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Actualités - REPORTAGE

Les 5 membres de l'armée rouge ont été interrogés hier par la cour criminelle Nouvelles révélations sur le rôle de la sûreté de l'état Le brigadier Makki sera entendu lundi en tant que témoin du parquet (photos))

Des révélations fracassantes-notamment sur le rôle de la Sûreté de l’Etat dans le feuilleton de l’arrestation des Japonais —, l’arrivée de inculpés soudés et sûrs d’eux, la présence d’avocats célèbres, notamment le député Zaher el-Khatib et M. Karim Pakradouni... L’ouverture du procès des 5 membres de l’Armée rouge et de la Libanaise Oumayya Abboud a été à la hauteur de l’attente de la nombreuse assistance. Et lorsque le chef de la bande, Masao Adachi s’est tourné vers le premier secrétaire de l’ambassade nippone, M. Tamotusu Séi, l’accusant d’être un membre de l’unité de la police japonaise chargée de les retrouver au Liban, la salle n’a pas immédiatement réagi, ne parvenant pas à croire à l’énormité de la chose. Rapidement, le président du tribunal, le juge Souheil Abdel Samad a pris en main la situation, usant à la fois de son autorité et de son sens diplomatique pour empêcher tout dérapage indésirable...
L’étrange audience — qui a commencé à 10 heures du matin pour être levée à 17h — a constamment oscillé entre les manœuvres de la défense destinées à parler de crime politique et celles du parquet voulant confirmer les accusations de falsification de cachets officiels, de séjour illicite et de fausse déclaration d’identité, imputées aux inculpés. La seconde audience — qui aura lieu lundi prochain et qui sera consacrée à l’audition des témoins du parquet — risque d’être tout aussi explosive, puisqu’en principe le brigadier Ali Makki de la Sûreté de l’Etat doit y comparaître.

La cause arabe

Habitués à être adulés comme des héros ou insultés comme des criminels, les 5 membres de l’Armée rouge, introduits dans la salle du tribunal n’ont pas vraiment l’air de comprendre ce qui leur arrive. Pour eux, les Libanais ne peuvent être que des alliés dans la lutte pour la cause arabe à laquelle ils ont consacré leur vie. Ils craignent donc surtout le regard de leurs compatriotes, nombreux dans la salle, et surtout celui des deux diplomates nippons qui ont tenu à assister à l’audience avec leur propre interprète.
Très à l’aise, ils ne se comportent pas vraiment en détenus, amenant avec eux des cahiers et autres documents, communiquant entre eux pendant l’audience et essayant d’intervenir quand bon leur semble. D’ailleurs, à peine installés dans le box des accusés, ils lèvent le poing face aux caméras de télévision pour bien montrer qu’après toutes ces années, devenus quinquagénaires, ils n’ont pas changé de conviction, ni perdu leur détermination. L’événement est en réalité de taille car c’est la première apparition publique de membres de l’Armée rouge depuis la création de cette organisation. Et les 5 inculpés espéraient être interrogés sur leur lutte contre «l’impérialisme et le sionisme». D’ailleurs, au cours de son interrogatoire, Adachi a demandé l’autorisation d’aborder ce thème, précisant qu’il attend ce moment depuis longtemps, mais le président du tribunal, dont le souci principal est d’éviter la politisation du procè, n’a pas accepté.
Après une rapide lecture de l’acte d’accusation établi par le juge Saïd Mirza, le président Abdel Samad entame l’interrogatoire des inculpés en présence de nombreux avocats, la plupart s’étant spontanément proposés pour défendre Kozo Okamoto et ses compagnons, des diplomates nippons, de nombreux journalistes, de la mère d’Oumayya Abboud et de plusieurs agents des FSI, souvent débordés.

