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Actualités - OPINION

Notes de lecture Un roman de la femme

Par quoi commencer? Par Nancy Huston. Anglo-canadienne née dans l’Alberta et qui fuit l’Amérique du Nord pour s’installer, difficilement au début, en France, elle est aujourd’hui parmi les meilleures écrivaines (laissons-lui le féminin qu’elle a choisi pour parler de sa profession) de France, non seulement par ses romans, mais par de nombreux essais dont le premier remonte à 1979 et qui révélaient l’intelligence et le talent de leur auteur. Qu’elle se considère elle-même «francophone» ou «de langue française», elle ne prétend pas masquer la dimension de l’exil qui l’habite. Voilà. Parce qu’il m’a semblé nécessaire de dire quelques mots sur une femme dont la biographie et le choix langagier ne vont pas de soi, et qui est peu connue au Liban.

«Instruments des ténèbres» (1), roman que l’on trouve désormais sur le marché beyrouthin (sans doute parce qu’il a été finaliste du dernier Goncourt), est une double histoire: la première qui a pour cadre les campagnes de France au 17e siècle, et la seconde, étroitement imbriquée dans la première qui, sous forme d’une suite de textes écrits à la première personne aujourd’hui datés d’Amérique, est une sorte de déguisement autobiographique. Un livre de femme sur la femme, ce qui est beaucoup moins fréquent que ne le croient les lecteurs distraits, un livre de femme sur la femme complète, qui parle de son corps, de sa sexualité, de sa force morale et de l’exclusivité biologique par laquelle elle règne sans partage sur la procréation, aboutie ou interrompue. Un livre féministe? Non, si l’on s’attend à un plaidoyer contre les hommes. Oui, si l’on constate que tous les personnages féminins du roman «historique» et de l’autre sont des êtres positifs, qui vivent leur féminité parce que cela va de soi d’assumer ce que l’on est. Identités très différentes que celle de Barbe, de Marguerite ou de Stella, et de Huston elle-même telle qu’elle transparaît en contrepoint du récit. Identités différentes mais qui toutes affrontent les yeux ouverts leur vie de femme, leur corps de femme, avec ses entrailles et son érotisme, ses drames, la réification que leur imposent amants ou maris, mais l’amour aussi qui le remplit contre les ténèbres. Il y aurait beaucoup plus à dire sur «Instruments des ténèbres», ne serait-ce que s’y développe, entre autres, le thème de la gémellité. Je vais quand même me référer à la quatrième de couverture qui ne vante rien pour une fois mais cite une phrase particulièrement révélatrice de la perception du monde à laquelle est parvenue Nancy Huston: «La vérité n’est ni la lumière permanente éblouissante ni la nuit noire éternelle; mais des éclats d’amour, de beauté et de rire sur fond d’ombres angoissantes; mais le scintillement bref des instruments au milieu des ténèbres...». On le savait, mais que c’est bien dit... (2)

Amal NACCACHE

(1) Editions Actes Sud/ Léméac
(2) Chez le même éditeur, on peut trouver un recueil de textes de l’auteur, sous le titre «Désirs et réalité». Ils sont tous très intéressants (72.000 livres pour les deux ouvrages).
Par quoi commencer? Par Nancy Huston. Anglo-canadienne née dans l’Alberta et qui fuit l’Amérique du Nord pour s’installer, difficilement au début, en France, elle est aujourd’hui parmi les meilleures écrivaines (laissons-lui le féminin qu’elle a choisi pour parler de sa profession) de France, non seulement par ses romans, mais par de nombreux essais dont le premier...