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Actualités - REPORTAGE

Le scrutin partiel du Liban-nord Le pouvoir et l'argent au service du tandem Hobeiche-Khaled Daher (photos)

Le pouvoir et l’argent étaient au service de la bataille électorale du Liban-Nord. Tout ce qu’il faut pour gagner les élections. L’Etat n’a pas lésiné sur les moyens pour parvenir à ses fins et assurer la victoire de l’alliance électorale des dernières 72 heures contractée entre Fawzi Hobeiche et Khaled Daher. Si les pressions physiques ont été absentes de cette bataille, le climat est lourd à Kobeiyat d’où sont originaires quatre des cinq candidats maronites en lice pour le siège du Akkar. Contrairement au scrutin d’août 96, des pressions morales ont été exercées sur les leaders et non pas sur l’électorat.
La mobilisation entreprise par le pouvoir, pendant les trois dernières semaines, au niveau des ministres, députés et forces actives du Liban-Nord en faveur de l’unique alliance électorale officiellement annoncée dans cette région est impressionnante. Si tous les députés qui se sont prononcés en faveur de cette alliance n’ont pas réussi à honorer leurs engagements le jour du scrutin, les machines électorales du ministre Sleiman Frangié et du député Issam Farès se sont déployées avec force. Les délégués du premier étaient omniprésents dans la majorité des bureaux de vote du mohafazat alors que les moyens financiers mis à contribution par le deuxième ne sont plus un secret pour personne. Les «bailleurs de fonds» ont été particulièrement actifs dans les villages éloignés du Akkar peu avant l’heure de fermeture des bureaux de vote, a reconnu l’un des candidats en lice en faveur duquel l’achat des voix s’est effectué.
Ce qui a encore davantage compliqué l’opération électorale et fait monter d’un cran la tension dans les rangs de la population, c’est la position de neutralité adoptée par certains symboles de l’opposition au Liban-Nord. Ce qui constitue un indice de l’ampleur des pressions morales exercées par le pouvoir pour assurer la victoire de ses candidats.
Encore est-il nécessaire de souligner que le pouvoir n’a pas hésité à recourir «au vote en bloc» de la Jamaa islamiya pour verrouiller les chances de victoire de son candidat favori Fawzi Hobeiche. Jusqu’à il y a un mois, la Jamaa islamiya était considérée comme l’une des bêtes noires du pouvoir.

Bataille gagnée d’avance

Pour le tandem Hobeiche-Khaled Daher, la bataille est gagnée d’avance. A 9h15, le ministre Fawzi Hobeiche est toujours à son domicile et ne semble pas pressé. Il vient tout juste de s’habiller et pénètre dans le grand salon de sa villa pour saluer les parents et les journalistes qui l’attendent depuis un certain temps. Pour sa part, le candidat de la Jamaa islamiya, M. Khaled Daher, reçoit ses sympathisants dans sa modeste demeure de Bébnine. Il dirige, à l’aide d’un cellulaire, les opérations de vote du lieu où il se trouve. Il affirme qu’il est inutile à présent de se déplacer. Il semble sûr de l’appui des gens au pouvoir. Par contre, l’ancien ministre et ancien député Mikhaël Daher est injoignable. Il a quitté peu avant 8h sa résidence de Kobeiyat pour aller en tournée électorale dans les villages de Wadi Khaled. Il est vraiment seul dans sa bataille. Il lui faut agir dans toutes les directions. A part son allié Samir Hamid Frangié, aucun symbole de l’opposition n’a osé se prononcer en faveur de sa candidature. Dans les meilleurs des cas, certains de ces symboles se sont contentés d’adopter une position de neutralité.
«Même s’il ne gagne pas la bataille, il aura eu le mérite de poursuivre la campagne jusqu’au bout et de croire en une mobilisation de l’électorat de manière à renverser la tendance», déclare M. Samir Frangié. Commentant l’alliance Hobeiche-Khaled Daher, M. Frangié s’est dit surpris par ce renversement. Il se demande quel genre de discours politique la Jamaa islamiya va tenir à l’adresse de ses partisans pour défendre sa nouvelle alliance. «L’électorat d’un parti structuré, organisé et idéologique tel la Jamaa islamiya n’est pas facile à persuader», dit-il avant d’affirmer que le facteur de l’argent n’a jamais autant joué que dans le présent scrutin. Il venait d’effectuer une tournée de certains bureaux de vote dans plusieurs régions du Liban-Nord.
Selon lui, la bataille électorale d’aujourd’hui est celle du pouvoir qui cherche à neutraliser définitivement l’action de l’opposition. «Le fossé se creuse de plus en plus chaque jour entre le peuple et l’Etat. L’alignement des dirigeants sur une même position d’appui à l’alliance Hobeiche-Khaled Daher me choque», déclare Youssef, un retraité de l’armée, habitant de Andkit. «Les habitants de mon village ont toujours soutenu l’Etat faisant partie dans leur écrasante majorité de l’institution de l’armée. Mais, cette fois-ci, ce n’est pas le cas», assure-t-il. «Le comportement ahurissant des gens au pouvoir qui n’ont pas consulté leur base populaire a créé une réaction négative à ce niveau. Je voterai Mikhaël Daher», dit-il.