La «star du procès»

Si Masao Adachi (57 ans) correspond totalement à l’image d’un activiste, avec sa vivacité d’esprit, sa détermination et la brutalité de ses réponses, Kozo Okamoto (49 ans), «la star de ce procès» l’air d’un enfant perdu au milieu de la foule. Seuls ses cheveux poivre et sel et sa petite barbiche indiquent qu’il n’est pas aussi jeune qu’on pourrait le croire. Il a pourtant une allure si inoffensive, avec sa silhouette menue, ses yeux innocents et son sourire un peu béat. Kozo est totalement couvé par Kasuo Tohira (44 ans) — qui reste toujours à ses côtés, l’aidant, le soutenant et lui transmettant les propos du juge. Haro Wako (48 ans) — qui, dit-on, a entraîné la résistance au Liban-Sud — parle couramment l’anglais et comprend visiblement l’arabe. Malin, il sait éluder les questions avec le sourire.
Enfin, Mariko Yamomoto (57 ans) visiblement intimidée se cache les yeux derrière d’immenses lunettes noires. Elle parle à voix basse et regarde souvent du côté de Masao Adachi — avec lequel elle vivait — avant de répondre au juge; à tel point que ce dernier demande à Adachi de changer de place. La Libanaise Oumayya Abboud, elle, est très émue. En entrant dans la salle et en apercevant sa mère, elle s’essuie les yeux. Un foulard rouge autour du cou, elle parle lentement, implorant souvent des yeux ses avocats avant de répondre. D’ailleurs, toute la salle semble pleine de sympathie pour cette malheureuse infirmière arrêtée le 14 février à Chtaura et maintenue dans une cellule individuelle pendant 21 jours puis accusée d’exercice illicite de la médecine.
L’interrogatoire des inculpés se prolonge car il faut constamment avoir recours aux services d’une traductrice, Mme Lina Mahmassasi mais comme celle-ci ne parvient pas à suivre le rythme, le président de la cour demande s’il y a dans la salle quelqu’un qui parle bien l’anglais pour aider la traductrice. Et c’est notre consœur de Télé-Liban, Lina Halabi qui se dévoue pour la tâche.

Les inculpés nient

En gros, les inculpés nient les charges qui leur sont imputées, précisant qu’ils sont en possession de faux passeports pour des raisons de sécurité et parce que leurs passeports japonais ne sont plus valables, les autorités nippones ayant lancé des avis de recherche à leur rencontre. Ils nient avoir utilisé les fausses identités au Liban, précisant qu’au moment de leur arrestation, les éléments de la Sûreté de l’Etat connaissaient leurs identités réelles et c’est en les appelant par leurs noms qu’ils les avaient arrêtés. Ce qui contredit la version officielle qui veut que les inculpés aient été arrêtés dans le cadre d’une rafle auprès de plusieurs étrangers utilisant de faux papiers.
Masao Adachi, Mariko Yamamoto et Kazuo Tohira déclarent que lorsqu’ils ont été emmenés au quartier général de la Sûreté de l’Etat, à Spinney’s, ils ont vu sur la table des papiers avec leurs photos et leurs noms véritables écrits en anglais. Ce qui signifie que ceux qui les ont arrêtés connaissaient leurs identités et leurs fonctions. Masao Adachi va même jusqu’à dire qu’au moment de leur interrogatoire par les officiers de la Sûreté de l’Etat, ils ont entendu des voix parler en japonais. Plus tard, lors de l’entrevue avec les diplomates nippons dans le bureau du procureur général près la cour de cassation, il a été lui-même interrogé par M. Séi et il a reconnu la voix qui parlait pendant les interrogatoires. D’ailleurs, Adachi a révélé à la cour qu’il connaissait M. Séi. «Il est membre de l’unité chargée de nous retrouver au Liban», déclare-t-il en tendant la main vers le diplomate. Ce dernier s’empresse de se lever et de s’asseoir dans les rangs du fond. Adachi se met à hurler, aidé par les journalistes flairant l’événement. Mais le président du tribunal frappe sur la table et convoque à la barre M. Séi. «Vous êtes un diplomate et vous avez demandé une autorisation pour assister à cette audience. Vous devez vous asseoir au premier rang après les avocats».

