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Actualités - CHRONOLOGIE

Coup de théâtre dans l'affaire de la CGTL Yasser Nehmé, placé en garde à vue l'après-midi, est libéré minuit (photo)

Coup de théâtre, hier, dans l’affaire de la CGTL: le secrétaire général de la centrale syndicale opposante et directeur général du quotidien «As-Safir», M. Yasser Nehmé, a été relâché peu avant minuit sur ordre du procureur Abdallah Bitar. Un peu moins de douze heures plus tôt, M. Bitar avait engagé des poursuites contre le militant syndicaliste pour atteinte au prestige de l’Etat.
Si la relaxation de M. Nehmé, également président du syndicat des ouvriers d’imprimerie, à une heure tardive de la nuit surprend parce qu’elle sort de l’ordinaire, il n’en demeure pas moins qu’elle en dit long sur l’état d’esprit et l’embarras dans lequel les autorités politiques se trouvent du fait de l’ampleur de la vague d’indignation soulevée par l’arrestation des deux leaders syndicaux, Elias Abou Rizk et Yasser Nehmé (VOIR AUSSI PAGE 4).
Des sources informées croient savoir que l’autorité politique n’est pas étrangère à la remise en liberté de M. Nehmé, qui a réuni hier autour de lui, dans un même élan de solidarité et d’opposition au pouvoir, de nombreux courants politiques, sans compter les milieux de la presse qui s’apprêtaient à organiser un mouvement de grève. Officiellement, on souligne que M. Nehmé a été libéré pour des raisons de santé, et qu’il doit toujours comparaître aujourd’hui devant le juge Saïd Mirza avec M. Elias Abou Rizk. Mais, de mêmes sources, on apprend que le chef du gouvernement, M. Rafic Hariri, un vieil ami du secrétaire général de la centrale syndicale opposante, serait intervenu en personne auprès des autorités compétentes pour obtenir la libération de M. Nehmé.
Si ces informations n’ont pu être confirmées à la source, il n’en demeure pas moins qu’elles ont été confortées par les propos que M. Hariri a tenus devant quelques journalistes au terme de la réunion du Conseil des ministres en début de soirée au palais de Baabda (VOIR PAR AILLEURS). Le chef du gouvernement a exprimé sa consternation devant l’arrestation de son vieux compagnon de route et juré ses grands dieux qu’il n’a rien à voir dans cette affaire. «Yasser Nehmé était mon collègue, voire même mon directeur à la revue «Al-Hourriya» (Liberté, porte-parole des nationalistes arabes). Aussi, je ne peux pas avoir été moi-même l’instigateur de sa détention», a-t-il ajouté. Il s’est toutefois abstenu de commenter la procédure judiciaire.
Qu’elle soit le fait du chef du gouvernement ou de n’importe quel autre responsable, il faut dire que la libération de M. Nehmé pourra largement aider la cause des deux syndicalistes. Le secrétaire général de la centrale opposante l’a lui-même affirmé. Devant la foule qui l’attendait à son bureau au quotidien «As-Safir», il a souligné que sa «remise en liberté constitue un précédent dans les annales de la justice libanaise et de la détention politique». Il s’est dit persuadé qu’elle servira la cause de son collègue, Elias Abou Rizk, et de manière générale, la cause qu’ils défendent ensemble.
Son point de vue est également partagé par son avocat, Me Nagi Boustany, qui représente également M. Abou Rizk. Depuis le début de cette affaire, Me Boustany affiche un optimisme à toute épreuve. Et, aujourd’hui, il a toutes les raisons de croire qu’il pourra gagner sa cause.

