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Actualités - REPORTAGE

Pour la première fois depuis longtemps Baabda et la population ont vibré d'un même enthousiasme (photos)

Depuis cet instant magique où un bout de soutane blanche surgi de la porte de l’avion d’Alitalia a commencé à voleter au vent de Beyrouth, l’émotion n’a cessé d’étreindre les cœurs des Libanais. Officiels guindés, militaires endurcis, journalistes blasés et simples anonymes désenchantés, tout le monde semblait atteint d’un souffle divin. Pour la première fois depuis longtemps, l’ambiance au palais de Baabda était en harmonie avec celle de la rue, toutes deux animées d’un même enthousiasme et d’une même volonté d’apercevoir «l’homme en blanc»... Etrange pouvoir du Saint-Père. On pourrait se demander comment un si vieil homme, soutenu d’un côté par le patriarche Sfeir et de l’autre par le président Hraoui, peut provoquer de tels sentiments chez tant de personnes différentes, mais dès qu’on croise son regard, le miracle se produit. «On se sent touché par la grâce divine», s’écrie toute émue Martha Hraoui arrivée la veille de Paris, spécialement pour obtenir la bénédiction du Saint-Père. Martha Hraoui n’est que l’une des nombreuses dames en mantille noire conviées à voir le pape à Baabda. Mais ce jour-là, les élégantes de Baabda et d’ailleurs avaient laissé en chemin leur masque habituel. Oubliant toute sophistication, elles ressemblaient soudain à des «groupies», bondissant entre les sabres de la garde présidentielle postée des deux côtés du tapis rouge, bousculant président et patriarche, ignorant superbement les ordres des responsables de la sécurité, pour pouvoir toucher le Saint-Père. Et, leur but atteint, elles se laissaient enfin aller, pleurant d’émotion...
Hier, au palais de Baabda, on a pu ainsi voir des images inoubliables, comme d’ailleurs toutes celles qui ont marqué cette visite historique: la présidente et May Kahalé, ainsi que de nombreuses autres dames, essuyant furtivement leurs larmes, sans penser au maquillage qui coule, creusant des sillons attendrissants sur des visages habituellement impassibles, le patriarche maronite transformé en garde du corps du pape, repoussant violemment du coude ceux qui tentaient d’approcher le Saint-Père, le chef de l’Etat oubliant ses plaisanteries habituelles et subissant stoïquement les assauts des fidèles soucieux d’obtenir la bénédiction papale, des agents de la sécurité soudain conciliants et compréhensifs, tirant par la manche leur petit rejeton qu’ils souhaitent présenter au saint homme, la cuisinière du palais s’essuyant timidement les mains avec son tablier immaculé en attendant de toucher le Vicaire du Christ... Brusquement, toutes les barrières semblaient avoir disparu... mais non tous les problèmes habituels.
Ainsi, en dépit de l’ambiance fraternelle provoquée par la présence du Saint-Père, le président de la Chambre, M. Nabih Berry a continué à vouloir faire «chambre à part» avec le chef de l’Etat. Il a fallu ainsi déployer des trésors de diplomatie pour que les deux responsables ne se croisent pas et s’installent dans des salons différents. D’ailleurs, le président de la Chambre a été la seule note discordante de cette journée, estimant que la visite du pape au Liban demeure incomplète tant qu’il ne s’est pas rendu au Sud. M. Berry qui s’est entretenu une vingtaine de minutes avec le Saint-Père, précisant qu’il a surtout parlé de l’occupation israélienne, ne lui a présenté que son épouse, Randa, alors que le chef de l’Etat et le président du Conseil ont emmené avec eux tous leurs proches enfants, petits-enfants, oncles, tantes, neveux et autres lointains cousins (certains venus spécialement au Liban pour la circonstance), afin que le pape puisse les bénir.
Et Jean-Paul II, avec une patience infinie, a eu une attention particulière pour chacun, saluant avec chaleur la mère de la présidente et les bébés qui lui étaient présentés. A chacun des trois responsables, le Saint-Père a offert des toiles représentant des lieux célèbres du Vatican, la place Saint-Pierre pour M. Hraoui, la chapelle Sixtine pour M. Berry, «peintes dans un style figuratif», précise en connaisseuse Martha Hraoui et un petit présent pour Mme Hariri. Ensuite, tout le monde s’est prêté au rituel de la photo-souvenir dans laquelle chacun cherchait à se rapprocher du Saint-Père, oubliant le protocole et les autres contraintes.