La version officielle

Le diplomate s’exécute et le sujet est clos. Mais les journalistes présents ne peuvent s’empêcher de se remémorer la version officielle au cours de l’enquête préliminaire, lorsque les autorités avaient affirmé avoir envoyé les empreintes des personnes arrêtées afin de vérifier leurs identités alors que celles-ci étaient connues dès le début...
Autre révélation choquante: les inculpés ont reconnu avoir utilisé une seule fois leurs fausses identités et avoir signé le procès-verbal de leurs interrogatoires par le brigadier Ali Makki (de la Sûreté de l’Etat) de ces fausses identités, à la demande de ce dernier. Makki, disent-ils, leur avait déclaré que pour leur sécurité, les autorités libanaises souhaitaient cacher la capture de membres de l’Armée Rouge.
Enfin, les inculpés ont précisé être installés au Liban depuis quelques années mais être partis, parfois dans un autre pays arabe. L’avocat général, M. Abdallah Bitar veut savoir lequel, mais le président du tribunal coupe court à la question.
Lorsque le président veut interroger Okamoto, Tohira se précipite pour l’aider, mais le président insiste pour l’interroger seul. Okamoto a du mal à s’exprimer et avec beaucoup de candeur, il s’écrie: «Je ne comprends pas pourquoi on m’interroge sur les affaires de passeports. Je pense qu’après l’opération de Lod (l’attaque contre l’aéroport de Tel Aviv en 1972 dont il est l’unique survivant), je suis le bienvenu dans tous les pays arabes». Adachi s’insurge contre l’interrogatoire de son compagnon, et le président le fait taire.
Visiblement pour Kozo, le monde s’est arrêté en 1972. Comme il est inacapable de répondre de façon cohérente, le président met un terme à son interrogatoire. Mais sa présence dans le box des accusés est l’occasion pour M. Zaher Khatib et Me Béchara Abou Saad de rendre un vibrant hommage à ceux qui sont venus de très loin par dévouement à la cause arabe et palestinienne. Khatib demande aux inculpés s’ils sont réfugiés dans leur pays pour des raisons politiques et ils répondent par l’affirmative. Pour la défense, il faut faire en sorte que le crime soit reconnu comme étant politique. Dans ce cas, il est couvert par la loi d’amnistie et comme il n’y a pas de traité d’extradition entre le Liban et le Japon, les personnes poursuivies dans leur pays pour des raisons politiques, ne peuvent être rapatriées.

Oumayya Abboud

Le procureur Bitar — qui se retrouve un peu seul dans cette affaire — insiste de son côté pour prouver que les inculpés ont bel et bien utilisé de faux passeports au Liban et il y parvient presque puisque les faux passeports trouvés chez eux et exhibés au tribunal portent tous des visas d’entrée au Liban ainsi que des tampons d’entrée de la Sûreté générale libanaise.
Lorsqu’arrive le tour d’Oumayya Abboud, les questions portent sur les détails de l’exercice de l’acupuncture, qui, selon elle, n’est pas une médecine et nécessite soit une formation pratique soit des études. Oumayya affirma aussi qu’elle n’avait pas de clinique, se contentant de pratiquer au centre de l’association «La Santé et l’Homme» à laquelle elle remettait le montant de ses honoraires. Elle ajoute aussi que l’acupuncture ne cause aucune contre-réaction dans le corps humain, puisqu’elle est superficielle et ne nécessite ni une chirurgie ni un médicament.
A 17h, l’assistance est tellement épuisée que le président demande aux avocats d’écouter leurs questions. Il lève ensuite l’audience. La prochaine — qui aura lieu lundi — sera consacrée à l’audition des témoins du parquet, pour la plupart des officiers de la Sûreté de l’Etat, dont le brigadier Ali Makki qui a démissionné depuis l’éclatement de cette affaire.

Scarlett HADDAD
Des révélations fracassantes-notamment sur le rôle de la Sûreté de l’Etat dans le feuilleton de l’arrestation des Japonais —, l’arrivée de inculpés soudés et sûrs d’eux, la présence d’avocats célèbres, notamment le député Zaher el-Khatib et M. Karim Pakradouni... L’ouverture du procès des 5 membres de l’Armée rouge et de la Libanaise Oumayya Abboud a...