire qu’il n’y a plus au parti que le Dr Saadé et quelques partisans, c’est faux. Le bureau politique et le conseil central qui se réunissent tous les lundis comptent à eux seuls plus de 150 personnes.
— Mais où est la base?
— Elle existe toujours, même si, dans certaines régions, elle est divisée. Nous avons d’ailleurs commencé un plan de réhabilitation qui prévoit de nouvelles nominations à la tête des districts, puis une vaste campagne de mobilisation, par le biais de conférences et autres débats.
— Vous n’avez pas dit pourquoi vous avez boycotté l’élection du président Hraoui...
— J’ai refusé de me rendre à Chtaura.
— Quelle est la différence entre Chtaura et Kleyate (où s’est déroulée l’élection du président Moawad)?
— J’étais d’abord opposé au déroulement des élections avant l’enterrement du président Moawad. Ensuite j’ai demandé que l’élection ait lieu à l’endroit même où a été élu le président Moawad. Même s’il n’y a pas de différence entre les deux lieux, je ne voyais pas l’intérêt de se rendre à Chtaura plutôt qu’à Kleyate. Je ne voulais pas qu’on puisse dire que le président a été élu à l’ombre d’une présence militaire syrienne.
— N’y avait-il donc pas une présence syrienne, au moins politique, à Kleyate?
— Peut-être. Mais pourquoi donner des arguments aux sceptiques? Les élections de Kleyate étaient le résultat d’une décision internationale qui avait poussé le président Husseini à se rendre à Paris pour y rencontrer les députés qui y étaient installés et dont je faisais partie. Lorsque le général Aoun a refusé que les élections se déroulent au siège du Parlement, après la création d’une zone de sécurité contrôlée par l’armée libanaise, on a proposé le bâtiment de la Banque centrale. J’ai personnellement refusé et nous nous sommes entendus pour que les élections se déroulent à Kleyate car là-bas, le député installé à l’étranger pouvait reprendre aussitôt l’avion.
— Est-ce à cause de ce boycott que votre relation avec le chef de l’Etat s’est détériorée?
— Peut-être et peut-être aussi que j’étais opposé à la prorogation de son mandat pour une question de principe. La Constitution était encore toute fraîche et j’étais opposé à son amendement pour des raisons personnelles. A l’époque, je n’étais plus au parlement, mais j’ai quand même exprimé mon opposition à cette prorogation.
— Finalement, vous avez perdu sur tous les tableaux: celui de l’opposition et celui des loyalistes...
— Mais j’ai gardé mes convictions et ma conscience. Je suis convaincu d’avoir agi dans l’intérêt du Liban.
— Mais apparemment pas dans l’intérêt des Kataëb, vu la situation du parti...
— Mettez-vous une chose en tête: ils partiront tous, mais les kataëb resteront. Nous sommes un parti bien enraciné. Ce n’est pas parce que, profitant de certaines circonstances, des personnes ont pu les affaiblir que les Kataëb disparaîtront. D’ailleurs, de 1936 à nos jours, ce parti a traversé plusieurs crises, il a même été dissous peu après le rôle national joué par Pierre Gemayel et Elias Rababi au moment de l’indépendance.
— Ne regrettez-vous pas d’avoir radié de nombreux responsables du parti? D’autant que vous n’avez pas pu les remplacer...
— Pendant les événements, il y a eu beaucoup d’adhésions au parti, mais il s’agissait d’une sorte de gonflement artificiel. Certains sont entrés au parti pour sauver leurs têtes, d’autres sont entrés pour se venger ou pour réaliser certains profits. C’est pourquoi nous avons décidé de fermer la porte aux nouvelles adhésions. Nous ne l’avons rouverte qu’il y a trois ans environ et il y a eu au moins deux cérémonies de prestation de serment. Nous avons aussi procédé à une sorte d’épuration de nos rangs, notamment après avoir décidé qu’il ne pouvait pas y avoir une double allégeance au sein du parti. Certains membres ont été déférés devant un conseil d’honneur, présidé à l’époque par le vice-président du parti, M. Mounir Hajj. D’autres ont été expulsés par le bureau politique pour avoir commis des fautes graves...
