Grâce au film "Le destin" de Youssef Chahine Averroes contre l'intégrisme au Festival de Cannes (photo)

CANNES, 15 Mai (Reuter). — Un film dédié à la raison et à l’intelligence opposées à l’intégrisme et à l’obscurantisme; tel est «Le Destin», un film du cinéaste égyptien Youssef Chahine, présenté à Cannes jeudi.
A l’origine, ce long métrage devait être présenté hors compétition mais l’absence de «Keep Cool», du cinéaste chinois Zhang Yimou, a permis son entrée dans la compétition, de même que celle du film du cinéaste iranien Abbas Kiarostami («Le goût de la cerise»).
Le personnage central du film est le philosophe Averroès, conseiller du calife de Cordoue el-Mansour, au XIIe siècle. La toile de fond, la montée de l’intégrisme au sein du califat et, à l’extérieur, la pression chrétienne qui, pour l’occasion, ne dédaigne pas de s’allier à ce dernier.
Pour les intégristes, le philosophe, auteur notamment d’un commentaire sur Frisotte, est l’homme à abattre. A défaut, ils obtiendront son exil et l’autodafé de ses livres. Mais les amis et disciples zélés d’Averroès en auront fait des copies qui atteindront l’Occident et l’Egypte.
Chahine renvoie les intégristes dos à dos puisque le film s’ouvre sur la crémation d’un hérétique dans le Languedoc pour montrer ensuite les méthodes d’endoctrinement des fondamentalistes cordouans à la tunique verte.

Message d’amour

«L’Occident et l’Orient doivent se rappeler de la période dorée de l’islam et qui a existé de la façon la plus épanouie en Andalousie», a déclaré Chahine, lors d’une conférence de presse tenue dans une salle pratiquement tout entière acquise à sa cause, qu’elle soit politique ou cinématographique.
«Ce film est excessivement contemporain», a-t-il ajouté, allusion aux difficultés rencontrées notamment sur son avant-dernier film «L’émigré». «J’ai voulu aussi savoir comment on procède à un lavage de cerveau», a-t-il affirmé.
Quelle importance aurait un prix à Cannes pour un tel film? a-t-il été demandé au vétéran égyptien. «Disons que l’ouverture permise par Cannes est déjà quelque chose d’important; bien sûr, s’il y avait un petit cadeau en plus, ça ferait plaisir à tout le monde», a poursuivi Chahine.
Quoi qu’il en soit, «nous sommes très heureux de vous délivrer un message d’amour qui est très égyptien, très arabe et très islamique».
L’intégrisme est partout, a observé le réalisateur, y assimilant aussi ceux qui «veulent récupérer Jeanne d’Arc». «c’est une secte et leur chef est un gourou», a-t-il lancé, en une référence implicite au Front national.
Chahine insiste beaucoup sur la musique dans son film. Ainsi, les proches d’Averroès dansent et chantent, ce qui représente un défi ouvert aux intégristes, tout comme peut l’être le raï à notre époque.
Chahine est né à Alexandrie en 1926, la même année que le cinéaste japonais Shihei Imamura, lui aussi en lice pour la Palme d’or de ce 50e festival de Cannes.
On lui doit des classiques tels que «La terre» (1969) ou «Le moineau» (1973). Son premier film («Papa Amine») date de 1950. Plus récemment, «L’émigré» (1994) valut à son auteur des démêlés avec la censure et les musulmans radicaux d’Egypte. D’abord autorisé et fort bien accueilli dans les salles, le long métrage fut ensuite interdit.
«Je n’ai pas peur des terroristes», a déclaré Chahine, en réponse à une question sur les risques encourus dans la réalisation d’une telle œuvre. Il a par ailleurs refusé le rapprochement entre les mots «terrorisme» et «islamique», préférant que l’on parle de «terrorisme» tout court.
«Le Destin» («al-Massir») a été tourné au Liban et en Syrie et le film s’ouvre sur une série de remerciements à divers ministères et organismes publics syriens, libanais, égyptiens et français.