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Actualités - REPORTAGE

240 libanais sont arrivés à l'AIB à l'aube hier Les rescapés de Freetown racontent leur tragégie (photos)

Un homme s’effondre aux pieds de la passerelle de l’avion qui l’a ramené vers son pays natal. Il est 3h30 du matin à l’AIB. Jamil Saïd a tenu bon pendant cette longue semaine d’horreur à Freetown, mais brusquement, dès que ses pieds touchent le sol libanais, il s’évanouit presque dans les bras de M. Haytham Jomaa, directeur général du ministère des Emigrés venu l’accueillir. C’est le signal qu’attendaient les 240 rescapés de l’enfer de la Sierra Leone, entassés dans un avion de la MEA qui ne contient que 170 places, pour laisser éclater leur émotion. Des silhouettes en larmes descendent précipitamment, des gosses accrochés à leurs flancs, éclairées par la lumière blafarde des projecteurs.
Les centaines de personnes venues les accueillir ne retiennent plus leurs sanglots. C’est à qui essayera de reconnaître dans ces passagers hagards, le proche qu’on n’espérait plus voir, ou la famille pour laquelle on s’est tant inquiété. Tout le monde veut se précipiter sur le tarmac et M. Jomaa, aidé de trois attachés à l’émigration, Ghassan Abdelkhalek, Charbel Maacaron et Milad Raad, tente de juguler la foule.
Jamil Saïd est immédiatement transporté à l’hôpital alors que la dépouille de son fils, le jeune Hassan, est emmenée au domicile de la famille à Bir Hassan. A peine descendu de la passerelle, le second corps, celui de Walid Roumié, est aussitôt entouré des membres de la famille du jeune homme et les femmes brandissant des photos de la victime, se mettent à danser autour de la dépouille enveloppée d’un linceul. Viennent ensuite les deux blessés, Joseph Harb et Karim Saïd, le second fils de Jamil. Ils ont l’air si fatigués qu’en les voyant, toutes les personnes présentes ont les larmes aux yeux. Chacun revit son propre calvaire et les mots se pressent sur les lèvres... Mirvat Sleimane (originaire de Hanaway) se met à raconter à sa sœur le calvaire de Freetown: «C’était horrible. Ils ont tout pillé. Nous étions 400 personnes cachées à l’ambassade du Liban. Les premiers jours, nous manquions de tout, mais au cours des dernières 48h, les hommes commençaient à sortir dans la matinée pour acheter des denrées alimentaires...»
Mme Fakih (originaire de Hariss) est encore sous le choc de l’épreuve. «Ce sont des sauvages, dit-elle en parlant des insurgés. Ils ont pillé, incendié, violé les femmes en leur plaçant le revolver sur la tempe. Ils s’en prenaient surtout aux jeunes libanaises et aux Belges...»
Petit à petit, et au fil des confidences glanées parmi les rescapés, on parvient à reconstituer la tragédie, la troisième du genre vécue par les émigrés libanais en Afrique depuis un an. En même temps qu’ils prenaient le pouvoir, les militaires s’étaient aussitôt déployés sur l’ensemble du territoire, imposant leur loi aux citoyens. Ils étaient surtout agressifs avec les Hindous, les Belges et les Libanais. Tous les biens de ces derniers ont été pillés et leurs avoirs réquisitionnés alors que leurs femmes ont été menacées et leurs enfants parfois pris en otages. Mme Safieddine raconte ainsi que les insurgés sont entrés chez elle et ont placé un revolver sur la tempe de son bébé de deux mois. «Ils ont menacé de le tuer si je ne leur remettais pas mes bijoux. je me suis empressée de m’exécuter, voulant avant tout sauver mon fils. Ensuite, je n’avais plus qu’une hâte, quitter la maison. Avec l’aide des voisins, j’ai réussi à m’enfuir pour me réfugier à l’ambassade du Liban. Nous y sommes restés plusieurs jours et lorsqu’on nous a annoncés l’arrivée de l’avion de la MEA, nous nous sommes empressés de trouver des places à bord des hélicoptères pour pouvoir atteindre l’aéroport de Freetown, inaccessible par voie terrestre. Ceux qui n’ont pas eu la chance d’avoir une place à bord des hélicoptères des forces de paix nigérianes, ont dû se rabattre sur ceux des compagnies privées qui assuraient le transport à un prix variant entre 30 et 70 dollars la place...»
