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Actualités - INTERVIEWS

Hussein Husseini : le synode a repris les principes du document de Taëf "Aucune communauté au Liban ne peut prétendre former un peuple" soutient l'ancien président de la chambre (photos)

Q: Vous avez été le premier chef du Législatif à se rendre au Vatican. Cela se passait en pleine guerre, en 1985. Pouvez-vous nous parler de cette visite et de la politique du Saint-Siège au Liban?
R: La visite que vous évoquez était sans aucun doute très importante car elle constituait le début de la conception d’un règlement local et international de la crise libanaise avec l’aide du Vatican. Nous avions alors remis au Saint-père un mémorandum. Et à la suite d’entretiens très fructueux, nous avions réussi à définir une formule de vie en commun entre les différentes communautés. Cette formule a constitué la base du Document d’entente nationale adopté à Taëf. Le pape a été très intéressé par le mémorandum que nous lui avions présenté d’autant qu’il accorde lui-même une grande importance au rôle du Liban et au message de civilisation qu’il dégage. Preuve en est la visite du cardinal Cook (chef des évêques catholiques des Etats-Unis, décédé aujourd’hui) au Liban en 1982, à la suite de l’invasion israélienne. Nous l’avions rencontré à l’époque et il nous avait clairement exprimé l’opposition du Vatican à toute forme d’effritement, de partition ou de modification fondamentale de la formule de coexistence. Car, pour le Vatican, cette formule n’appartient pas aux seuls Libanais.
Q: En 1985, la guerre et les dissensions confessionnelles étaient à leur paroxysme. Comment avez-vous pu former une délégation parlementaire mixte et vous rendre au Vatican?
R: Nous pensions justement qu’à cause de l’ampleur de la guerre, il était absolument nécessaire de trouver un appui important au projet de règlement de la crise que préparait le Parlement.

Le modèle
cypriote

Q: A l’époque, le Parlement était pourtant totalement marginalisé...
R: Mais il restait l’autorité légale. Car, depuis le début des événements, il y avait eu un dédoublement entre la légalité, représentée par le Parlement, et le pouvoir tombé aux mains des forces de facto. Le début du sauvetage devait commencer par le rétablissement de la concordance entre légalité et pouvoir. La réunification du Liban et la mise en échec des projets de partition commençaient aussi par là. D’autant que l’on parlait beaucoup à l’époque du modèle crypriote pour créer au Liban des entités indépendantes sur base confessionnelle. Mais on oubliait le fait, qu’à Chypre, il y avait bel et bien de grandes différences ethniques entre les deux grands groupes, alors qu’au Liban, il y a un seul peuple, partagé entre plusieurs religions et confessions. Il y a aussi un passé commun et une même vision de l’avenir, alors qu’à Chypre, cela n’existe pas. Aucune communauté, au Liban, ne peut prétendre former un peuple.
Q: Pourquoi aviez-vous choisi le Vatican pour appuyer votre projet?
R: Parce que nous avions senti que le Vatican se tenait aux côtés de l’unité du Liban. Il l’avait exprimé à travers les visites répétées des évêques catholiques au Liban. De plus, nous sentions qu’il était indispensable de ressusciter le rôle de Bkerké et des autorités religieuses légales en général, alors que les milices et autres forces de facto occupaient toute la scène. Comme un dialogue entre les modérés et les extrémistes était impossible, il était impératif de permettre à Bkerké et aux autres instances religieuses de remplir leur rôle national pour rétablir le dialogue entre les forces modérées.
Q: Selon vous, le Vatican fait donc partie des modérés?
R: Certainement. La foi et les religions en général mettent toujours l’accent sur la modération.

Le Vatican souhaite
protéger la formule
libanaise

Q: Quelle a été la réaction du Saint-père en vous écoutant?
R: Il était d’accord avec nous. Et c’est après cet entretien qu’il a lancé sa fameuse phrase: Le Liban est plus qu’une nation, un message. Pour lui, la formule libanaise est idéale puisqu’elle assure le dialogue islamo-chrétien au sein d’un même peuple. C’est pourquoi le Vatican souhaite protéger cette formule et la renforcer.
Q: Certains milieux musulmans ont considéré l’appel final du synode comme un pas en arrière par rapport à l’entente et l’unité...
R: Je ne crois pas que la politique du Vatican se soit modifiée. Le contenu de l’appel final confirme les principes évoqués dans le document d’entente nationale, dont la préparation avait commencé en 1985, avec la visite au Vatican. D’ailleurs, depuis cette date, nous avons constamment coordonné notre action avec lui. A mon avis, la politique du Vatican est une stratégie qui tient compte de l’intérêt de tous les Libanais.
Q: Pourtant, certaines parties estiment que le Vatican a tardé à prendre clairement position en faveur de l’accord de Taëf...
R: C’est faux. Le Vatican a appuyé le processus depuis son commencement, à travers son appui à la position de Bkerké. Et il constitue l’un des principaux facteurs de sa réussite sur le plan international et arabe, notamment grâce aux relations entre le Vatican et les pays arabes, notamment la Syrie.
Q: Vous n’avez donc aucune réserve sur le rôle du Vatican et vous ne craignez pas qu’il renforce une partie des chrétiens?
R: Pas du tout. Ce genre de théorie fait partie des illusions. Taëf n’a rien pris à personne. Il a, au contraire, donné un Etat unique à tous les Libanais. Le sentiment de frustration chez certains est dû au fait que certains leaders ont perdu leurs positions ou l’espoir d’occuper certaines positions. Ils ont donc commencé à faire naître un sentiment de défaite chez certaines parties de la population. A mon avis, si l’accord est appliqué, il dissipera toutes ces illusions.
Pluralité culturelle mais
non ethnique