Alliance tacite
Mikhaël Daher-Yéhiya

Vers midi, une rumeur persistante fait état d’une alliance tacite entre Mikhaël Daher et Mohamed Yéhiya, candidat malheureux au scrutin d’août 96. Originaire de Wadi Khaled, il s’était présenté sur la liste du pouvoir présidée par MM. Omar Karamé, Sleiman Frangié et Issam Farès. Le fait qu’il soit abandonné cette fois-ci par le pouvoir ne l’irrite pas outre mesure. Il est convaincu de remporter les élections si l’électorat chrétien ne lui fait pas défaut. «Notre discours politique est modéré et nous sommes ouverts à toutes les parties. Je suis persuadé que les chrétiens n’hésiteront pas à nous soutenir face au candidat de la Jamaa islamiya, un mouvement après tout intégriste qui effraye par moment même les musulmans».
Il nie catégoriquement l’existence d’une quelconque alliance tacite avec un candidat maronite affirmant qu’il a laissé la liberté à ses partisans. M. Yéhiya est cependant trahi par un de ses supporters assis dans la salle de séjour de sa résidence. «On a voté Mohamed Yéhiya-Mikhaël Daher. Le pouvoir n’a jamais rien fait pour les habitants de Wadi Khaled. Il a de surcroît pris position en faveur de Khaled Daher contre Mohamed Yéhiya», dit-il.
A Wadi Khaled, c’est le calme dans les quelques bureaux de vote. La participation semble timide. Sur les listes des votants, six mille électeurs sont inscrits. Des blindés de l’armée sillonnent en permanence les rues étroites de la région. Quatre brigades de l’armée ont été déployées dans cette région pour maintenir l’ordre. Oubliés par l’Etat, les habitants de Wadi Khaled avaient pris l’habitude d’assurer leur propre sécurité.
Nabih, 35 ans, affirme qu’il votera en faveur de Yéhiya et non pas de Jamal Ismaïl, l’autre candidat sunnite originaire de Wadi Khaled. «M. Yéhiya a plus d’expérience dans le domaine public. Ismaïl est un nouveau venu dans le monde de la politique».

