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Actualités - OPINION

Tribune Loi électorale et conseil constitutionnel

Les prérogatives et les performances du Conseil constitutionnel, après les recours en invalidation contre la dernière loi électorale et contre les résultats des élections, ont été pour deux raisons essentielles l’objet d’une vive polémique soulevée par tous les milieux de l’opinion publique libanaise.
La première raison concerne l’aptitude et l’efficacité de la nouvelle institution à assumer son rôle dans un environnement libanais des plus enchevêtré.
La seconde raison visant à affirmer cette institution dans un régime parlementaire non seulement comme un besoin nécessaire au contrôle de la constitutionnalité des lois, mais surtout comme un bastion du contrôle de la conformité de l’exercice du pouvoir avec les principes et les dispositions de la constitution.
La prolifération législative opérée par la précédente Assemblée ainsi que la multiplicité des lois que compte adopter l’Assemblée de 96 suite aux projets proposés par l’Exécutif qui concernent notamment les élections, les médias, les finances et la justice... ne peuvent être qu’un terrain fertile (et juste dans un grand nombre de cas) aux intellectuels, aux hommes politiques et aux juristes pour soulever le problème de la constitutionnalité de ces lois (à titre d’exemple, un projet de loi pour faire du Liban une seule circonscription).
«Qui a le droit de trancher ces problèmes? Est-il possible que le pouvoir politique reste sans contrôle objectif»?
«Et même si c’est le Conseil constitutionnel qui est compétent pour le faire, le pourra-t-il sous une loi qui donne seulement aux principales autorités le droit de le saisir»?
Nous ne sommes pas les seuls à affronter ce genre de problèmes. La France, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis d’Amérique et d’autres pays démocratiques en ont eu au cours de l’histoire, pour leur compte. L’expérience française de la quatrième république même si elle ne correspond pas exactement à notre situation peut nous être une source d’inspiration, la ressemblance à ce niveau étant des plus surprenantes.
Il va sans dire que la science du droit comparé est une source enrichissante pour beaucoup de pays et de sociétés afin de trouver les solutions nécessaires et améliorer la légifération dans des matières à polémiques nécessitant une grande sagesse et une plus grande expérience.

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L’expérience française révèle que la mise en place en 1958 du Conseil constitutionnel était la conséquence inéluctable de l’exacerbation des conflits entre les différentes institutions de la quatrième république, qui déboucha sur les événements du 13 mai 1958 qui à leur tour mirent fin à la constitution de 1946.
En effet, le régime parlementaire de la quatrième république neutralisait chroniquement l’activité de l’Exécutif, on parlait à cette époque d’un «régime d’Assemblée», tellement l’emprise du Législatif se faisait sentir sur l’Exécutif. Cet enchevêtrement des prérogatives constitutionnelles s’avéra fatal aux régimes et à la république. L’avènement d’une cinquième république ne se fit pas attendre et le Conseil constitutionnel fut considéré par la nouvelle constitution comme la «clé du régime parlementaire rationalisé».
Un de ses principaux objectifs était la réalisation de la plus grande stabilité entre les principales institutions du régime par un contrôle simultané de la constitutionnalité des lois et de l’exercice du pouvoir par les autorités législatives et exécutives. Pour ce faire et dans l’optique de donner au Conseil constitutionnel une indépendance totale, la constitution de la cinquième république dissocie entre les lois ordinaires d’une part et les lois organiques d’autres part (art. 56,61 de la constitution). Ces dernières sont systématiquement et automatiquement soumises au contrôle du Conseil constitutionnel vu leur importance quant à la vie de la constitution, sans qu’aucune saisie de la part des autorités de saisie ne soit ordonnée.
Dans ce sens, et conformément à l’article 25 de la constitution française, est considérée comme loi organique la loi concernant la constitution de l’Assemblée législative, les conditions d’éligibilité des parlementaires, le système de vote, etc... qui par parallélisme est assimilée à notre loi électorale.
De même l’article 46 al.5 de la constitution française stipule expressément:
«Les lois organiques ne peuvent être promulguées qu’après déclaration par le Conseil constitutionnel de leur conformité à la constitution».
Cette nouvelle forme de contrôle obligatoire a été considérée non seulement comme un facteur essentiel dans la réalisation de la stabilité du régime mais aussi comme un moyen de résoudre les éventuelles crises suscitées par l’enchevêtrement des prérogatives des différents pouvoir ainsi que par les multiplicités des partis et courants politiques différents et concurrents. (L’exemple de la cohabitation française étant expressif quant à son rapprochement de la démocratie consensuelle adoptée au régime libanais).