Q: Si l’accord de Taëf résolvait tous les problèmes, un synode n’aurait pas été nécessaire
R: Pour moi, le synode n’a rien apporté de nouveau à l’accord de Taëf. Au contraire, il a confirmé les principes adoptés dans le document d’entente nationale. Les quelques réserves émises étaient provoquées par l’utilisation de certains termes inappropriés qui n’ont aucune influence sur le fond. Nous avons certes une pluralité culturelle, au sein d’un même peuple. Elle est très différente de la pluralité ethnique qui favorise l’effritement ou les tentatives d’effritement du Liban. Quant à la diversité religieuse, elle n’est pas et ne sera pas un problème au Liban. Au contraire, elle est, pour lui, source de richesse. C’est même une bénédiction.
Q: Des voix chrétiennes se sont récemment élevées pour contester l’identité arabe du Liban, tout en donnant une définition plus large de la pluralité culturelle. Voyez-vous un lien entre ces propos et la prochaine visite du pape?
R: L’une des caractéristiques du Liban est justement de permettre un dialogue dans une atmosphère de liberté. Les personnes qui ont tenu ces propos et d’autres ont parfaitement le droit d’exprimer leurs opinions. Mais représentent-elles la réalité du peuple libanais? A mon avis, le fait que les Libanais aient traversé des circonstances difficiles et l’appel à certains sentiments ne peuvent influer sur la réalité du peuple, qui a montré son unité, ne serait-ce que lors de l’agression israélienne d’avril dernier. Quant au sexe des anges, j’aurais pu disserter sur la question si nous nous trouvions encore au point zéro. Or, nous ne le sommes plus, nous avons accompli un grand pas en avant.
Q: Peut-être, mais il y a toujours un problème fondamental au Liban: tous les citoyens ne sont pas d’accord sur une même identité. Preuve en est que l’on ne parvient pas à unifier le livre d’histoire.
R: On ne parvient pas parce qu’on n’a pas essayé. Citez-moi une seule tentative faite en ce sens. C’est d’ailleurs l’un de nos griefs contre le pouvoir actuel.
Q: Si le pouvoir n’a pas essayé, c’est peut-être parce qu’il sait qu’un tel projet ne peut aboutir...

L’appartenance au monde arabe du Liban

R: Il a pourtant ouvert des dossiers plus délicats, de la pire des façons, sans tenir compte des sensibilités des uns et des autres. De toute façon, l’un des points les plus importants de l’accord de Taëf est le fait qu’il a tranché une fois pour toutes la question de l’identité du Liban, son appartenance au monde arabe et son régime démocratique parlementaire à économie libre. L’autre point important est la consécration du principe de vie en commun des différentes communautés. Tout pouvoir qui ne respecte pas ces principes est illégal. Et la plus grande richesse du Liban est sa diversité religieuse. Mais pour en profiter, il fallait d’abord répondre aux question fondamentales: le Liban est-il une patrie définitive, pour tous les Libanais ou pour une partie d’entre eux. C’est ce qu’a fait l’accord de Taëf. Alors qu’auparavant, on s’était contenté de dire que le Liban avait un visage arabe, laissant en suspens la question en attendant de résoudre les autres problèmes vitaux. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas et les réponses du document d’entente sont devenues le préambule de la Constitution. Celui qui les renie viole donc la Constitution.
Q: La Constitution est violée tous les jours et aux plus hauts niveaux. N’est-ce pas parce qu’au fond personne ne croit aux principes qu’elle consacre?
R: C’est le problème de ceux qui violent la Constitution. Si, aujourd’hui, le climat protège ces violations, viendra un jour où nous pourrons avoir une autorité judiciaire indépendante globale, qui juge le gouvernant et le gouverné. A ce moment, il ne sera plus facile de violer la Constitution. Celle-ci est un contrat de participation entre les Libanais. Le fait de violer, de renier ou d’ignorer ses principes est une atteinte à ce contrat et cela peut être très grave.
Finalement, je voudrais dire que nous ne devons pas être négatifs et nous devons utiliser ce que nous avons entre les mains, au lieu de nous lancer dans l’inconnu ou de pousser les citoyens à le faire.
Q: Le fait que la visite du pape ait suscité tant de remarques chez les chrétiens et chez les musulmans montre bien que le problème existe encore et que rien n’a été résolu...
R: Le mauvais comportement du pouvoir ne signifie rien du tout. Il nous impose simplement d’œuvrer en vue de rectifier le tir. Nul ne peut déclarer que cette formule a échoué avant de l’avoir appliquée.
Q: Elle est peut-être inapplicable...
R: En politique, le terme «peut-être» n’existe pas. Ainsi que les procès d’intention. Seul Dieu a le pouvoir de juger les intentions.
Q: La visite du pape ne risque-t-elle pas de renforcer un pouvoir auquel vous êtes opposé?
R: Je suis opposé à la non application de l’accord et au mauvais comportement du pouvoir. Mais je ne suis pas opposé au régime, devant lequel je m’incline et que je respecte. Et si certains textes ne me plaisent pas, je n’ai qu’à essayer de gagner à mes idées une majorité parlementaire en mesure de les modifier.
Q: Ne craignez-vous pas que la visite du pape consacre le mauvais exercice du pouvoir?
R: Au contraire. Elle ne peut qu’être dans l’intérêt d’une rectification du tir.
Propos recueillis par
Scarlett HADDAD
Q: Vous avez été le premier chef du Législatif à se rendre au Vatican. Cela se passait en pleine guerre, en 1985. Pouvez-vous nous parler de cette visite et de la politique du Saint-Siège au Liban?R: La visite que vous évoquez était sans aucun doute très importante car elle constituait le début de la conception d’un règlement local et international de la crise libanaise...