Nouvel interrogatoire

Il reste que, dans la journée, l’un après l’autre, les responsables syndicaux opposants s’étaient retrouvés en prison, alors que le peuple, anesthésié par l’insistance du pouvoir à ignorer ses revendications, ne sait plus comment réagir. Après Elias Abou Rizk, placé en garde à vue vendredi et arrêté en vertu d’un mandat samedi, c’était donc hier au tour de Yasser Nehmé de passer une partie de la nuit aux arrêts. Aujourd’hui, Abou Rizk et Nehmé seront interrogés par le premier juge d’instruction de Beyrouth, M. Saïd Mirza, dans l’affaire des lettres envoyées à l’étranger et jugées insultantes pour le prestige de l’Etat libanais. Demain, les autres responsables syndicaux opposants — dont M. Elias Habre —, qui devront être entendus par le juge Mirza dans l’affaire de l’usurpation de titre et de pouvoir, risqueront à leur tour d’être arrêtés. Ainsi va la démocratie au pays des droits de l’homme et des libertés, version Seconde République de l’après- Taëf. A croire qu’il n’est pas permis de s’opposer au gouvernement, de le critiquer ou simplement d’oser dire que le Liban n’est pas le paradis terrestre.
Hier, pour la troisième fois depuis son arrestation, Elias Abou Rizk a été conduit au Palais de justice sans tambour ni sirène mais sous les applaudissements de ses partisans, chaque jour, cependant, un peu moins nombreux — mesures d’intimidation obligent. Le responsable syndical, qui, en l’absence de structures efficaces au sein de l’opposition, avait fait sien le combat pour les libertés (en particulier celles de l’audiovisuel), se retrouve aujourd’hui presque seul pour affronter l’implacable machine brusquement mise en branle pour neutraliser son action contestataire. Mais, désormais, il a un compagnon de détention, M. Yasser Nehmé, son vieux partenaire dans la lutte syndicale — qui avait passé 18 jours en prison en 1958 — et qui a passé une partie de la nuit aux arrêts.
M. Nehmé arrive hier matin au Palais de justice en homme libre et il n’en ressort plus, puisqu’il est directement emmené à la prison du sous-sol. Ponctuel à son accoutumée, il se présente au bureau du procureur Bitar à 10 heures précises. De nombreux syndicalistes sont déjà là, ainsi que Me Karim Pakradouni, l’une des rares personnalités , avec le député Zaher el-Khatib, à se rendre régulièrement au Palais de justice en témoignage de solidarité avec les responsables syndicaux opposants. Comme il l’avait annoncé la veille, M. Nehmé apporte avec lui de nombreux documents contenus dans plusieurs enveloppes de couleur beige. Ces documents sont essentiellement des coupures de journaux (notamment «L’ORIENT-LE JOUR») relatives aux élections syndicales frauduleuses de Saïda le 13 avril dernier et à celles du 24 avril. Il y aussi des copies d’une lettre de remerciements adressée par le ministre du Travail à la CGTL d’Abou Rizk lorsque celle-ci avait retiré la plainte contre le ministère présentée devant l’OIT, ainsi qu’une copie de la plainte présentée par les huits fédérations dont Abou Rizk avait refusé l’adhésion toujours à l’OIT. M. Nehmé veut montrer, à travers ces documents, que l’OIT est considérée par les fédérations des travailleurs et par le ministère du Travail comme un recours normal en cas de conflit. Il ne s’agit donc pas d’instances internationales telles que les a évoquées le législateur dans l’article 297 du code pénal. Enfin, il a voulu montrer que la presse libanaise a longuement évoqué la fraude au cours des élections syndicales de Saïda, relatant les détails dans des articles parus dans la plupart des journaux locaux.