— Combien y a-t-il actuellement d’adhérents au parti?
— Je n’ai pas de chiffres exacts, car nos fiches informatisées ont disparu lors de l’attentat contre le siège central (en décembre 93). Mais il doit y avoir au moins 26.000 membres.
— Que représentent aujourd’hui l’opposition kataëb et les Kataëb de l’émigration et où se situent-ils par rapport au parti?
—Ce sont des gens expulsés du parti. Ils usurpent un titre. Si nous intentions des procès contre eux, ils seraient en prison. Il aurait été préférable pour eux de dire qu’ils sont contre les Kataëb au lieu de se faire appeler «l’opposition kataëb» ou «les Kataëb de l’émigration». Mais nous préférons ne pas être trop pointilleux pour l’instant.
— Cela ne vous affaiblit-il pas encore plus?
— Non. Car ce sont les mêmes qui s’agitent.
— Il y a quand même eu un important congrès des Kataëb de l’émigration, il y a peu de temps?
— Quel important congrès? Ils étaient six personnes. D’ailleurs, ils sont venus ensuite me montrer leurs décisions.
— Il a été question à un moment donné d’une tentative de rapprochement entre le parti et l’opposition...
— Cette tentative se poursuit. Je préfère ne pas trop en parler. Nous avons formé une commission de quatre personnes et des réunions se tiennent à mon domicile pour tenter de trouver des terrains d’entente. Malheureusement, nous sommes souvent pris de court par des communiqués publiés dans la presse, fustigeant le commandement. Nous continuons à tendre la main pour une réconciliation et nous souhaitons que l’on nous dise où sont les erreurs que nous avons commises, car nul n’est à l’abri d’une faute. Il y a deux ans, au cours du 20e congrès du parti, nous nous sommes dotés d’un nouveau reglement très moderne et démocratique. Sur le plan politique, nous sommes aussi opposants qu’eux.
— Mais vous êtes avec l’accord de Taëf.
— Eux aussi. Le bureau politique et le Front libanais ont approuvé à l’unanimité l’accord de Taëf. C’est après que les slogans ont commencé à être lancés.

«Le président Gemayel
ne m’a jamais appuyé...»

— Où en est votre relation avec le président Gemayel? Après vous avoir combattu, il a appuyé votre candidature contre celle du Dr Geagea en 1992...
— Ce n’est pas vrai. Il ne m’a jamais appuyé. En 1992, il n’a pas voulu se prononcer. Au cours du dernier congrès dit de «l’émigration», ils ont pris des décisions administratives qui ne sont pas de leur ressort. S’il y avait un rapprochement entre le président Gemayel et moi, ils ne le feraient pas.
— Beaucoup considèrent que le fils de Pierre Gemayel est plus en droit d’être le chef du parti que vous-même...
— Vous voulez dire que je n’ai pas les capacités requises? J’ai mis ma vie au service de ce parti. Mais il faut respecter la démocratie. Nous avons d’abord accepté que le Dr Elie Karamé soit le président parce qu’on avait dit que tel était le testament de Cheikh Pierre. Ensuite, il y a eu des élections et je les ai remportées.
— Mais la devise du parti parle de «la famille»...
— Pas sous cet angle-là. On parle de la nécessité de préserver la cellule familiale, c’est tout.
— Mais au Liban, tout se passe selon l’hérédité ou les relations.
— Pas au sein des Kataëb. Preuve en est que ce parti a produit des députés et des ministres qui n’avaient pas d’hérédité ou des relations.
— Vous affirmez vouloir privilégier la démocratie au sein du parti. Comment conciliez-vous celle-ci avec votre présence depuis 11 ans à la tête du parti?
