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Actualités - OPINION

A la rencontre de demain

Que de monde dehors, dans un aussi minuscule pays: qui de nous n’a vibré d’émotion, hier, au spectacle des foules massées au bord des routes et réservant un accueil aussi chaleureux, aussi enthousiaste au pape Jean-Paul II? Qui n’a eu le cœur gonflé de fierté et d’espoir devant la promesse de lendemains meilleurs, devant cette splendide jeunesse libanaise à laquelle le Saint-Père a consacré beaucoup de son temps, de sa bienveillante attention: davantage en tout cas qu’aux contraintes officielles, lesquelles n’auront pas manqué — soit dit en passant — d’incongruités protocolaires hors-programme.
C’est face aux jeunes en tout cas que le pape globe-trotter a paru instantanément oublier les fatigues du voyage et même le poids des ans, pour s’écarter à son tour du programme . C’est pour les jeunes, pour «cette richesse du Liban» comme il s’est adressé à eux lors de l’i-noubliable crépuscule de fête à Harissa, que le souverain pontife a convoqué en 1995 un synode pour notre pays, le seul au monde à avoir fait l’objet d’une telle préoccupation, habituellement réservée à des continents tout entiers. C’est les jeunes que le chef de l’Eglise catholique a expressément choisis pour être «les témoins privilégiés» de la signature qu’il a apposée en soirée au bas de son Exhortation post-synodale. Et juste retour des choses, c’est bien parmi les jeunes et à travers eux — les jeunes appelés à refaire ce qu’ont défait ou laissé défaire leurs aînés — que l’on a senti passer hier ce premier frémissement de vie: cet élan nouveau que Jean-Paul II entend donner à une chrétienté libanaise livrée à l’incertitude, au doute, face aux bouleversements légués par la guerre comme aux lacunes d’une paix imparfaite. Et à travers elle bien sûr, à toutes les Eglises d’Orient effrayées, comme jamais auparavant, par la montée des intégrismes.
A nos fils et filles, le pape propose une démarche alliant courage, persévérance et sagesse. Il les invite en effet à s’enraciner dans leur foi tout en s’ouvrant, avec confiance et amour, sur leurs concitoyens mahométans, à abattre les murs et à construire des ponts: le changement tant attendu ne pouvant, avertit-il, que s’opérer d’abord dans les cœurs. «Qu’Allah vous bénisse»: en choisissant de prononcer en arabe cette incantation au Très-Haut alors qu’il venait à peine de fouler notre sol, Jean-Paul II a d’ailleurs voulu souligner, d’entrée de jeu, le cadre unique que doit continuer d’offrir au monde ce petit pays où l’on adore invariablement le même Créateur; où il n’y a littéralement d’autre Allah que le Dieu de tous; où il est courant de vénérer les mêmes saints et prophètes, tout cela dans une luxuriante variété de religions, rites et croyances. Dans la foulée, et répondant aux attentes des Libanais, le souverain pontife a appelé au respect d’un juste équilibre entre les forces vives de la nation, demandant «une place pour chaque citoyen» dans l’action politique ou la vie économique, au sein d’une société de justice et de fraternité, et sur un territoire souverain reconnu de tous.
Sans nul doute, chacun des mots que prononcera le pape durant son bref séjour sera scruté à la loupe, analysé sous l’angle spécifiquement politique, soupesé dans ses moindres nuances. Il en sera de même de l’Exhortation apostolique, long document livrant à l’Eglise locale et aux fidèles l’interprétation papale des résolutions du synode pour le Liban. Particulièrement attendues sont les conclusions relatives au respect de l’équilibre communautaire, à l’instauration d’une démocratie réelle garantissant les libertés publiques et l’égalité de tous devant la loi, ainsi qu’au rétablissement de la souveraineté et de l’indépendance nationales: objectif présupposant lui-même la fin de l’occupation israélienne du Liban-Sud et — question délicate entre toutes — le départ des troupes syriennes (ou non libanaises, selon la terminologie retenue) stationnées dans le pays.
Quelle qu’en soit la forme cependant, le message de l’homme en blanc est on ne peut plus clair. Reste à espérer qu’il ne sera pas entendu des seuls prêtres et fidèles. Que les hommes qui nous gouvernent ne se contenteront pas de chercher à tirer de mesquins dividendes de cette visite historique. Qu’ils ouvriront leur cœur au changement souhaité par l’ensemble de leurs administrés. Qu’ils prêteront l’oreille aux protestations opiniâtres du patriarche Sfeir, dont la voix a encore retenti hier, lors de la rencontre de Harissa. Qu’ils s’interrogeront, en conscience, sur la valeur réelle de ce pitoyable «pouvoir» dont ils sont investis: sur la vanité de ce désert politique qu’on leur a donné à gérer et où seuls des hommes de religion peuvent encore répercuter les doléances de nombreux citoyens, dont les chefs gisent à six pieds sous terre, croupissent dans des sixièmes sous-sols ou sont exilés à des milliers de kilomètres de là. Des citoyens à qui on ne laisse même pas la latitude de se doter de la relève de leur choix.
Les murs les plus infranchissables peuvent très bien tomber, l’Histoire récente nous l’a appris en plus d’une occasion. Aucune cloison psychologique ne peut tenir, d’un côté ou de l’autre, face à l’évolution des esprits. Mais jusqu’à nouvel ordre, il faut être deux pour jeter des ponts.
Issa GORAIEB
Que de monde dehors, dans un aussi minuscule pays: qui de nous n’a vibré d’émotion, hier, au spectacle des foules massées au bord des routes et réservant un accueil aussi chaleureux, aussi enthousiaste au pape Jean-Paul II? Qui n’a eu le cœur gonflé de fierté et d’espoir devant la promesse de lendemains meilleurs, devant cette splendide jeunesse libanaise à laquelle le...