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Actualités - CHRONOLOGIE

Les manoeuvres du pouvoir ont abouti à l'émergence de deux CGTL Le mouvement syndical neutralisé (photo)

Le gouvernement de M. Rafic Hariri a finalement atteint l’objectif qu’il cherche à réaliser depuis près de trois ans: démembrer la CGTL et neutraliser le mouvement syndical dans le pays. Au cours des dernières années, la centrale syndicale représentait un problème véritable pour le Cabinet Hariri du fait de son autonomie de décision et de son action revendicatrice continue, à l’ombre d’une crise socio-économique chronique. Aujourd’hui, le pouvoir a transposé le problème au sein même de la CGTL en provoquant à l’intérieur de cette Confédération une scission sans précédent dans l’Histoire du Liban contemporain.
Depuis hier, et du fait des ingérences effrontées du ministère du Travail et de la partialité flagrante des Forces de sécurité intérieure, il existe dans le pays deux centrales syndicales: l’une est présidée par M. Elias Abou Rizk — dont la légitimité est reconnue par l’Organisation internationale du travail (OIT), la Fédération internationale des travailleurs arabes et la Confédération internationale des syndicats libres — et la seconde est conduite par M. Ghanim Zoghbi, reconnue (évidemment) par le gouvernement (VOIR PAGE 2 L’ENSEMBLE DE NOS INFORMATIONS).
Même durant les années de guerre, la CGTL avait réussi à préserver sa cohésion, à sauvegarder son indépendance et à mener un mouvement revendicatif efficace qui avait dépassé la cassure provoquée par les lignes de démarcation et les clivages confessionnels. Aujourd’hui, la centrale syndicale (ou tout au moins l’une d’elles, celle présidée par M. Zoghbi) risque de se transformer en un simple instrument de manœuvre que certains pôles du pouvoir pourraient exploiter au gré de leurs intérêts conjoncturels et politiciens. Pour l’heure, le mouvement syndical se trouve entraîné — pour un laps de temps indéterminé — dans un débat juridique stérile sur la légalité et la légitimité de l’une ou l’autre des deux «CGTL» désormais en place. Autant dire que le gouvernement pourra dormir sur ses lauriers maintenant qu’il s’est débarrassé (du moins dans l’immédiat) d’un partenaire social en tout point gênant.
Le secrétaire général de la Fédération internationale des travailleurs arabes, M. Hassan Jammam, a résumé en une petite phrase — particulièrement significative — l’atmosphère qui a marqué les élections du comité exécutif de la CGTL, hier, au siège de la centrale syndicale, à Badaro. «En vingt-cinq ans de lutte syndicale, a-t-il affirmé, je n’ai pas assisté à de telles ingérences dans l’action du mouvement syndical». Venant de la part d’un responsable arabe, cette remarque en dit long sur la situation dans laquelle se trouvent les libertés publiques au Liban dans le contexte présent.

Cette journée du 24 avril a débuté à l’aube lorsque des unités des FSI ont fait irruption, vers 6 heures du matin, au siège de la CGTL, alors qu’en principe, c’est l’armée libanaise qui est en charge du secteur. La question était de savoir laquelle de ces deux autorités sécuritaires (l’armée ou les FSI) serait chargée de filtrer les délégués syndicaux habilités à prendre part au scrutin. Il aura fallu que le ministre de la Défense Mohsen Dalloul se rende sur les lieux pour que la troupe cède la place aux FSI. Après avoir contrôlé ainsi la situation, les FSI devaient contraindre, manu militari, certains responsables syndicaux proches de M. Abou Rizk de quitter les locaux de la CGTL.
En dépit des bruits de bottes, et malgré la cohue provoquée par l’intervention «musclée» des FSI, le comité exécutif de la centrale syndicale a réussi quand même à organiser le scrutin en présence de 27 délégués sur les 44 que compte la CGTL. M. Abou Rizk devait être réélu à la tête du comité exécutif de la centrale syndicale et les autres membres de sa liste (au nombre de onze) devaient également être reconduits, pour la plupart, dans leurs fonctions.
Mais presqu’au même moment, se déroulaient dans une autre salle du siège de la CGTL d’autres élections, parrainées par le ministère du Travail. Ce scrutin «loyaliste» s’est déroulé en présence de 25 délégués auxquels sont venus s’ajouter dix délégués représentant les cinq nouvelles fédérations (dont quatre chiites) intégrées il y a quelques jours à la CGTL par le ministre du Travail Assaad Hardane mais dont l’adhésion à la centrale syndicale n’a pas été agréée par le comité exécutif de la Confédération. Ces élections ont abouti à l’élection de M. Zoghbi, par 33 voix, à la tête de la CGTL soutenue par le pouvoir.
Compte tenu des circonstances particulièrement douteuses dans lesquelles se sont déroulées ces élections, les FSI devaient interdire aux journalistes d’assister au scrutin. Les représentants de l’Organisation internationale du travail, de la Fédération internationale des travailleurs arabes et de la Confédération internationale des syndicats libres ont été empêchés, en outre, de pénétrer au siège de la CGTL lors du déroulement du scrutin.
Le pays se trouve ainsi face à la situation saugrenue suivante: il existe désormais deux centrales syndicales qui se disputeront la légalité et... les bureaux de la CGTL. Le ministre du Travail a annoncé dans l’après-midi qu’il ne reconnaissait que le groupement présidé par M. Zoghbi. Quant au rassemblement conduit par M. Abou Rizk, il bénéficie de la reconnaissance déclarée des trois instances arabe et internationales susmentionnées.
Mais bien au-delà de ce conflit à caractère «juridique», la gravité de la scission d’hier réside principalement dans l’affaiblissement du mouvement syndical, avec tout ce que cela entraîne comme conséquences fâcheuses sur le plan de la défense des intérêts des salariés. En tant qu’entité unie, la puissante centrale syndicale avait réussi à obtenir d’importants acquis aux salariés et aux travailleurs. En démembrant de la sorte la CGTL, le pouvoir est-il parvenu à neutraliser tout mouvement revendicatif à plus ou moins brève échéance? Le fait que le gouvernement ait pesé de tout son poids dans la balance afin de scinder de cette manière la centrale syndicale tend à prouver que les dirigeants actuels ne semblent pas prêts à faciliter de sitôt l’émergence d’un nouveau mouvement syndical unifié et solidaire.
Le comportement du Cabinet Hariri dans cette affaire laisse planer, en outre, de nombreux points d’interrogation particulièrement préoccupants, compte tenu de l’attitude du gouvernement dans d’autres domaines. Peut-on s’empêcher de s’interroger, en effet, sur les véritables intentions de nos dirigeants lorsque ces derniers sapent systématiquement l’autorité du Conseil constitutionnel et font fi des décisions de cette haute instance juridique, comme ils l’ont fait en approuvant un projet de loi prorogeant de huit mois le mandat de la Chambre alors que le Conseil constitutionnel avait déjà émis un verdict stipulant qu’une telle prorogation est anticonstitutionnelle? Est-il encore possible que les citoyens aient la moindre confiance en un pouvoir qui se plaît à bafouer régulièrement la Constitution et les lois en vigueur?

M.T.
Le gouvernement de M. Rafic Hariri a finalement atteint l’objectif qu’il cherche à réaliser depuis près de trois ans: démembrer la CGTL et neutraliser le mouvement syndical dans le pays. Au cours des dernières années, la centrale syndicale représentait un problème véritable pour le Cabinet Hariri du fait de son autonomie de décision et de son action revendicatrice...