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Actualités - OPINION

Wadi Qannoubine, une école de vie, du P. Michel Awit (photo)

A l’occasion de la visite du pape au Liban, le P. Michel Awit, le très efficace et discret secrétaire du patriarche maronite, a publié un court ouvrage de réflexion historique intitulé «Wadi Qannoubine, une école de vie», traduit de l’arabe.
Pour qui l’ignore, le mot Qannoubine vient du grec «Koïnobion», dont le terme «cénobitisme» est également tiré. Le cénobitisme, c’est la vie conventuelle. Wadi Qannoubine, c’est la vallée de la vie conventuelle, vécue à l’échelle de la communauté des maronites. La vallée s’appelle aussi Wadi Kadisha, d’un radical qui signifie «saint». On peut dire indifféremment Wadi Qannoubine ou Wadi Kadisha.
Dans l’histoire des maronites, dans leur spiritualité, dans leur imaginaire, le séjour du patriarcat dans cette vallée occupe une place privilégiée. Là, les maronites vécurent «un âge d’or» qui leur sert de terme de référence pour juger tous les autres temps de leur vie communautaire.
Le patriarcat maronite resta à Wadi Qannoubine un peu moins que 400 ans, de 1440 à 1823. Tout se joua alors, comme cela se joue aujourd’hui, autour du patriarcat. Les adversités humaines se conjuguèrent aux adversités naturelles, pour tremper le caractère de tout un peuple. Cela prit du temps. Le P. Awit se garde d’idéaliser cette époque, ou les maronites d’alors, mais il faut un constat. Vint un temps où l’unité de la communauté fut exemplaire, un peu à l’image de celle de la première communauté de chrétiens à Jérusalem.

Une leçon à tirer

C’est l’une des leçons à tirer de ce petit ouvrage: la nature humaine étant ce qu’elle est, le christianisme ne s’hérite pas, il se transmet; il doit être réapproprié par chaque génération. Nul n’est vraiment quitte de l’effort de conversion personnel. L’autre leçon, c’est que la vie communautaire n’est pas nécessairement la vie commune. L’appartenance à la communauté maronite est définie par un rapport humain, non par un mode d’habitation. Tous les maronites de la vallée de Qannoubine ne vivaient pas sous le même toit. Mais tous faisaient partie de cette fraternité qu’était, à un moment donné, «la vallée sainte». Une réalité d’ailleurs en profonde harmonie avec la vocation de saint Maron, qui est resté «dans le monde» et dont la communauté est parvenue à être, à un moment privilégié de l’histoire, «un monastère dans le monde».
Par rapport à l’âge d’or de Qannoubine, où ils parvinrent à former un peuple uni, les maronites d’aujourd’hui vivent en pleine décadence. C’est, en un sens, l’un des grands mérites de l’ouvrage du P. Awit que de le dire. De fait, si, à l’exemple de Jésus lui-même, l’on mesure à l’unité des croyants le signe de l’épanouissement d’une communauté chrétienne, alors le plus grand signe de la décadence vécue par les maronites, à l’heure actuelle, est leur état de division. Ce constat n’est pas un jugement «moralisateur». Le fait s’impose comme une donnée historique, objective, plus que comme une condamnation, quoique, sur le plan absolu, ce soit en effet un jugement, mais un jugement que nous aurions amené sur nous-mêmes.

Clivage clerc-laïc

Analysant les raisons de cette «décadence», le P. Awit en discerne plusieurs, sans approfondir ce point. Ainsi, figure parmi les causes de cette décadence des maronites le clivage clerc-laïc, qui s’est introduit au contact de l’Occident et a démobilisé les laïcs, la perfection chrétienne étant désormais l’affaire des seuls clercs. On remarquera que ce phénomène n’est pas propre aux maronites, et que le fait de confondre connaissances et éducation a constitué un piège pour toute la culture occidentale. Nous sommes là aux sources du relativisme éthique, l’individu devenant la source de sa propre morale, au détriment des valeurs morales objectives inscrites, selon l’anthropologie chrétienne, au cœur de chaque conscience.
Parmi les autres raisons de la décadence des maronites citées par le P. Awit, figure la généralisation, à partir du IXe siècle, de la langue arabe, alors que la liturgie demeurait en syriaque. Petit à petit, le peuple cessa de comprendre les paroles liturgiques et se contenta d’«assister» à la messe, ou aux funérailles, étranger aux paroles que se renvoyaient les clercs. Parallèlement à ce développement, l’enseignement religieux s’affaiblit et le charisme d’enseignement fut négligé, ce qui précipita le mouvement de décadence des maronites.
Les maronites n’ont pas résisté à l’ouverture culturelle au monde moderne. Cette ouverture a sapé leur culture, centrée sur l’Evangile et la liturgie, elle a introduit la notion de supériorité du clerc sur le laïc, de l’enseignement, qui peut être profane, sur la foi, qui se nourrit ailleurs enfin, elle a réservé la gestion des affaires de l’Eglise à la hiérarchie.

L’esprit de la paroisse

Ce mouvement est-il réversible? Comment revenir à la vallée sainte? Pour le P. Awit, le retour à la vallée sainte passe par le retour à la «paroisse», comprendre à l’esprit de la paroisse: l’assiduité à l’enseignement de l’Eglise, à sa liturgie, la fidélité à son enseignement, l’amour fraternel, l’entraide. «Les maronites aujourd’hui ont délaissé la paroisse (...) ils retrouveront leur unité et regagneront ce qu’ils ont perdu en retournant à la paroisse», dit l’auteur.
C’est vrai dans l’absolu. Le rétablissement des maronites passe par le rétablissement de la vérité enseignée par l’Eglise. Mais il y a là une chose à dire que l’ouvrage du P. Awit n’explicite pas suffisamment. Ce sont les encycliques des papes Jean XXIII, Paul VI et Jean-Paul II qui doivent prendre, à ce stade, le relais. Ce ne sont pas les maronites seulement, mais un grand pan de l’humanité, qu’il faut rétablir dans la vérité de l’Evangile. Et cela s’appelle, pour Jean-Paul II, «nouvelle évangélisation», un mouvement amorcé par le Concile Vatican II. Et l’une des conditions du succès de cette «nouvelle évangélisation», dans le cadre de laquelle s’inscrit le synode sur le Liban, c’est de savoir aller à l’essentiel. Or quel est cet essentiel? Où est le trésor de l’Eglise? Il est dans la personne de Jésus. Tout rempli de cette présence, l’ouvrage du P. Awit va à l’essentiel sans le dire. La nouvelle évangélisation, c’est, avant toute «morale», le Christ, la redécouverte du Christ, de sa place centrale dans notre foi. C’est le secret de la vallée de Qannoubine.Le«miracle d’unité» que les maronites sont parvenus à accomplir et qu’ils ont, à un moment de l’histoire, légué au monde.

Fady NOUN
A l’occasion de la visite du pape au Liban, le P. Michel Awit, le très efficace et discret secrétaire du patriarche maronite, a publié un court ouvrage de réflexion historique intitulé «Wadi Qannoubine, une école de vie», traduit de l’arabe.Pour qui l’ignore, le mot Qannoubine vient du grec «Koïnobion», dont le terme «cénobitisme» est également tiré. Le...