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Actualités - OPINION

République légumière

On a sa petite fierté ou on ne l’a pas: parce qu’il sied mal à l’Autorité de faire marche arrière quand bien même les ministres seraient divisés sur la question, le gouvernement confirme donc les options protectionnistes qu’il avait adoptées la semaine dernière. Tout au plus pourrait-il consentir à réexaminer calmement, plus tard et cas par cas, les modalités d’application pratique des mesures relatives à l’importation de produits alimentaires: mesures dont on veut nous faire accroire maintenant que si elles ont suscité une telle tempête de protestations, c’est qu’elles n’avaient été que sommairement présentées au public. Lequel, en conséquence, aurait compris tout faux, le pauvre...
Les organismes économiques ont amplement souligné, à l’unisson, à quel point la subite dérive protectionniste du Cabinet Hariri est inappropriée et même dangereuse pour un pays à vocation de services et de tourisme comme le nôtre, à l’heure précise où il se trouve engagé de surcroît dans des négociations avec son environnement arabe, avec l’Union européenne et avec l’Organisation mondiale du commerce. A ce réquisitoire solidement étayé, il n’est pas inutile d’ajouter pourtant ces observations — quelques-unes parmi tant d’autres — qui n’auront pas manqué de s’imposer à toute personne de bon sens.
l M. Chawki Fakhoury est sans doute un excellent avocat d’affaires et pas l’avocat de n’importe qui comme tout le monde sait. M. Fakhoury s’est même avéré être un fort valable ministre des Transports mais il faut croire que les choux, ce n’est pas son fort: ou bien alors qu’il a mal digéré les rapports d’experts sur lesquels il s’est appuyé pour lancer son programme. Ce plan était sur le métier depuis plus d’un an; il avait été timidement avancé puis promptement escamoté, faute de statistiques dignes de ce nom, mais il semble bien que la «Révolte des Affamés» conduite par le cheikh Toufeyli est venue lui conférer un caractère d’extrême urgence. A démagogue, démagogue et demi: ce mot d’ordre semble être particulièrement de circonstance pour la Békaa, où l’on aurait été mieux inspiré de s’opposer efficacement au dumping dont sont victimes les récoltes locales, du fait de l’invasion de produits similaires à travers une frontière absolument incontrôlée par «l’Etat» libanais. Du fait de cette anomalie, l’entrée en vigueur effective des interdits gouvernementaux dépendra essentiellement du bon vouloir du voisin syrien, ce que même les responsables consentent à reconnaître en privé.
l La charrue devant les bœufs, cette aberration ne se limite évidemment pas à l’agriculture, secteur en tout point digne d’attention mais où les responsables viennent tout juste de s’apercevoir que faute d’une programmation adéquate de cultures de rechange, il sera bel et bien impossible d’assurer les besoins locaux en produits de première nécessité. Fort de la même logique, le gouvernement prétend freiner substantiellement l’importation d’automobiles sans attendre d’avoir doté le pays de transports en commun dignes de ce nom, et sans même se préoccuper le moins du monde d’améliorer une sécurité routière quasiment inexistante; le président Hariri, on croit rêver, s’est même plaint publiquement que ses très zélés cantonniers œuvrant nuit et jour, selon lui, à la réparation et au percement des routes, n’arrivaient plus à suivre la croissance infernale du parc automobile!
Peu nous chaut, en vérité — et tel est aussi le sentiment de la très grande majorité des Libanais — que les véhicules de luxe doublent ou triplent de prix. Mais affalées dans les coussins de leurs Mercedes tandis que ces dames vaquent à leurs mondanités en BMW et que la valetaille suit bruyamment dans une flottille de Range Rovers (tous engins pour lesquels elles sont exemptées, elles, de taxes douanières), les grosses légumes sont bien mal venues d’assigner d’autorité, au commun des mortels, le bas de gamme de la production automobile asiatique: la surtaxe frappe durement en effet même des véhicules très moyens, pour l’écoulement desquels les importateurs, confiants dans la reprise économique, n’ont renoué que depuis peu avec la pratique de la vente à tempérament, absolument providentielle pour des centaines de milliers d’usagers à revenu limité.
l Tout projet ne vaut que par les hommes qui le pilotent, et c’est là surtout que le bât blesse. Sans le moins du monde méconnaître certaines réalisations, l’homme de la rue ne voit autour de lui qu’affairisme, que combines et magouilles, que profits illicites dont les auteurs, n’ayant en effet aucun compte à rendre, étalent insolemment les honteux dividendes. Il y a comme une vieille faim, une faim insatiable qui s’est emparée de la caste au pouvoir, et qui porte les barons du régime à se défier mutuellement à coups de cartels sur les produits de base, de participations dans les contrats ou de simples commissions, de fraude sur les soutiens étatiques aux denrées, et l’on en passe. C’est dans cette insolence de la corruption que doit être recherchée, avant tout, la méfiance instinctive qu’inspire le dernier train de mesures gouvernementales, censées financer une administration pléthorique, fainéante et vénale. Et calmer au passage, par la voie des licences d’importation qui vont vite devenir inévitables, cette vieille faim dont on vous parlait à l’instant.
Les légumes, cela se cultive. Intensivement, il faut le croire.
Issa GORAIEB
On a sa petite fierté ou on ne l’a pas: parce qu’il sied mal à l’Autorité de faire marche arrière quand bien même les ministres seraient divisés sur la question, le gouvernement confirme donc les options protectionnistes qu’il avait adoptées la semaine dernière. Tout au plus pourrait-il consentir à réexaminer calmement, plus tard et cas par cas, les modalités...