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Actualités - ANALYSE

Protéger l'exhortation apostolique

Il y a un danger que l’Exhortation apostolique soit réduite à néant. Fruit de sept ans de réflexion collective, d’une profonde recherche historique, d’une lecture précise des changements sociaux survenus ces deux dernières décennies et surtout de la foi dévorante d’un homme, le texte que Jean-Paul II a légué aux jeunes générations risque d’être défiguré.
Les machines de la propagande douce entament déjà leur travail de désinformation. Les chantres de la stérilité intellectuelle commencent aussi à placer le débat à un niveau indigne du message pontifical. Un moment désarçonnés par son contenu, ils se sont rapidement ressaisis. Rompus aux techniques de la manipulation de l’opinion et du viol des foules, et habitués à la déformation des vérités, ils s’emploient à étouffer l’appel au renouveau et à la renaissance que le pape a lancé lors de son voyage. Ils veulent réagir vite, très vite, avant que tout le monde ait pu lire attentivement les six chapitres de l’Exhortation apostolique.
Ces «agents provocateurs» comme les appelle Charles Rizk (voir «L’ORIENT-LE JOUR» du 14 mai 1997) ne désarmeront donc jamais. Ils existent aussi bien chez les musulmans que chez les chrétiens. Ce sont eux qui ont attisé pendant des années l’incendie qui a ravagé le Liban, en jetant du bois dans le brasier à chaque fois qu’il était sur le point de mourir. Ce sont eux qui ont pris en otage les populations, leur imposant une pensée unique, un discours monotone et uniforme et pratiquant un terrorisme contre la majorité silencieuse, en usurpant le titre de porte-parole unique et de représentant non élu. Ils ont cultivé le complexe du ghetto et ont appris aux gens à réagir non plus par la raison ou par le cœur, mais par l’instinct.
Maintenant, ils s’efforcent de reconstruire les barrages que le pape, pour leur grand malheur, a fortement ébranlés en demandant aux jeunes de «faire tomber les murs entre les communautés». Que craignent-ils? Que la démolition de ces murs ne dissolve l’identité communautaire dans un vaste ensemble? Ont-ils la prétention d’avoir à cœur les intérêts des chrétiens plus que Jean-Paul II? Ils existent parce que ces murs existent, et la destruction de ces barrages provoquerait inéluctablement leur disparition. C’est donc à l’instinct de conservation qu’il faut attribuer leur réaction et leur seul remède est de subir une psychothérapie.
Des voix s’élèvent pour critiquer le fait que le pape ait fait allusion à la présence de l’armée syrienne au Liban. Quel crime de lèse-majesté! Plus royalistes que le roi, les protestataires se croient obligés de réaffirmer à n’importe quelle occasion la solidité de leur alliance (ou allégeance?) avec Damas. D’autres encore déplorent le fait que Jean-Paul II n’ait pas présenté ses excuses pour les croisades lancées par son prédécesseur Urbain II le 27 novembre 1095 à Clermont-Ferrand. Personne ne doute plus aujourd’hui que cette tragique aventure menée au nom de la religion n’a causé que des malheurs aux chrétiens d’Orient. Mais pourquoi rester prisonnier du passé, alors que nous avons tout l’avenir devant nous?
Fallait-il ramener la discussion à un niveau aussi bas, à un moment où nous avons entre nos mains un document censé instaurer les fondements du Liban de demain. Un texte appelant à l’unité du peuple libanais, au dialogue intercommunautaire, à la solidarité des chrétiens et des musulmans, ainsi qu’à l’insertion des premiers dans cette culture arabe dont ils sont un des piliers. Et voilà que des trublions veulent absolument appliquer l’Exhortation apostolique à une situation spatio-temporelle bien déterminée. Ceux qui, d’un autre côté, lisent et relisent inlassablement le texte pontifical à la recherche de bribes de phrases pouvant justifier leurs convictions sectaires ne sont pas plus pardonnables. Toutefois, ils ne trouveront rien. L’Exhortation est d’une clarté telle qu’ils ne pourront pas l’interpréter d’une manière erronée, sans risquer d’être désavoués ou montrés du doigt. Le texte rejette sans détour l’isolement des chrétiens, leur repli sur soi, leurs éventuelles tentations sectaires. Traduit en langage politique, cela veut dire que le Vatican ne croit pas à la partition du Liban que certains continuent de prôner en parlant de fédération et en essayant de nous convaincre que le système fédératif est différent du partage. Et quand le pape souligne dans l’Exhortation que «c’est un même destin qui lie les chrétiens et les musulmans du Liban et du monde arabe» et «insiste» sur la nécessité pour les chrétiens du Liban «de maintenir et de resserrer leurs liens de solidarité avec le monde arabe», cela constitue un désaveu clair et net à tous ceux qui pensent que les chrétiens peuvent trouver un allié en Israël.
Découragés par cette recherche infructueuse, ceux-ci, pris d’un soudain amour pour Jean-Paul II, se mettront à l’écoute du pape et de ses discours post-Exhortation pour tenter d’assouvir leurs instincts. Ils risquent d’attendre une éternité, car tout est dit dans l’Exhortation. Mais il n’y a pire sourd que celui que ne veut pas entendre.

Paul KHALIFEH
Il y a un danger que l’Exhortation apostolique soit réduite à néant. Fruit de sept ans de réflexion collective, d’une profonde recherche historique, d’une lecture précise des changements sociaux survenus ces deux dernières décennies et surtout de la foi dévorante d’un homme, le texte que Jean-Paul II a légué aux jeunes générations risque d’être défiguré.Les...