Le mémorandum
musulman

Malgré toute cette liesse, les considérations politiques n’ont pas été totalement absentes de l’escale de Baabda. Il y a eu d’abord un long entretien entre le chef de l’Etat et Mgr Sodano, secrétaire d’Etat du Vatican, ainsi qu’un entretien entre le pape et les trois représentants des communautés musulmanes, l’imam Mohamed Mehdi Chamseddine, le mufti Kabbani et cheikh Morsel Nasr pour la communauté druze, à la place de cheikh Bahjat Ghaith, victime du véto hariro-joumblattiste. Les trois hommes de religion ont sciemment voulu rencontrer le Saint-Père ensemble, à l’initiative de cheikh Chamseddine, non pas — comme l’explique un membre de la délégation — pour former «un bloc musulman face au bloc chrétien, mais plutôt pour montrer au pape qu’il ne faut pas traiter avec le Liban à travers ses communautés». Selon cette personnalité, les chefs religieux musulmans auraient même souhaité rencontrer le pape en même temps que les chefs religieux chrétiens, mais l’idée n’a pas été retenue. Et comme aucun de ces trois responsables n’a de problèmes propres à sa communauté à aborder avec le Saint-Père, ils ont décidé de le voir ensemble.
L’entrevue — qui s’est déroulée en présence de Mgr Emile Eid, juge à la Cour de cassation du Vatican — a commencé par les amabilités d’usage et c’est cheikh Chamseddine qui a pris la parole au nom de tous les musulmans du Liban pour affirmer au Saint-Père leur foi dans l’entente et l’unité des Libanais, suivant les principes adoptés à Taëf. Les trois dignitaires religieux ont remis au pape une note écrite dans laquelle ils exposent leur point de vue et leur vision du Liban. Ils y demandent notamment l’aide du Vatican pour obtenir l’application de la résolution 425. Ils soulèvent aussi le problème de la judaïsation de Jérusalem et rappellent au pape les résolutions de la rencontre islamo-chrétienne qui s’est tenue au Liban l’an dernier et qui avait consacré le caractère arabe de la Ville sainte. Enfin, dans leur note écrite, les chefs religieux musulmans réclament l’aide du Vatican pour essayer de dégager une formule de coexistence viable entre l’islam et la chrétienté, maintenant que les valeurs idéologiques et laïques ont échoué. Si le dialogue islamo-chrétien piétine au Liban pour des raisons politiques, cela ne devrait pas empêcher, selon les dignitaires musulmans, les hommes de bonne volonté de le poursuivre sur une échelle internationale.
Des problèmes de fond, touchant au cœur-même de la religion, c’est ce que les trois chefs islamiques ont voulu évoquer hier avec le Saint-Père. Même si l’atmosphère au palais de Baabda semblait ce jour-là peu propice à la réflexion, tout le monde étant pris d’une même frénésie. D’ailleurs, un incident protocolaire a failli troubler cette atmosphère de fête. Alors que cheikh Chamseddine avait commencé à s’adresser au pape, un des membres de la délégation vaticane, estimant qu’il a trop parlé, s’est écrié: «l’entrevue est terminée». Cheikh Chamseddine a aussitôt protesté, affirmant qu’il a encore beaucoup de choses à dire et l’entretien s’est poursuivi...
De son côté, le président du Conseil, à l’issue de son entretien avec le Saint-Père, a déclaré avoir parlé de la résolution 425, ajoutant que le pape lui a demandé des précisions sur la situation au Sud.
Mais au fond, nul n’était vraiment convaincu du caractère politique des entretiens des responsables avec le pape. Et, selon certains journalistes, s’ils ont insisté pour présenter ainsi leurs entrevues avec le Saint-Père, c’est sans doute parce qu’ils se retrouvent en terrain connu, alors qu’ils sont complètement dépassés lorsqu’éclatent l’effervescence et l’émotion...

La surprise-anniversaire

A tour de rôle, les responsables officiels quittent le palais, à mesure que s’achève leur entretien avec le pape. Ne restent sur place que les proches du couple présidentiel et les journalistes qui attendent encore on ne sait trop quoi. Et soudain, un remou se produit du côté du salon officiel. Les journalistes se précipitent et c’est un immense gâteau — commandé chez Canelle — recouvert de sucre glace blanc et jaune et portant l’inscription en italien «Saint-Père 77 ans» qu’ils voient arriver, traîné sur un chariot. Le chef de l’Etat a voulu souhaiter un bon anniversaire à Jean-Paul II avec toutefois 8 jours d’avance, ce dernier étant né le 18 mai. S’il est ému par cette initiative, le Saint-Père ne le montre pas, il a l’air un peu perdu et s’appuie souvent sur le patriarche Sfeir. D’ailleurs, il ne souffle pas les 8 bougies du gâteau, se contentant d’en couper un petit morceau alors que la chorale de Kaslik lui chante «Happy Birthday».
L’étape Baabda est sur le point de s’achever. Le pape, soutenu par M. Hraoui et le cardinal Sfeir, progresse lentement sur le tapis rouge du hall, entouré par les éléments de la garde présidentielle munis de sabres acérés. Il est sans cesse arrêté par la foule qui veut constamment le toucher, lui parler ou simplement l’apercevoir.
Si, pendant ce temps, les membres de la délégation qui l’accompagnent répondent volontiers aux questions des journalistes, notamment Mgr Navarro, le porte-parole du Vatican, qui insiste devant notre consœur de Télé-Liban sur la nécessité de rester sur place, ajoutant que le Saint-Père ne peut être aux côtés de ceux qui quittent leur terre, l’étape de Baabda reste placée sous le signe de l’émotion. Hier, pour la première fois depuis longtemps, le peuple et les responsables ont vibré du même enthousiasme. Et si, en définitive, il serait possible de se retrouver et de combler cet énorme fossé entre les dirigeants et ce peuple. Encore faudrait-il que les premiers sachent tirer les leçons de cette visite historique...

Scarlett HADDAD
Depuis cet instant magique où un bout de soutane blanche surgi de la porte de l’avion d’Alitalia a commencé à voleter au vent de Beyrouth, l’émotion n’a cessé d’étreindre les cœurs des Libanais. Officiels guindés, militaires endurcis, journalistes blasés et simples anonymes désenchantés, tout le monde semblait atteint d’un souffle divin. Pour la première fois...