Hier, le Liban a fait un pas de géant... en arrière. Vingt-sept ans jour pour jour après l’unification de tous les syndicats libanais sous la bannière de la CGTL (le 25 avril 1970), le mouvement syndical se retrouve avec deux têtes. Qui sait, demain il en aura peut-être trois, quatre, ou davantage encore. Il est consternant de constater avec quel acharnement le premier ministre, M. Rafic Hariri, s’est appliqué à neutraliser la CGTL, depuis son arrivée au pouvoir il y a cinq ans. S’il avait seulement dépensé une infime partie de ces efforts pour lutter contre la corruption au sein de son administration ou pour veiller au respect des lois et de la constitution par ses ministres, le pays serait aujourd’hui dans un bien meilleur état. Mais non. Sa priorité est d’empêcher cette poignée de syndicalistes, dont les capacités de mobilisation sont d’ailleurs considérablement réduites, de manifester contre sa politique socio-économique. Mais quel mal y a-t-il à ce que quelques dizaines de personnes se rassemblent une fois l’an pour crier leur colère? «Ils vont faire fuir les capitaux», explique-t-on dans les cercles du pouvoir. Et la répression des libertés syndicales ne va-t-elle pas donner au monde une mauvaise image du Liban? «Les capitaux n’ont que faire des libertés syndicales», réplique-t-on.
Voilà la vérité. Les syndicats indépendants sont devenus trop gênants, même dans les pays occidentaux. Ils freinent l’expansion du capital, se dressent en obstacle devant la mondialisation de l’économie et osent défendre les intérêts des salariés, alors que le principal souci en cette fin du XXe siècle semble être de priver les travailleurs des acquis sociaux, arrachés patiemment, miettes par miettes, dans une lutte qui a duré des décennies. La protestation sociale en décembre 1995, en France, et les manifestations monstres des syndicats en Corée du Sud à la fin de l’année dernière l’ont bien montré.
La logique du pouvoir est implacable. M. Hariri sait parfaitement que ce n’est ni la Banque mondiale, ni le Fonds monétaire international, ni la conférence de Davos et encore moins le sommet du G7 qui vont lui reprocher de débarrasser le terrain de ces «empêcheurs de tourner en rond», au discours «archaïque» sur les droits des salariés, les couvertures sociales, la réduction des heures de travail...
Le gouvernement libanais sera tout au plus blâmé par les organisations internationales, plus «gênantes» encore que les syndicats indépendants. La démocratisation et l’industrialisation des pays en voie de développement? Une blague. Le directeur général de l’ONUDI, M. Mauricio de Paria y Campos, l’a compris bien tard, en accusant les pays développés de vouloir la mort lente de cet organisme que les Etats-Unis ont quitté le 31 décembre.
L’industrialisation du tiers-monde n’est plus à la mode. Aujourd’hui, nous sommes entrés dans l’ère du capital international qui cherche insatiablement de nouveaux marchés à conquérir. Aussi faut-il éliminer tous les obstacles entravant sa route, notamment les syndicats indépendants. Et ceci, M. Hariri, toujours à la pointe du progrès, l’a bien saisi.
Paul KHALIFEH
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