— Il y a eu des élections. La première fois, j’ai mené une bataille contre le Dr Elie Karamé, la seconde fois, mon rival était le Dr Samir Geagea et la troisième fois, nul ne s’est présenté contre moi.
— Ne leur aviez-vous pas demandé de ne pas le faire?
— Comment l’aurai-je pu? De plus, j’ai présenté à trois reprises ma démission, mais à chaque fois, le bureau politique la refusait. La dernière en date était à la suite des élections législatives de 1996. Je ne voulais pas faire assumer au parti mon échec et surtout l’hostilité des gens du pouvoir qui visiblement en voulaient à Georges Saadé en personne. Mais le bureau politique a estimé que mon départ causerait plus de tort au parti que mon maintien à sa tête.
— Certains disent justement que le bureau politique est formé de vos seuls partisans. Par conséquent, il va bien sûr refuser votre démission...
— Joseph Abou Khalil, Rachad Salamé, Karim Pakradouni, Mounir Hajj sont-ils mes hommes?
— Comment expliquez-vous votre échec aux élections législatives?
— Le pouvoir a utilisé tous ses moyens contre moi. De plus, le ministre Frangié avec lequel j’avais en principe noué une alliance m’a attaqué publiquement, déclarant «qu’il ne peut collaborer avec moi dans les élections». Il y avait donc un mot d’ordre de barrer mon nom de la liste (de Omar Karamé et Sleimane Frangié). Enfin, le fait que les Kataëb et le PSNS soient sur une même liste a provoqué une réaction chez les électeurs chrétiens. Sans compter le fait que la grande circonscription est désavantageuse.
— N’êtes-vous pas responsable du fait que depuis l’indépendance, et sous votre présidence, le parti n’a pas de députés dans deux Parlements successifs?
— En 1992, je ne suis pas responsable. Nous avons respecté un mot d’ordre de boycott pour ne pas briser l’unanimité chrétienne. D’ailleurs, les élections de 1996 ont peut-être été une réaction à celles de 1992. J’ai présenté ma candidature en 96 en connaissant d’avance le résultat. Et en présentant 13 candidats dans toutes les circonscriptions, nous voulions faire une sorte de recensement de nos forces.
— Mais le résultat a été désastreux.
— Pas du tout. Karim Pakradouni et Antoine Chader ont obtenu chacun 12000 voix à Beyrouth. Personnellement, j’ai officiellement obtenu 47.000 voix (mais on m’avait dit de source sûre que j’avais eu 54.000 voix). Le problème est que dans certaines circonscriptions, il y a eu plusieurs candidats kataëb, contrairement aux directives du parti.
— Si on vous combat tellement, n’est-il pas temps de laisser la scène à d’autres?
— Ce n’est pas tant Georges Saadé qui est visé que les Kataëb. Certains se vantent même d’avoir neutralisé ce parti.
— Vos allées et venues à Damas n’ont-elles pas réussi à atténuer la vindicte contre le parti que vous présidez?
— Je n’ai pas de complexes à ce sujet. Mais en aucun cas je ne ferai de contact sans préserver ma dignité et celle du parti. Et nous agissons suivant nos convictions. En 1992, les Syriens voulaient une participation aux élections et en 1995, ils appuyaient la prorogation du mandat du président Hraoui.
— Où se situe aujourd’hui ce parti? Vous n’êtes ni opposants ni loyalistes?
— Les Kataëb sont avec leur conscience et leurs convictions. La popularité est une chose fluctuante, mais ce qui dure, c’est cela. C’est pourquoi le parti survivra à toutes les crises.


Propos recueillis par Scarlett HADDAD
Après avoir longtemps occupé les devants de la scène chrétienne et parfois nationale, le parti Kataëb semble aujourd’hui marginalisé. Depuis 1992, il n’a plus de députés au Parlement et il n’arrive pas à se trouver une place entre loyalistes et opposants. Pourtant, en dépit de ses multiples adversaires (nouveaux et anciens), le parti a quand même réussi à faire...