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Actualités - CHRONOLOGIE

Mesures protectionnistes : la contestation prend de l'ampleur Les milieux d'affaires craignent que d'autres secteurs que l'agriculture soient touchés par la nouvelle politique du cabinet

Y a-t-il réellement anguille sous roche? Cette question, en rapport avec les mesures protectionnistes et dirigistes adoptées le mardi 10 juin par le gouvernement, est de plus en plus sur toutes les lèvres. Depuis la fin de la semaine dernière, le chef du gouvernement Rafic Hariri et le ministre de l’Agriculture Chawki Fakhoury tentent (difficilement) de rassurer l’opinion en multipliant les assurances et les déclarations de bonnes intentions. Mais l’argumentation officielle ne semble pas convaincre outre mesure, à en juger par les vives réactions négatives qui se multiplient dans les cercles d’affaires et dans certains milieux politiques.
La contestation sur ce plan prend de l’ampleur au sein même de l’Exécutif, comme le démontre la déclaration du ministre des Affaires étrangères Farès Boueiz qui a exprimé, hier, un point de vue critique semblable à celui de ses collègues Fouad Siniora, Nadim Salem, Hagop Demerdjian et Yassine Jaber (Voir l’ensemble de nos informations en page 4).
Certes, le chef du gouvernement affirme que le système économique libre n’est nullement en danger et que les dernières mesures ne visent pas à aligner notre économie sur celle de la Syrie. Mais dans le contexte présent bien connu de tous, les belles paroles ne sauraient être suffisantes et pourraient n’avoir pour seul but que d’apaiser la tempête. Il ne saurait être question de faire, d’office, un procès d’intention, mais force est de constater que les précédentes expériences du Cabinet Hariri ont prouvé que ce qui compte en définitive ce sont les actes et les faits tangibles, et non les beaux mots. A titre d’exemple, le gouvernement ne cesse d’affirmer son attachement aux libertés publiques et individuelles (notamment syndicales...), mais dans toute l’Histoire contemporaine du Liban, ces libertés n’ont jamais été autant bafouées et étouffées que ces quatre dernières années.
M. Hariri dément toute velléité d’alignement économique sur la Syrie, mais n’a-t-on pas, dans la pratique, effectué un premier pas dans cette direction en décidant d’interdire l’importation d’une vaste gamme de produits étrangers pour soutenir une production locale encore chancelante et, sans doute, insuffisante? Comme le soulignent divers milieux d’affaires — dont le point de vue à ce sujet est reflété dans l’important communiqué publié aujourd’hui dans la presse par le Rassemblement des dirigeants et chefs d’entreprises libanais (RDCL) — les mesures protectionnistes et dirigistes appliquées aux produits agricoles ne risquent-elles pas de s’étendre un jour, suivant la même logique, aux produits industriels et (pourquoi pas?) à certains services tertiaires?