L’incident de Tikrit

A Halba, Mikhaël Daher est en colère. Il négocie la libération du Dr Hatem Ali arrêté par les forces de l’ordre à la suite d’une empoignade entre ses sympathisants et ceux de Hobeiche. Bien qu’ayant été victime des partisans de Hobeiche, le Dr Hatem a été arrêté et interrogé.
Il a fallu que M. Daher se déplace à Takrit pour que l’incident soit circonscrit.
S’adressant à la presse, M. Daher révèle que, dans la nuit de samedi à dimanche, des parents à son principal adversaire se sont introduits dans le sérail à Tripoli et ont déchiré plusieurs dizaines de permis destinés à ses délégués. «C’est ce qui explique l’absence de nos délégués dans certains bureaux de vote», dit-il d’une voix à peine audible. Il n’a presque plus de voix à cause de ses nombreuses tournées électorales pendant les trois dernières semaines.
Quant à M. Hobeiche, qui se trouve dans un convoi de plusieurs voitures, il est de passage dans la localité.
Assailli par des journalistes, il ne trouve pas «étrange» que son alliance avec Khaled Daher ait été appuyée par un aussi grand nombre de responsables et de forces actives du Liban-Nord.
Il justifie cette nouvelle alliance par le fait que M. Khaled Daher et lui-même ont une même ligne politique nationale.

La Jamaa islamiya
se défend

La Jamaa islamiya ne partage pas le même point de vue.
M. Khaled Daher qualifie tout simplement son alliance avec M. Hobeiche de «conjoncturelle». Face aux nombreuses questions compromettantes qu’on lui pose au sujet du renversement de son alliance avec son ancien colistier Mikhaël Daher, le candidat de la Jamaa islamiya ne nie pas l’existence de pressions morales sur sa formation. «La mobilisation des hautes sphères en faveur de M. Hobeiche a constitué un facteur déterminant à la conclusion de cette alliance», avoue-t-il.
Il n’est pas satisfait des résultats préliminaires dans les bureaux de vote. Les chrétiens de Zghorta semblent réticents à voter en sa faveur. A la suite d’un entretien téléphonique avec un de ses délégués dans la région, il dit sur un ton menaçant qu’il demandera des comptes à son allié. «La Jamaa islamiya a toujours honoré ses engagements électoraux, même si ses alliances ne sont que provisoires. Sa base populaire se conforme au mot d’ordre de son bureau politique».
Hier, dans le camp de l’opposition, aujourd’hui le candidat de la Jamaa islamiya fait partie d’une liste appuyée par le pouvoir? La question reste sans réponse.

