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Actualités - ANALYSE

Une violation flagrante de la constitution

Le projet adopté par le Conseil des ministres présidé par le chef de l’Etat, en vertu duquel le mandat de l’actuelle Chambre des députés serait prorogé de huit mois, est contraire à la Constitution en ce qu’il viole, d’une part, la force de chose jugée et, d’autre part, le principe démocratique fondamental qui exige que la durée du mandat du député soit, lors de la votation populaire, acceptée par les votants.
A. Violation de la chose jugée
L’article 13 de la loi du 14 juillet 1993 sur la procédure devant le Conseil constitutionnel dispose que «les arrêts rendus par celui-ci jouissent de la force de chose jugée; ils s’imposent à toutes les autorités publiques judiciaires et administratives...».
Or sur recours présenté par plus de dix députés contre la loi du 11 juillet 1996, le Conseil constitutionnel a annulé plusieurs articles de cette loi, dont l’article 5. La teneur de ce texte est la suivante: «La durée du mandat de la Chambre qui sera élue après la promulgation de la présente loi est de quatre ans et huit mois; le mandat prendra fin le 15 juin de l’an 2001...». Le motif adopté par le Conseil en soutien de son dispositif qui prononce l’annulation de ce texte est rédigé en ces termes: «Attendu que texte de l’article 5 de la loi susvisée décide la prorogation pour une durée supplémentaire du mandat de la Chambre qui sera élue; que cette prorogation viole la règle générale et la coutume parlementaire et n’est pas justifiée par l’exception qui y est relevée...». Malgré ces mots confus, la décision est claire et ne prête pas à équivoque; le Conseil y a vu une inconstitutionnalité.
Dans son interprétation de la portée des décisions du Conseil constitutionnel français en matière de chose jugée, un constitutionnaliste de renom (Dominique Rousseau) a écrit: «La logique de l’autorité de la chose jugée étant d’interdire que soit remis en question ce qui a été jugé, le législateur qui reprendrait une disposition invalidée par le Conseil serait donc sanctionné pour méconnaissance de la chose jugée» (Contentieux constitutionnel, 1992, p. 136).
Comme, en toute matière judiciaire, les décisions rendues par le Conseil constitutionnel jouissent de la force de chose jugée, leur contenu n’est plus susceptible, d’une façon générale, d’être remis en question. De la sorte, la loi qui adopterait le projet en question sera, sans nul doute, annulé pour violation de la chose jugée.
B. Violation du paragraphe «d» du préambule et de l’article 24 de la Constitution.
Dans le préambule de la Constitution tel qu’il a été rédigé en 1990, le paragraphe «d» proclame solennellement que «le peuple est la source de tous les pouvoirs et le détenteur de la souveraineté; il exerce ses prérogatives par l’intermédiaire des institutions constitutionnelles». Plus loin, dans l’article 24, la Constitution proclame que «la Chambre des députés est composée de députés élus; leur nombre et le mode de leur élection sont déterminés par les lois électorales en vigueur».
La loi en vigueur au moment de l’élection des membres de la Chambre actuelle prévoit, dans son article premier, que la durée du mandat de la Chambre est de quatre ans. Le projet adopté mardi passé en Conseil des ministres propose de modifier ledit texte et de proroger le mandat de huit mois.
Nous voulons admettre avec les membres de l’Exécutif, pour les besoins de la discussion, que les élections de 1996 sont légales et, même, légitimes. Nous voulons acquiescer aux prétentions de certains responsables d’après lesquelles les membres de la Chambre actuelle représentent effectivement la volonté des deux fractions distinctes (musulmane et chrétienne) de la population libanaise, en application de l’article 24 de la Constitution.
Or, le peuple libanais n’a élu en 1996 ses députés que pour une durée de quatre ans seulement. Comment ose-t-on transgresser sa volonté?
Sans doute, dans des circonstances qui mettent un obstacle insurmontable au déroulement des opérations électorales, on présume que le peuple délègue à ses représentants l’attribution de proroger leur propre mandat; mais où peut-on trouver actuellement ou dans trois ans et demi de tels obstacles, c’est-à-dire, pratiquement, une guerre civile ou une guerre internationale?
Le projet viole les principes fondamentaux les plus élémentaires de la procédure démocratique; il va avec flagrance à l’encontre de la Constitution. Cette violation sera sanctionnée sans nul doute par le Conseil, si tant est qu’il existera encore au moment de la promulgation de la loi, et si le président de la Chambre ou dix députés décident de présenter un recours.
Le projet adopté par le Conseil des ministres présidé par le chef de l’Etat, en vertu duquel le mandat de l’actuelle Chambre des députés serait prorogé de huit mois, est contraire à la Constitution en ce qu’il viole, d’une part, la force de chose jugée et, d’autre part, le principe démocratique fondamental qui exige que la durée du mandat du député soit, lors de...