Lorsqu’on place le doigt dans l’engrenage, c’est toute la main qui risque d’y passer...
Se voulant également rassurant, le ministre de l’Agriculture affirme de son côté que «toutes les précautions ont été prises pour éviter une flambée des prix et une baisse de qualité des produits fabriqués localement», du fait de l’absence de concurrence étrangère. Mais les moyens modestes dont disposent les producteurs locaux ainsi que l’esprit exclusivement mercantile de nombre de Libanais et l’état d’anarchie généralisée qui paralyse l’administration publique à tous les échelons sont autant de facteurs qui permettent de douter de l’efficacité des «précautions» prévues par le gouvernement. M. Fakhoury précise dans ce contexte que si sa politique est exploitée par les accapareurs, le gouvernement pourra toujours autoriser à nouveau les importations, d’une manière ponctuelle et provisoire. Soumettre de la sorte cette activité commerciale à un régime de douche écossaise ne revient-il pas à porter un coup fatal à un large secteur de l’économie?
Les cercles d’affaires et les milieux politiques, même au sein du gouvernement, s’accordent à penser que ce n’est pas en éliminant la concurrence étrangère que l’on pourra doper la production agricole locale, mais plutôt en mettant en place une stratégie axée sur une politique de crédit sérieuse et sur l’exécution de projets d’irrigation.
Ce point de vue a été exprimé hier par le ministre des Affaires étrangères qui s’est démarqué sans détours des mesures gouvernementales et a exprimé de sérieuses réserves sur ce plan. M. Boueiz confirme, notamment, que ces décisions sont en contradiction avec la tendance internationale portant sur la levée des barrières douanières ainsi qu’avec les négociations entreprises par le Liban en vue de s’intégrer au GATT et au projet de partenariat euro-méditerranéen.
Pour M. Boueiz, une véritable réactivation du secteur agricole doit passer par une politique de crédit solide et par l’exécution de projets d’irrigation. Soulignant qu’à son avis, tout protectionnisme ne peut que se répercuter négativement sur le niveau des prix, M. Boueiz a précisé qu’il pourrait réclamer, le cas échéant, une révision des décisions du 10 juin. Cette éventualité a également été évoquée samedi soir, dans une interview télévisée, par le ministre Ayoub Hmayed qui a souligné dans ce cadre que «revenir sur ses erreurs constitue une attitude louable».
Une telle contestation au niveau de l’Exécutif laisse supposer que la nouvelle politique agricole soutenue par le président Hraoui, le chef du gouvernement et le ministre de l’Agriculture n’a pas été suffisamment discutée et examinée entre les membres du gouvernement. Dans une interview diffusée samedi, le président de l’Association des Banques, M. François Bassile, devait d’ailleurs souligner qu’à son avis, les mesures agricoles décidées par le Conseil des ministres sont «arbitraires et n’ont pas été soigneusement étudiées, ce qui aura comme conséquence une hausse des prix».
Ce manque de concertations préalables a déjà été stigmatisé par l’association des agents importateurs de voitures ainsi que par les associations de commerçants. Il a été mis en relief, en outre, par les réserves exprimées vendredi dernier par les propriétaires des usines agro-alimentaires locales, censées, pourtant, bénéficier de la nouvelle politique agricole.
C’est ce manque de concertations et de transparence qui pousse certains milieux à penser qu’il y a peut-être anguille sous roche, et qui alimente les craintes quant à une possible extension du protectionnisme à de plus larges secteurs de l’activité économique, ce qui constituerait une sérieuse atteinte à l’économie libre.
Ce point a été soulevé explicitement par le RDCL dans son communiqué de presse. Tout en exposant une série de réserves de base au sujet des mesures gouvernementales, et après avoir relevé que la nouvelle orientation définie par l’Exécutif est en contradiction avec la politique d’ouverture et avec les négociations entamées au sujet de la levée des barrières douanières, le RDCL souligne dans son communiqué: «Le plus grave c’est que ces décisions sont prises et annoncées d’une manière inopinée. Comment ne pas craindre dans ce cas d’autres surprises du même genre, susceptibles de semer le doute parmi les investisseurs qui étaient rassurés quant à la pérennité du système économique? Comment peut-on prendre des mesures lorsque les décisions ne sont pas préparées, expliquées et débattues, et lorsqu’elles ne sont justifiées qu’après leur annonce»? Soulignant que l’élaboration de la politique économique doit se faire sur base d’un dialogue avec tous les partenaires sociaux, le RDCL note encore que si d’autres mesures semblables sont décidées, cela risquerait de «saper les fondements de l’orientation libérale».
A l’évidence, les hauts responsables n’ont pas su convaincre et défendre, d’une manière rationnelle, leur nouvelle politique économique. Et pour ne rien arranger, ils ne semblent pas vouloir tenir compte de la nécessité de la transparence et de la concertation nationale. Cette grave faille se manifeste, d’ailleurs, dans d’autres aspects vitaux de la gestion des affaires publiques. Il n’est pas étonnant, par conséquent, que la vaste entreprise de redressement (et de réconciliation) se fasse toujours attendre.

M.T.
Y a-t-il réellement anguille sous roche? Cette question, en rapport avec les mesures protectionnistes et dirigistes adoptées le mardi 10 juin par le gouvernement, est de plus en plus sur toutes les lèvres. Depuis la fin de la semaine dernière, le chef du gouvernement Rafic Hariri et le ministre de l’Agriculture Chawki Fakhoury tentent (difficilement) de rassurer l’opinion en...