Des coups de
fil anonymes

Au sujet des menaces qu’ils auraient reçues et qui auraient justifié l’envoi de lettres à l’OIT, Nehmé — et d’ailleurs Abou Rizk — affirment qu’elles leur sont parvenues par le biais de coups de fil anonymes et, par conséquent, ils ne peuvent avancer de noms... Nehmé confie tout cela aux personnes présentes en attendant d’être introduit dans le bureau du procureur. Il ignore encore si Elias Abou Rizk — qui était resté toute la journée de mardi à l’hôpital — se présentera devant M. Bitar. Vers 10h15, l’avocat du chef de la centrale opposante, Me Naji Boustany, arrive au Palais de justice et annonce avoir vu Abou Rizk à l’hôpital. Comme il va mieux, les médecins l’ont autorisé à se rendre à la convocation du procureur. Quelques minutes plus tard, Abou Rizk arrive, étroitement encadré par les agents des FSI. Dès son apparition, dans la cour interne du bâtiment, les applaudissements commencent à crépiter et des cris: «Bonjour président» se font entendre. Les syndicalistes présents sont émus jusqu’aux larmes et tous se précipitent pour lui donner l’accolade. Emu lui aussi, Abou Rizk s’enquiert de la santé de chacun, se contentant de sourire lorsqu’on lui pose des questions précises. La tête haute, l’homme n’a qu’un souci, relever le moral de ses partisans et éviter qu’ils ne se laissent aller au découragement face à l’acharnement du pouvoir contre «sa» centrale. De fait, en le voyant si souriant et sûr de lui — comme avant son arrestation — une vague d’enthousiasme soulève l’assistance. Abou Rizk reste quelques minutes avec Yasser Nehmé et Karim Pakradouni puis il est introduit dans le bureau de M. Bitar.
L’interrogatoire durera plus de deux heures et alors que M. Abou Rizk est aussitôt ramené à l’hôpital orthodoxe où il est maintenu en détention, Yasser Nehmé entre à son tour chez le procureur avec, sous le bras, ses enveloppes pleines de documents. Comme les deux hommes sont entendus — pour l’instant — en qualité de témoins par le procureur, ce dernier doit les voir séparément. Mais l’entrevue avec Nehmé est rapide, le procureur s’étant déjà forgé une opinion sur la question. Me Boustany est convoqué chez le procureur qui l’informe de sa décision d’engager des poursuites contre Abou Rizk et Nehmé pour atteinte au prestige de l’Etat, sur base de l’article 297 du code pénal. M. Bitar estime en effet que les coups de fil anonymes ne peuvent justifier les lettres adressées à l’OIT et il trouve que les documents présentés par M. Nehmé n’ont rien à voir avec l’affaire en cours.

Un vieux compagnon
du président du Conseil

Il est près de 14h30 et Nehmé est aussitôt emmené par les agents des FSI au dépôt qui se trouve au sous-sol. Les syndicalistes présents avaient beau s’attendre au pire, ils n’en sont pas moins choqués. A leurs yeux, Nehmé a une longue carrière syndicale derrière lui et c’est un homme respecté qui est depuis des années président du syndicat des ouvriers d’imprimerie tout comme il est aussi le directeur général du quotidien «As-Safir». Beaucoup ne le savent pas, mais ses proches le racontent, Nehmé est aussi un vieux compagnon du président du Conseil qu’il aurait encouragé au début des années 60 à acheter un billet d’avion — un aller simple — pour l’Arabie Séoudite...
Nehmé qui, la veille encore, prenait la parole à la rencontre de solidarité avec Abou Rizk à l’hôtel Alexandre, est donc incarcéré. Il occupe l’une des deux cellules obscures et nauséabondes de la prison du Palais de justice, en compagnie de 5 autres personnes placées en garde à vue. Son avocat, Me Naji Boustany, s’est aussitôt rendu auprès du procureur général près la Cour de cassation, M. Adnane Addoum, pour demander que Nehmé soit examiné par un médecin — car il souffre lui aussi d’une tension artérielle élevée — et pour obtenir pour lui-même et pour le fils de Nehmé, Ammar, la permission de voir le détenu. Addoum a aussitôt demandé au médecin de la prison Sami Hammoud d’examiner Nehmé et il a signé les autorisations de visite présentées par Boustany.
Le juge Mirza interrogea ce matin les deux hommes et pourrait émettre à leur encontre deux mandats d’arrêt pour atteinte au prestige de l’Etat. Après cela, Nehmé pourrait être transporté dans un hôpital pour être suivi médicalement pendant sa période de détention, qui, selon les pessimistes — qui ont toujours raison au Liban — pourrait se prolonger jusqu’au 19 juin au moins, date de la clôture du congrès international sur le travail qui s’est ouvert hier à Genève.

