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Actualités - CONFERENCES ET SEMINAIRES

Rencontre-débat à l'USJ L'émissaire européen invite l'intelligentsia libanaise à briser les tabous (photo)

«Les plus pessimistes pourraient dire, qu’actuellement, il n’y a ni processus, ni paix. Mais l’Union européenne, elle, est convaincue qu’une solution juste et globale est possible. Il faut toutefois que toutes les parties assument leurs responsabilités». C’est justement pour sensibiliser les Libanais à la gravité de la situation et à l’urgence d’agir que M. Miguel Angel Moratinos a rencontré hier un groupe d’intellectuels francophones à l’USJ. En mars dernier, il avait d’ailleurs lancé une initiative du même genre avec des intellectuels anglophones à l’AUB. Son objectif déclaré est d’essayer «de faire bouger les choses, avec les acteurs de la rue et pas seulement avec les responsables». En une phrase claire, M. Moratinos a ainsi invité l’intelligentsia arabe en général et libanaise en particulier à briser les tabous. «Pourquoi avez-vous peur d’affronter les intellectuels israéliens», a-t-il demandé, avant d’ajouter «ce n’est pas par l’isolement que l’on peut fair bouger les choses...»
C’est donc un langage nouveau, lucide et malgré tout plein d’espoir, tenu par «un diplomate peu conventionnel», comme il s’est lui-même défini, qu’un groupe de personnes assez hétéroclite a entendu hier, à l’amphithéâtre de la Faculté française de médecine.

Remettre l’Europe
à sa place

Des médecins, des chercheurs, des hommes de loi et de lettres, des professeurs d’universités, des journalistes et des jeunes inquiets pour leur avenir ont donc répondu présents à l’invitation qui leur a été adressée par l’ambassadeur des Pays-Bas, dont le pays préside actuellement l’Union européenne, pour participer «à une conférence-débat de M. Moratinos». Retenu au palais de Baabda, l’émissaire européen est arrivé avec une demi-heure de retard. Mais après une très brève présentation du recteur de l’USJ, le père Sélim Abou, il a directement pris la parole.
M. Moratinos a commencé par se définir lui-même comme «un diplomate peu conventionnel, de la nouvelle génération, qui cherche à s’engager différemment» dans les missions qui lui sont confiées.
Selon lui, le premier objectif de sa mission au Moyen-Orient est de «remettre l’Europe à sa place dans cette région». «Aujourd’hui, a-t-il déclaré, nous faisons partie de la réalité quotidienne du Moyen-Orient et la cacophonie européenne du début a fait place à une sorte de symphonie. Désormais, l’Europe est capable de parler d’une seule voix et elle a fait un choix stratégique dans la région, qui est celui d’une paix globale et juste».
L’émissaire européen a précisé, qu’aujourd’hui, le rôle de l’Europe est reconnu et, d’ailleurs, Madrid et Oslo sont deux capitales européennes. Enfin au sujet de l’accord récemment conclu sur Hébron, M. Moratinos a rappelé qu’il a nécessité deux lettres de garantie, l’une des Etats-Unis et l’autre de l’Union européenne.
Au sujet justement de la coordination avec les Etats-Unis, l’émissaire européen a précisé que «l’Europe n’a jamais songé à agir seule. Mais complémentarité ne signifie pas subsidiarité. Les Etats-Unis resteront pour longtemps encore des acteurs décisifs dans la région et l’Europe ne peut se poser en rivale. D’ailleurs, il y a une coordination très étroite entre moi-même et l’émissaire américain Dennis Ross... J’appelle donc les amis américains à écarter leurs craintes, dans ce domaine, car les enjeux sont bien plus importants».
L’émissaire européen a aussi appuyé les efforts déployés par le président égyptien et par la Jordanie pour débloquer le processus de paix.
M. Moratinos a ensuite pressé les parties concernées dans la région à agir. Selon lui, le Moyen-Orient ne reçoit que 5% des investissements occidentaux — qui ont pourtant explosé en Asie — en raison du blocage dans la région. Or, il en aurait bien besoin.