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Pourquoi ne pas adopter au Liban un régime de contrôle similaire au régime de contrôle obligatoire adopté pour les lois organiques par la cinquième république, d’autant plus que le Liban est non seulement soumis à l’enchevêtrement des prérogatives des pouvoirs constitutionnels en fonction, mais aussi il est sujet à de fortes turbulences d’ordre régional et politique qui préconisent beaucoup plus que ne l’exigeaient les circonstances de 1958 en France, l’adoption d’une pareille mesure.
En effet, la situation explosive du Liban-Sud tributaire des pourparlers qui ne commencent pas, la non-application intégrale du traité de Taëf, l’ingérence et les pressions politiques sur les différents pouvoirs notamment sur le judiciaire, la crise de sincérité entre la société civile et les instances de l’Etat due essentiellement aux élections de 92 et 96, le problème de l’enchevêtrement des tractations et des conflits politiques visant à dénigrer la constitution en faveur des différents pôles du pouvoir, constituent des raisons obligatoires pour au moins adopter une mesure ayant fait ses preuves et étant déjà mise en place pour des circonstances moins dangereuses et moins complexes.
De même et parallèlement aux dispositions appliquées en France, les Etats-Unis d’Amérique ont amélioré ce système de contrôle par l’adoption d’un contrôle «a priori et par voie d’exception», ce même contrôle que voulait appliquer le président Mitterrand en 1990 et que la commission «Vedel» avait adopté en partie.
Conformément à ce qui précède et suite à l’examen comparatif du régime légal et politique libanais avec d’autres régimes démocratiques, il est urgent de procéder à un amendement de la constitution visant à distinguer entre lois organiques et lois ordinaires, amendement suivi par celui de l’article 19 de la constitution libanaise qui organise les conditions de saisie du Conseil constitutionnel.
L’amendement proposé étant le suivant:
«Les lois organiques telles que définies par la constitution sont promulguées puis publiées et appliquées conformément aux dispositions suivantes:
«Le projet de loi ou «la proposition de délibération» ne seront soumis au vote devant l’Assemblée législative qu’après quinze jours de leur dépôt».
«Les dispositions de l’article 34 seront prises en considération pour la procédure de délibération et de vote des projets de loi, les lois organiques ne pouvant être adoptées que par majorité absolue des membres de l’Assemblée.
Les lois organiques ne seront définitives et donc susceptibles de publication qu’après la déclaration par le Conseil constitutionnel de leur conformité à la constitution».
C’est seulement par ce moyen que nous pouvons solliciter de nouveau l’intérêt de la société civile et l’inciter à prendre part dans les débats visant à instaurer une nouvelle loi électorale surtout après les échecs des précédentes tentatives et le dialogue de sourds qui a précédé le vote de la loi 96. Le pouvoir ayant, à cette époque, outrepassé toutes les observations et les solutions proposées pour arriver à une loi juste et durable, dans le seul but de se garantir un Parlement à sa mesure.
Le débat sans le rôle de séparateur du Conseil constitutionnel entre la société civile et l’autorité politique (maître d’œuvre du projet de loi à ambition proliférante) ne sera intéressant que si le Conseil constitutionnel reste, en dépit des rumeurs, des obstacles et des manquements survenus lors de sa mission, l’ultime pouvoir à trancher sur la validité de la loi électorale.
Le peu, fut-il modeste, qui pourra être jugé en Conseil constitutionnel, malgré les différentes variétés de pression pour corriger un désordre, ou au pire des cas juger avec sursis d’exécution des atteintes au système, sera un prélude pour toute initiative sérieuse internationale régionale ou locale et pour lancer un dialogue positif et constructif avec les autres et non avec soi-même.

Ibrahim Kanaan

Président du Centre libanais des Recherches pour les études juridiques et economiques
Les prérogatives et les performances du Conseil constitutionnel, après les recours en invalidation contre la dernière loi électorale et contre les résultats des élections, ont été pour deux raisons essentielles l’objet d’une vive polémique soulevée par tous les milieux de l’opinion publique libanaise.La première raison concerne l’aptitude et l’efficacité de la...