Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

L'horreur et la honte

Ce matin du 24 avril, les premiers rayons du soleil illuminaient les rives du Bosphore. Les dômes des minarets scintillaient de mille feux et les effluves du printemps annonçaient une journée de calme et de volupté sur cette métropole, Constantinople, capitale de l’empire ottoman. Douze heures plus tard, au soleil couchant, c’est l’horreur: l’Histoire enregistrait le déclenchement de l’opération la plus sanglante, la plus meurtrière de ce début du XXe siècle: la honte d’un génocide organisé, planifié et exécuté par les plus hautes instances d’un Etat contre ses propres citoyens. Ce 24 avril 1915, après avoir décapité en quelques heures l’intelligentsia arménienne, plus de 300 personnes entre hommes d’Etat et de religion, écrivains, penseurs, et chefs de parti, le gouvernement des jeunes Turcs s’attaquait à la masse du peuple arménien. Et c’est le décret infâme portant la signature du ministre de l’Intérieur Talaat qui ordonnait à tous les responsables de l’ordre et de la sécurité dans toutes les marches de l’Empire ottoman, de supprimer, sans distinction de sexe, d’âge ou de condition, et sans pitié ni remords, les fils de la nation arménienne.
Ainsi périrent dans l’horreur et les tortures les plus atroces plus d’un million et demi d’Arméniens qui avaient contribué pendant des siècles, par leur labeur et leur sagacité, à l’essor de l’Empire ottoman, mais dont les idées libérales et les ambitions déclarées pour un Empire plus démocratique et moins autoritaire portaient ombrage à la caste dominante.
Ce sont les mêmes idées et les mêmes ambitions qui devaient mener un jour de mai 1916 les martyrs libanais à la potence et soumettre le peuple libanais à la faim et à l’inanition sous la férule du tyran Djemal Pacha.
Du 24 avril 1915 au 24 mai 1997, 82 années se sont écoulées.
Mais tout le long de ces 82 années, les Arméniens ont continué à porter, chaque matin du 24 avril, le deuil de leurs martyrs. Hier encore, et jusqu’à l’aube, une veillée aux morts réunissait autour du monument aux Martyrs de Bickfaya des milliers de jeunes de la dernière génération. Et ce matin, les bourdons de la cathédrale d’Antélias et les cloches de toutes les Eglises rappelleront aux Arméniens l’Holocauste et le génocide de 1915.
C’est la fête du souvenir. C’est un rappel au monde entier que tout crime impuni en entraîne d’autres. C’est le souvenir de Hitler enjoignant à ses troupes dans sa campagne contre la Pologne en 1940, de tuer sans pitié, hommes, femmes et enfants, et qui répondait à un de ses généraux qui craignait les réactions de l’opinion publique internationale: «Qui se souvient encore du massacre des Arméniens?»
A Cana, il y a à peine un an, des innocents ont payé encore une fois le prix de l’agression aveugle et de la violence. Et on attend toujours les résultats de l’enquête initiée par les experts de l’ONU.
A l’orée du XXIe siècle, on est en droit de se demander: qu’en sera-t-il de ces politiques de la force contre le droit, de la violence contre la paix, de l’agression contre l’innocent?
Les technologies nouvelles et les découvertes ahurissantes dans les domaines les plus divers nous conduiront-elles vers une société dominée par la peur et la violence, la force et la tyrannie? Ou nous permettront-elles, dans ce grand village qu’est devenu le monde, de développer les stratégies d’échange, de dialogue et de compréhension entre les peuples grâce à l’explosion exponentielle des moyens de communication?
En attendant, il est évident que l’exemple du peuple arménien fidèle à la mémoire du génocide et de ses martyrs assoiffés plus que jamais de justice, et fort de ses revendications contre le pillage de ses terres et de ses monuments sacrés, reste un modèle pour tous.
C’est ce souvenir vivant qui a cimenté tout au long du XXe siècle les différents courants politiques, religieux et idéologiques au sein de la nation arménienne, et a permis de transcender les discordances inhérentes à l’éparpillement d’une nation condamnée à vivre sous des régimes et des cieux différents.
C’est ce même souvenir des martyrs de Cana qui a cimenté au Liban l’union de toutes les forces vives de la Nation. Tant il est vrai que nos martyrs s’adressent à nous pour éveiller en nous-mêmes les sentiments les plus nobles de justice, de paix et d’équité. Restons à leur écoute.
Gloire à nos martyrs. Puissent-ils reposer dans la paix du Seigneur.
Ce matin du 24 avril, les premiers rayons du soleil illuminaient les rives du Bosphore. Les dômes des minarets scintillaient de mille feux et les effluves du printemps annonçaient une journée de calme et de volupté sur cette métropole, Constantinople, capitale de l’empire ottoman. Douze heures plus tard, au soleil couchant, c’est l’horreur: l’Histoire enregistrait le...