La plupart des rescapés précisent qu’ils sont venus sans rien emporter, uniquement soucieux de sauver leur vie. «Je suis sans argent et sans papiers. J’avais tellement peur que je n’ai pas eu le temps de prendre mes économies ou mon passeport», confie Rana qui espère aujourd’hui être aidée par sa famille, en attendant que son mari puisse régler les problèmes en suspens...
Les 240 personnes arrivées à l’aube d’hier sont essentiellement des femmes et des enfants, les hommes ayant préféré rester sur place pour sauver ce qui peut encore l’être. C’est que la communauté libanaise en Sierra Leone est l’une des plus riches du pays, spécialisée dans le commerce et le travail du diamant. Il n’est donc pas si facile de tout quitter du jour au lendemain, d’autant que bon nombre de ces Libanais sont nés en Afrique et ils connaissent mieux la Sierra Leone que leur propre pays... Mais hier, en arrivant sur le sol libanais, ils ne veulent plus entendre parler d’un éventuel retour en Afrique et le Sud, dont ils sont pour la plupart originaires (notamment des villages de Haris, Hanaway, Tyr, Cana et Rmadiyé) leur apparaissait comme le paradis, en dépit des menaces israéliennes... Des adolescentes au regard perdu n’arrivent même pas à croire que le cauchemar est terminé. «Il ne viendront pas ici, c’est sûr?» demande d’une voix tremblante la jeune Fawzié, alors que sa mère se lamente, se demandant ce qu’elle va devenir.
Le ministère des Emigrés a beau avoir bien organisé l’accueil, pour ces rescapés, l’avenir n’est pas encore clair. Si les femmes sont encore terrorisées et au bord de la crise de nerfs, les hommes — qui se veulent plus raisonnables — ne cachent pas leur inquiétude pour le futur. Beaucoup pensent que les malheurs de la Sierra Leone viennent de commencer et craignent des affrontements entre les forces nigérianes et l’armée régulière.
Les rescapés racontent d’ailleurs qu’ils viennent pour la plupart de Freetown mais qu’ils ne savent rien des quelque 3000 Libanais installés à Safadou (la seconde grande ville du pays), en raison de la rupture de tous les moyens de communication entre les différentes régions du pays. Seule l’épouse du président de la colonie libanaise dans cette ville, Mme Ayoub — qui s’était d’ailleurs réfugiée dans la capitale — résidait à Safadou, mais elle affirme ne rien savoir au sujet des Libanais là-bas... Il faudra sans doute attendre l’arrivée du second avion affrété par la MEA pour en savoir plus sur le sort de nos compatriotes, poursuivis par une sorte de malédiction sur le continent africain. Ajoutons encore le fait que l’Algérie n’a pas laissé l’avion de la MEA survoler son espace aérien... C’est dire que le voyage du retour a été particulièrement mouvementé. Mais aujourd’hui, 240 personnes sont arrivées à bon port, même si pour les familles de deux autres le véritable deuil commence... Tous les rescapés de la Sierra Leone se sont d’ailleurs immédiatement rendus dans leurs villages au Sud dont deux étaient décorés de rubans blancs: Haris et Rmadiyé ont voulu accueillir dignement leurs fils, Hassan Saïd et Walid Roumié, venus y reposer pour l’éternité...

S.H.
Un homme s’effondre aux pieds de la passerelle de l’avion qui l’a ramené vers son pays natal. Il est 3h30 du matin à l’AIB. Jamil Saïd a tenu bon pendant cette longue semaine d’horreur à Freetown, mais brusquement, dès que ses pieds touchent le sol libanais, il s’évanouit presque dans les bras de M. Haytham Jomaa, directeur général du ministère des Emigrés venu...