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Actualités - CHRONOLOGIE

La Refah parle d'élections anticipés et Ciller d'un départ imminent du gouvernement L'armée turque évoque la possibilité d'un putsch

L’armée turque a franchi un nouveau pas dans l’escalade de la véritable guerre qu’elle a déclenchée depuis des semaines déjà contre le parti islamiste de la prospérité (Refah) au pouvoir, l’accusant de soutenir le fondamentalisme musulman. Allant plus loin encore, les militaires ont clairement fait allusion à un éventuel coup de force contre le gouvernement de Necmettin Erbakan. Ce dernier pour sa part observait hier un silence prudent mais son alliée au sein de la coalition, Mme Tansu Ciller, a parlé d’un changement ministériel «imminent» tandis que le président du groupe parlementaire du Refah annonçait des élections législatives anticipées, probablement pour le mois d’octobre prochain.
Mme Ciller a même été jusqu’à évoquer le départ des représentants de sa formation au sein du gouvernement si M. Erbakan ne démissionne pas avant le 18 juin pour lui remettre sa charge.
Pour nombre d’observateurs et d’hommes politiques turcs, le coup d’Etat est plus qu’une probabilité, une certitude, dans un pays qui en a vu trois en l’espace de trente-sept ans. «L’escalade actuelle de la tension entre l’armée et le Refah est très inquiétante», commentait ainsi mercredi le principal chef de l’opposition Mesut Yilmaz.
Dans un briefing à la presse, le général Fevzi Turkeri, chef des services de renseignement à l’état-major général des armées, a accusé, pour la première fois de manière aussi nette, le Refah du premier ministre de «soutenir le fondamentalisme islamique» et d’«inciter le peuple à s’opposer à l’Etat laïc».
«Les forces armées turques ont le droit constitutionnel de défendre le régime contre toute menace intérieure ou extérieure (...). Le combat contre les activités religieuses subversives est de la plus haute priorité pour les forces armées», a-t-il averti.
A l’appui de ses dires, le général a montré des vidéos et cité plusieurs exemples d’événements récents, reflétant selon lui des activités fondamentalistes et mettant en cause directement des membres du Refah.
Le Refah n’a jamais été cité nommément par le général mais la majorité des accusations concernaient des activités de ses députés qui sont, pour la première fois, accusés aussi clairement d’être des «partisans de l’islam politique».

Décisions sans suites

Le général Turkeri a rappelé l’invitation faite en janvier dernier par M. Erbakan à des chefs de sectes islamistes, en principe interdites par la Constitution, à un dîner à sa résidence officielle. «Ainsi, un message de soutien et de tolérance leur a été donné», a-t-il dit.
«Un ministre a rendu visite en prison au maire de Sincan qui avait été inculpé par une Cour de sûreté de l’Etat», a poursuivi le général Turkeri. C’était une allusion au ministre de la Justice Sevket Kazan, un des «durs» du Refah, qui avait rendu visite dans sa cellule à Bekir Yildiz, maire Refah de Sincan, une banlieue d’Ankara.
M. Yildiz était alors inculpé d’activités antilaïques pour avoir organisé dans sa ville fin janvier une «soirée pour Jérusalem» lors de laquelle des appels à l’instauration de la charia (loi coranique) en Turquie avaient été lancés, et la visite de M. Kazan avait causé un tollé.
«Les députés (du Refah) qui soutiennent l’islam politique ont monté la population contre le régime laïc et contre l’armée lors d’une manifestation», a également déclaré le général Turkeri.
Dans une manifestation organisée en mai à Istanbul par le Refah, quelque 100.000 personnes avaient protesté contre un projet inspiré par les militaires de fermer de nombreuses écoles islamiques.
«Les activités religieuses subversives sont en augmentation depuis l’arrivée au pouvoir de ce gouvernement», a-t-il ajouté.
Le général a aussi accusé le gouvernement de n’avoir pas mis en œuvre les décisions prises en février par le Conseil national de sécurité (MGK, dominé par les militaires) pour stopper la montée du fondamentalisme religieux dans le pays.
«Les mesures adoptées par le MGK n’ont pas été appliquées, à part quelques décisions cosmétiques. Des groupes islamiques subversifs ont formé un front pour empêcher l’application de ces mesures», a-t-il dit.
Les mesures incluent la fermeture de certaines écoles religieuses, l’expulsion des fondamentalistes de l’administration et l’interdiction de toute propagande fondamentaliste.
Le général Turkeri a affirmé qu’il existait une trentaine de groupes islamistes radicaux en Turquie qui «s’employaient à élargir les activités fondamentalistes» et qu’ils «pourraient s’orienter vers des actions terroristes».
Selon le général, les partisans du fondamentalisme contrôlent actuellement 19 journaux, 110 magazines, 51 stations de radio et 20 chaînes de télévision. Il a fait état de «100 patrons islamistes» qui contrôlent des fonds considérables, dont six disposent chacun d’un capital allant jusqu’à plusieurs centaines de millions de dollars.

