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Actualités - INTERVIEWS

Joumblatt : sortir l'église maronite du Moyen-âge "J'ai très peur de l'avenir", ajoute le chef du PSP (photos)

Q. Pensez-vous que la visite du pape soit une bonne chose pour le Liban?
R: Si le pape parvient à convaincre l’Eglise maronite de sortir du Moyen-Age, ce sera une très bonne chose. S’il pouvait seulement lui donner un souffle progressiste arabe, surtout que nous sommes dans une phase critique, très critique. Quand on entend certains discours musulmans et chrétiens, on s’aperçoit que les fondements de l’unité nationale sont en danger.
Q: Est-ce là le seul objectif que vous fixez à la visite?
R: Ce n’est pas moi qui ai établi le programme du pape. C’est à lui de le faire. Quand j’ai rencontré le Saint-Père au Vatican, il avait envie de venir au Liban parce qu’il en a une vision biblique en pensant à ses Cèdres et au Mont-Hermon. Heureusement que nous avons pu préserver les cèdres du Chouf, que nous avons transformés en réserve naturelle. Reste, un de ces jours, à arrêter les carrières de Dahr el-Baidar...
Q: La visite du pape avait été reportée en 1994, à cause de réserves exprimées par certains chrétiens. Quelques – unes de ses réserves existent encore. Pensez-vous qu’elles soient justifiées?
R: Certains ont toujours les mêmes réserves. D’autres, comme le patriarche maronite – et il l’a déclaré au Brésil – pensent que cette visite ne va pas consacrer un fait accompli. Et je crois ici que le patriarche pense à la présence syrienne au Liban. Au contraire, il croit que cette visite aura, plus tard, le même effet que la visite du pape en Pologne dans les années 80, qui avait provoqué la chute du communisme. Si je comprends bien le patriarche, selon lui, «l’occupation syrienne» va s’en aller. C’est pour moi très clair et je ne porte pas de gants. Je sais très bien que (le général) Aoun, (le président) Gemayel, ainsi que certains chrétiens ici, sont opposés à la visite du pape. Mais le patriarche espère que cette visite va briser le statu quo actuel et en créer un autre à la place. Quel sera-t-il? Je l’ignore.
Q: Justement, certains milieux musulmans craignent que cette visite ne modifie l’équation actuelle?
R: Si on ne la modifie pas dans le sens de l’établissement d’un Liban anticonfessionnel et si on n’aboutit pas à un Liban laïc, je crains que l’équilibre actuel ne soit très précaire. J’ai peur, très peur de l’avenir. Que la visite du pape ait lieu on non, c’est un détail.