Les autres cazas

Dans les autres cazas du mohafazat du Liban-Nord, les électeurs paraissent visiblement très peu intéressés et nullement concernés par ce scrutin partiel. Cela est particulièrement le cas des régions de Batroun, Koura, Zghorta et, surtout, Becharré. Même à Tripoli, aucun signe extérieur ne permet de mettre en évidence qu’une bataille électorale est en cours: pas de banderoles; pas de photos ou de portraits des candidats; par des bureaux électoraux...
Ce désintéressement généralisé est perceptible notamment dans les cazas chrétiens. A Becharré, à titre d’exemple, aucune activité spéciale n’est visible dans les rues de la localité et, a fortiori, dans les villages du caza. En dépit de ce calme plat, l’armée libanaise a renforcé son dispositif de sécurité dans la région. En milieu de journée, vers 14 heures (soit trois heures avant la fermeture des bureaux de vote), le taux de participation ne dépasse pas les 5%. Une tournée rapide dans la localité de Becharré et dans les villages voisins laisse l’impression que les élections se déroulent... dans un autre pays.
Même atmosphère (ou presque) dans le caza de Batroun où les bureaux de vote connaissent très peu d’affluence. Le député de la région Boutros Harb a proclamé publiquement sa neutralité dans la «bataille». Mais selon la rumeur publique, ses partisans accorderaient leurs voix à M. Mikhaël Daher et mèneraient même campagne en faveur de ce dernier. Dans une déclaration à la presse faite à Tannourine, M. Harb tient cependant à réaffirmer sa neutralité, soulignant qu’il a laissé à ses électeurs la liberté de choix. Il admet, en milieu de journée, que le taux de participation des électeurs de Batroun est très faible.
Le député de Batroun souligne dans ce cadre que l’expérience du scrutin partiel a apporté la preuve que les cazas non impliqués directement dans le scrutin ne se sentent nullement concernés par les élections et leur participation au vote est, par conséquent, très faible. «Cela prouve l’existence de lacunes importantes dans le système électoral actuel», affirme M. Harb.
Même climat de désintéressement dans les 138 bureaux de vote du caza de Zghorta où la machine électorale du ministre Sleiman Frangié s’active, pourtant, en faveur de M. Fawzi Hobeiche. Dans les rues de Zghorta et des villages voisins, la circulation est ordinaire. Les électeurs ne se sentent nullement concernés par le scrutin partiel du Akkar, et ceux qui se rendent aux urnes le font uniquement par fidélité envers leur chef de clan. En fin de matinée, M. Frangié s’adresse aux journalistes, après avoir voté, et reconnaît que l’affluence est très faible, estimant que le taux de participation dans le caza sera de 12% environ.
Vers 13 heures, Mme Nayla Moawad se rend à son tour au bureau de vote et affirme devant les correspondants de presse qu’elle a déposé un bulletin blanc dans l’urne. Quant à M. Sélim Karam (candidat en 1996, proche de l’opposition chrétienne), il souligne, au cours d’une discussion à bâtons rompus avec les journalistes, que le pays a besoin «de législateurs et de juristes au Parlement». M. Karam ne cache pas son appui à M. Mikhaël Daher. «Il faut respecter le choix des électeurs du Akkar, souligne-t-il. Ces derniers refusent qu’on leur impose un candidat». Dans les bureaux de vote, les délégués de M. Mikhaël Daher ne sont autres que les propres partisans de M. Sélim Karam.
Au Koura, comme dans les autres cazas, l’enthousiame fait défaut, et les bureaux de vote (au nombre de 124) ne connaissent qu’une très faible affluence, plus particulièrement dans les zones du littoral. Du fait du manque de délégués, de nombreuses urnes tardent à être fermées, ce qui contribue à accroître l’atmosphère générale de démobilisation. L’un des deux députés du Koura, M. Fayez Ghosn, souligne sur ce plan que l’affluence aux urnes est faible car «le Koura ne se sent pas concerné directement par le scrutin partiel».
La participation aux élections est relativement plus sensible dans la ville de Tripoli où des unités de l’armée libanaise font circuler des patrouilles motorisées dès le début de la matinée. Là aussi, et comme dans les autres cazas, les députés de la ville se conforment au mot d’ordre du «pouvoir du fait accompli» et demandent à leurs partisans de voter en faveur du tandem Fawzi Hobeiche-Khaled Daher. Très faible dans la matinée, la participation au scrutin devient plus importante dans le courant de l’après-midi.
Après avoir voté au siège de l’école Fakhreddine, dans le quartier d’el-Nouri, l’ancien premier ministre Omar Karamé s’adresse aux journalistes pour dénoncer «l’achat massif de voix» de la part de certains candidats. Relevant le peu d’enthousiasme que suscite ce scrutin partiel, M. Karamé lance un appel à ses partisans afin qu’ils se rendent aux bureaux de vote.
Dans la région de Denniyé, l’atmosphère est plus fiévreuse et la mobilisation des électeurs est nettement plus sensible, notamment dans les régions du centre et du «jurd». Cet intérêt perceptible au niveau populaire est sans doute dû au fait que le caza de Denniyé est l’un des fiefs de la «Jamaa islamiya» qui se mobilise pour soutenir son candidat Khaled Daher. En fin d’après-midi, le taux de participation à Denniyé est l’un des plus élevés de l’ensemble du mohafazat (près de 40%).
Et pour cause, la «Jamaa islamiya» mène une bataille pour sa survie. Si elle venait à perdre le siège du Akkar, elle ne serait plus représentée à l’Assemblée nationale.

Liliane MOKBEL
Le pouvoir et l’argent étaient au service de la bataille électorale du Liban-Nord. Tout ce qu’il faut pour gagner les élections. L’Etat n’a pas lésiné sur les moyens pour parvenir à ses fins et assurer la victoire de l’alliance électorale des dernières 72 heures contractée entre Fawzi Hobeiche et Khaled Daher. Si les pressions physiques ont été absentes de cette...