Large publicité

«Nous avons toutes les preuves démontrant que l’Iran, la Libye, l’Arabie Séoudite et le Soudan soutiennent financièrement et psychologiquement les groupes subversifs islamistes en Turquie», a déclaré par ailleurs le général.
Il a accusé l’ancien ambassadeur d’Iran à Ankara de coordonner le soutien de l’Iran aux groupes terroristes islamistes turcs. La Turquie avait demandé à l’Iran de rappeler son ambassadeur Mohammad Reza Bagheri qui s’en était pris au régime laïc turc en faisant l’éloge de la «charia» (loi coranique).
«L’Iran se sert de toute sorte de propagande pour motiver les éléments fondamentalistes contre le régime en Turquie. L’Arabie Séoudite et la Libye accordent un soutien financier et le Soudan, le soutien logistique», a-t-il ajouté.
«L’islam politique, solidaire avec l’Iran et d’autres pays islamiques, tente d’éloigner la Turquie de l’Occident», a dit le général.
Ce briefing a bénéficié d’une large publicité car il avait été donné mardi à quelque 400 magistrats qui avaient bravé l’interdiction de leur ministre, M. Kazan, d’y assister.
L’armée projetait de le répéter pour d’autres catégories comme les universitaires et les hauts fonctionnaires, dans un souci évident de prendre à témoin de larges segments de la société.
Depuis février, les militaires, déterminés à chasser le Refah du pouvoir, ont pris la tête d’une coalition des forces laïques du pays, comprenant les milieux d’affaires, l’opposition parlementaire, la grande presse, la justice, les syndicats et les femmes.
Sachant qu’un putsch ferait très mauvais effet en Occident, ils ont privilégié jusqu’ici la voie démocratique, espérant que l’opposition ferait tomber le gouvernement au Parlement, ce qui n’a pas encore été possible.

Des erreurs

Dans le camp adverse, on fourbit ses armes en prévision de la contre-offensive qui se dessine déjà. Ainsi, Mme Tansu Ciller a annoncé dès mercredi un changement de gouvernement qu’elle a donné pour imminent et du côté de M. Erbakan, on parle d’élections législatives anticipées.
«Les élections auront lieu en automne et très probablement en octobre», a précisé, au cours d’une conférence de presse, M. Temel Karamollaoglu, président du groupe parlementaire du parti islamiste Refah de M. Erbakan.
«Une loi sera adoptée pour des élections législatives, puis le premier ministre transférera ses fonctions (à Mme Tansu Ciller, ministre des Affaires étrangères) courant juin», a-t-il ajouté.
La coalition gouvernementale est formée du Parti de la juste voie (DYP, droite) de Mme Ciller et du Parti de la prospérité (Refah), de M. Erbakan. Le gouvernement a perdu récemment la majorité au Parlement en raison de la défection de députés du DYP, mécontents de la poursuite de la coalition avec le Refah.
Les élections devaient normalement avoir lieu en décembre 2000.
Mme Ciller est d’un tout autre avis. Pour elle, «ce gouvernement est incapable d’agir; ce n’est plus un gouvernement d’action» et «il faut s’attendre à un changement de Cabinet dans les jours prochains». Elle a rejeté en grande partie la responsabilité de la crise sur le Refah déclarant à ce propos: «Il y a eu provocation et erreurs de la part du Refah, ainsi que de la part des partis d’opposition et de tous ceux qui veulent diriger le Parlement de l’extérieur».
(AFP, Reuter)
L’armée turque a franchi un nouveau pas dans l’escalade de la véritable guerre qu’elle a déclenchée depuis des semaines déjà contre le parti islamiste de la prospérité (Refah) au pouvoir, l’accusant de soutenir le fondamentalisme musulman. Allant plus loin encore, les militaires ont clairement fait allusion à un éventuel coup de force contre le gouvernement de...