Flou à Genève

Genève justement qui n’a pas encore officiellement choisi la centrale qui devrait représenter les travailleurs du Liban à l’OIT, en dépit des informations répandues par la centrale présidée par M. Zoghbi. Ce que l’on sait jusqu’à maintenant, c’est que les délégués de la centrale d’Abou Rizk ainsi que ceux de la centrale loyaliste sont dotés de cartes de membres de délégations officielles. On sait aussi que MM. Zoghbi et Antoine Béchara ont tenu dans la journée d’hier de nombreuses réunions avec les délégations arabes des travailleurs et notamment avec le secrétaire général de la Fédération internationale des travailleurs arabes, M. Jammam, qui avaient appuyé la CGTL d’Abou Rizk et réclament en permanence la libération immédiate de ce dernier. Enfin, M. Brett, président du Groupe international des travailleurs, a proposé à M. Zoghbi une médiation entre les deux centrales syndicales, mais ce dernier aurait refusé, parce que, selon lui, il n’y a qu’une seule centrale, celle qu’il préside.
Face à cette situation complexe, des sources syndicales estiment que la commission de vérification de qualité, ainsi que celle des recours en invalidation (qui a reçu un recours présenté par la centrale d’Abou Rizk) relevant de l’OIT, pourraient décider de ne pas trancher la question libanaise, trouvant une formule reconnaissant la participation de la CGTL de Zoghbi en tant que partie intégrante de la délégation officielle présidée par le conseiller du ministre du Travail (c’est d’ailleurs le ministère du Travail de chaque pays qui paye la cotisation des centrales syndicales membres de l’OIT) et celle de la CGTL d’Abou Rizk en tant que membre du groupe des travailleurs d’Asie.
En tout cas, les autorités n’ont pas attendu la décision de Genève pour poursuivre leurs pressions sur M. Abou Rizk. Hier et après une rapide consultation avec le procureur Bitar, le premier juge d’instruction M. Saïd Mirza (chargé aussi de l’enquête sur l’usurpation de titre et de pouvoir, dans le cadre de laquelle il a lancé un premier mandat d’arrêt contre Abou Rizk) a refusé la demande de remise en liberté du responsable syndical présentée lundi par son avocat et à laquelle s’étaient opposés l’avocat de la partie adverse ainsi que le procureur Bitar. Naturellement, personne n’a été vraiment surpris par cette décision et Me Boustany a aussitôt fait appel auprès de la chambre de mise en accusation. Tant que cette instance n’aura pas émis son verdict sur le recours, le juge d’instruction ne pourra pas poursuivre son enquête dans cette affaire. C’est pourquoi le juge Mirza n’entendra probablement pas aujourd’hui M. Elias Habre et d’autres membres de la centrale d’Abou Rizk, comme il l’avait prévu.
Leur arrestation — puisqu’il faut naturellement s’attendre au pire — n’aura donc pas lieu aujourd’hui. Et ceux-ci pourront participer au sit-in de protestation qu’observeront cet après-midi les employés du quotidien «As-Safir» devant le siège du syndicat de la presse. Par ailleurs, M. Halim Matar, du syndicat des employés de l’imprimerie (dont Nehmé est le président), a entrepris hier des contacts avec le président du syndicat des rédacteurs afin de tenir aujourd’hui une réunion qui déciderait éventuellement d’observer une grève générale dans la presse.
De son côté, le comité de suivi issu de la rencontre de solidarité de l’hôtel Alexandre devait tenir hier soir une réunion. Mais, en dépit de l’insistance de M. Zaher el-Khatib pour établir un plan d’action, aucune mesure concrète n’a été annoncée, au cours de la soirée. Le respect des libertés, sans cesse brandi par l’opposition aussi bien que par le pouvoir, ne serait-il au fond qu’un slogan?

Scarlett HADDAD
Coup de théâtre, hier, dans l’affaire de la CGTL: le secrétaire général de la centrale syndicale opposante et directeur général du quotidien «As-Safir», M. Yasser Nehmé, a été relâché peu avant minuit sur ordre du procureur Abdallah Bitar. Un peu moins de douze heures plus tôt, M. Bitar avait engagé des poursuites contre le militant syndicaliste pour atteinte au...