Consolider ce qui reste
de l’unité nationale

Q: La visite du pape aura été précédée d’une autre de Mgr Taurran (ministre des Affaires étrangères du Vatican) à Damas. Pensez-vous que l’exhortation apostolique aura le même ton que l’appel final du synode après les contacts de Mgr Taurran en Syrie?
R: Je n’en ai aucune idée. Je n’ai pas étudié en profondeur l’appel final du synode. J’ai d’autres soucis. Ma principale préoccupation est de savoir comment consolider ce qui reste de l’unité nationale, face à un discours clérical, aussi bien musulman que chrétien, virulent, dangereux. Je suis anticlérical mais je ne suis pas antireligieux.
Q: Vous parliez de la nécessité de sortir l’Eglise maronite du Moyen-Age. On dit justement que le nonce, Mgr Pablo Puente, a des problèmes avec cette Eglise. Dans certaines interviews, il a souhaité l’émergence de chrétiens en harmonie avec leur environnement arabe. Et aujourd’hui, certains chrétiens l’accusent d’avoir écarté l’Eglise locale des préparatifs de la visite du pape...
R: En ce qui concerne les préparatifs de la visite, je crois que celle-ci se fera à la manière libanaise, avec des bains de foule et le folklore officiel. Mais cela ne m’intéresse pas. Ce qui est intéressant, c’est le fond de l’affaire, pas les détails. Que la messe ait lieu à Bourj Hammoud ou à SOLIDERE, c’est un détail. Il y a un malaise dans le pays et que la messe ait lieu à Harissa ou à Beiteddine n’y changera rien.
Q: A vos yeux donc, cette visite n’a aucune importance?
R: Pour moi, non. Ce qui compte, à mes yeux, c’est comment sortir l’Eglise maronite, surtout elle, de l’impasse dans laquelle elle s’est enfermée. Que l’Eglise revoie un peu ce qu’ont dit les grands penseurs de la chrétienté comme Mgr Grégoire Haddad.
Q: Vous connaissez le pape...
R: Je l’ai vu une fois, pendant un quart d’heure seulement. Le protocole exige (un laps de temps aussi court).
Q: Pensez-vous que sa visite pourrait contribuer à améliorer les relations entre les chrétiens et les druzes et à réactiver le processus du retour des déplacés?
R: Les relations entre les chrétiens et les druzes sont bonnes, mais il faut que les relations interlibanaises le soient. Le Liban ne peut être conçu comme une identité druzo-chrétienne. Il l’a été dans le passé pour un court laps de temps et c’était très précaire. Preuve en est que cela a abouti au XIXe siècle à une guerre, à cause des interventions étrangères. Que l’on sorte de cette dualité stupide. Soyons Libanais et voyons exactement où va la région. Quand je dis Libanais, je pense à une entité progressiste, et non à la façon du (recteur de l’USJ,)le père Sélim Abou. Voyez-vous, nous ne sommes même pas d’accord au sujet de la définition du Liban.
Q. J’ai évoqué les relations druzo-chrétiennes parce qu’elles ont connu des moments difficiles...
R: Maintenant, tout le monde, les druzes, les chrétiens, les chiites et les sunnites attendent la Caisse des déplacés. On attend encore les bateaux remplis d’écus, d’or et d’argent promis à la suite de la conférence des Amis du Liban à Washington. On m’a dit que les bateaux sont en route...
Q: Le pape ne peut-il rien apporter sur ce plan?
R: Qu’est-ce qu’il va apporter? De l’argent pour la Caisse des déplacés? C’est à nous de le faire et de redéfinir les priorités nationales. Avec tant d’argent gaspillé à gauche et à droite, on aurait pu renflouer la Caisse.
Q: N’y a-t-il pas eu de l’argent gaspillé dans cette Caisse?
R: Bien sûr. Mais, malgré cela, elle demeure une priorité. De plus, le pape est un homme âgé et malade. Pour lui, c’est une obsession de venir au Liban, pour des raisons bibliques.
Q: Pour vous, cette visite a une dimension uniquement pastorale...
R: Tout dépendra de l’interprétation qu’on en fera. Si certains excités chrétiens vont se dire qu’elle apporte le salut pour eux et si d’autres excités musulmans vont y voir une nouvelle croisade, on recommencera à zéro. Soyons clairs et prudents. Certes, la classe officielle fera de beaux discours, mais il faut voir au-delà.
Q: Le Vatican a émis une proposition pour le sort de Jérusalem. Il voudrait en faire une ville ouverte, placée sous tutelle internationale...
R: C’était le projet des Nations Unies en 1947. Au train où vont les choses, j’ignore ce qui va rester de cette ville.
Q: Exprimerez-vous votre opinion lors de la publication de l’exhortation apostolique?
R: On verra. Peut-être.

Propos recueillis par
Paul KHALIFEH
Q. Pensez-vous que la visite du pape soit une bonne chose pour le Liban?R: Si le pape parvient à convaincre l’Eglise maronite de sortir du Moyen-Age, ce sera une très bonne chose. S’il pouvait seulement lui donner un souffle progressiste arabe, surtout que nous sommes dans une phase critique, très critique. Quand on entend certains discours musulmans et chrétiens, on...