Michel Chiha, voulant signifier que l’abolition du confessionnalisme politique ne pourrait jamais se faire d’un coup de baguette magique, affirmait, toujours en substance, que «nul ne peut réaliser le miracle d’unifier les Libanais en un seul jour. Le Liban ne peut exister que si ces communautés gardent bien la balance en main, mettant un ministre en face d’un ministre et un huissier face à un huissier...» Et le politologue répétait toujours que, ce que les institutions perdent, c’est la rue qui le gagne...
Force est de constater que le système global, trop longtemps maintenu dans un état confessionnaliste qui devait être provisoire aux termes de la première Constitution de l’indépendance, se retrouve aujourd’hui complètement perverti. Pour un oui pour un non, les dirigeants se disputent entre eux. Aucune de leurs réconciliations, imposées par Damas, ne tient plus qu’une quinzaine de jours. Toutes les querelles ne vont certes pas jusqu’à la brouille totale, mais elles entraînent toutes de multiples disfonctionnements de la conduite des affaires publiques. De plus, sur le plan des principes de base, on voit mal comment un Etat peut initier puis animer l’indispensable dialogue devant mener à l’entente nationale quand ses propres dirigeants ne sont pas capables de s’entendre. Dans le même sens, on se demande comment la coexistence, ciment vital pour un tel pays, peut être consolidée quand elle est si branlante, si mal vécue au sommet même de la pyramide. Une autre question, plus loin encore: qui donc, dans les conditions actuelles d’effritement des responsabilités, peut répondre à l’angoisse des Libanais plongés dans une sévère récession socio-économique...
Ainsi les députés de la Békaa, confrontés au mouvement de protestation «des affamés», rejettent en choeur la responsabilité sur le gouvernement qui, à les en croire, n’a donné suite à aucune de leurs revendications, aucune de leurs demandes en faveur de leur région. Ils ajoutent qu’on a de la sorte privé de crédits la plupart des projets de développement prévus et qu’on a floué les cultivateurs, en les portant à renoncer aux cultures rentables comme le haschisch ou le pavot (opium), sans leur racheter leur production de cultures de substitution comme le tabac ou le tournesol. Les députés ne s’étonnent donc pas que Toufayli ait pu exploiter un terreau de mécontentement aussi riche et aussi justifié, en invitant les békayotes à «se rattraper» si l’on peut dire en cessant de payer leurs factures à l’Etat... Les parlementaires regrettent enfin que le pouvoir ne réagisse comme il convient que sous la menace des grèves et des manifestations. Et ils trouvent mauvais pour le fond que le gouvernement ait décidé de consacrer 150 milliards de LL au trio déshérité Baalbeck-Hermel-Akkar sous la pression de la rue.
Mais quand on s’étonne, encore une fois, que des députés aussi critiques à l’égard du gouvernement continuent à lui accorder la confiance, ils haussent les épaules et répondent fatalistes: «Trouverait-on mieux, ce n’est pas du tout sûr... Et puis, vous savez, les circonstances régionales n’autorisent pas un changement de Cabinet à l’heure actuelle...»
Les circonstances ou plutôt les décideurs. Qui d’ailleurs n’autorisent pas non plus des troubles élargis, ce qui en un sens peut être considéré comme le bon côté des choses.
E. K.
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