Relancer le
dialogue

Tout en affirmant qu’il «n’y a pas de fatalité historique», il a rappelé les efforts déployés par l’Europe pour relancer le dialogue entre les parties, évoquant ainsi le dernier accord sur Hébron (en janvier), la conférence de Malte qui avait réuni Israéliens et Palestiniens et le dernier appel en faveur de la paix, lancé au cours du sommet européen d’Amsterdam.
Moratinos a répété la proposition qu’il avait faite aux parties concernées en mars dernier «le retrait total contre la sécurité totale», ajoutant qu’à son avis, elle est toujours valable, pour amorcer une paix dans la région et que jusqu’à présent, elle n’a reçu aucun rejet officiel. «Je crois même qu’elle fait son chemin dans les esprits».
L’émissaire européen a insisté sur la nécessite d’agir vite. «Il faut un électrochoc dans la région», a-t-il dit.
Concernant le Liban, Moratinos a précisé qu’il doit rester au cœur du nouvel équilibre régional et se tenir prêt.
«C’est du Liban qu’est partie la renaissance arabe et c’est d’ici que doit repartir la renaissance du processus, a-t-il lancé, avant d’ajouter: «Pendant trop longtemps, arabes et israéliens ont choisi de s’ignorer. Ce qui a créé une déformation de la perception de l’autre. Or, le Liban, en tant que modèle de tolérance, a un rôle à jouer dans ce domaine».
Qu’est-ce que cela signifie concrètement? Et là, M. Moratinos a été très précis, invitant l’intelligentsia libanaise à briser les tabous et à engager le dialogue.
Ce genre d’initiative aurait pu être lancée du temps de Shimon Pérès, mais est-elle encore possible aujourd’hui? N’y a-t-il pas un décalage entre ce qu’il dit et les projets de Netanyahu?
«Le décalage se trouve à l’intérieur de l’intelligentsia arabe qui doit se montrer à la hauteur des nouveaux défis», a répondu l’émissaire de l’Europe. Et pourquoi aurait-elle peur d’affronter les intellectuels israéliens? Ce n’est pas en isolant l’autre que l’on peut faire bouger les choses. Naturellement, la normalisation ne peut être acquise et il faut des efforts de part et d’autre pour la réaliser. C’est l’intelligentsia qui prône encore des concepts des années 48-50 qui est en décalage avec le monde actuel».

Impasse au
Liban-Sud

L’intelligentsia libanaise est-elle en mesure de prendre ce genre d’initiative, vu les circonstances actuelles?
«Je ne veux pas entrer dans les problèmes internes libanais, a répondu M. Moratinos. Mais, à mon avis, l’intelligentsia n’a pas de frontières et je l’invite à briser les tabous».
Invité à commenter les propos du ministre israélien de la Défense, demandant hier à la France de favoriser des négociations de paix entre le Liban et Israël, M. Moratinos a déclaré qu’il n’était pas au courant de cette demande, mais il est certain que la situation au Liban-Sud est actuellement dans une impasse et il existe chez les Israéliens, une envie de plus en plus forte d’en sortir. «D’ailleurs, a-t-il ajouté, à plusieurs reprises, M. Mordehai m’a exprimé son inquiétude face à la situation au Sud. S’il a réellement présenté une telle demande à la France, cela signifierait que quelque chose bouge».
En réponse à une question, M. Moratinos a affirmé que l’action européenne mise sur une dimension culturelle et humaine et non seulement politique des rapports dans la région. «A nos yeux, il faut provoquer une cassure dans les mentalités traditionnelles. C’est certes une action à long terme, car changer les mentalités prend du temps. Mais c’est à cette condition qu’une paix durable sera réalisée. Ce qui est en jeu, c’est la construction d’une société moderne».
Rejetant toute idée de confrontation, car selon lui, elle ne peut faire avancer les choses, M. Moratinos a précisé que, selon lui, la paix est possible. Elle est même nécessaire car, «à partir de l’an 2000, on ne pourra plus donner un masque d’oxygène aux Palestiniens. Il faut leur donner les moyens de vivre seuls. Le processus de paix est à un tournant grave. Chacun de nous doit assumer ses responsabilités».
En conclusion, et en réponse à une question sur la fragilité des régimes dans la région, M. Moratinos a rappelé qu’il faut créer un cadre «économique et politique moderne, qui va dans le sens d’une plus grande démocratie pour consolider le processus de paix. Et la conférence de Barcelone s’est officiellement prononcée en faveur d’une démocratisation dans la région, qui est la meilleure garantie de stabilité».
S.H.
«Les plus pessimistes pourraient dire, qu’actuellement, il n’y a ni processus, ni paix. Mais l’Union européenne, elle, est convaincue qu’une solution juste et globale est possible. Il faut toutefois que toutes les parties assument leurs responsabilités». C’est justement pour sensibiliser les Libanais à la gravité de la situation et à l’urgence d’agir que M. Miguel...