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Actualités - OPINION

Carnet de routes Apparitions..

Rendons à Bruno Bettelheim ce qui appartient à Bruno Bettelheim et à l’éducation religieuse des enfants, à son merveilleux et à ses effets, ce qui lui appartient en propre. Contes de saintes contre contes de fées, la différence n’est pas grande. Mais ce qui suit n’a pas la prétention d’analyser, seulement celle de raconter, à travers deux exemples, comment pouvait être vécu par une petite fille au Liban comme en France, bien avant Vatican II, ce qui s’appelait encore le catéchisme. L’enfant en question était peut-être d’une nature peureuse, elle avait en tout cas une foi inébranlable en Dieu et en ses Saints. La preuve.

Ma première passion s’appela Sainte Blandine. Vous sous souvenez peut-être de son histoire. Jeune chrétienne lyonnaise du IIe siècle, elle préféra être jetée aux lions plutôt que d’abjurer. Sœur Philomène, qui nous enseigna ce chapitre, avait certainement un grand talent d’évocation car c’était à peine si je n’entendais pas rugir les fauves dans la salle de classe et si je ne sentais pas la tunique spartiate de la jeune fille effleurer mon uniforme de serge marine. Je ne voulais plus être, grande, que comme la sainte martyre, dont les cheveux blonds et lisses, contrastant avec ma tignasse brune et frisée que je n’aimais pas, exerçaient sur moi un attrait supplémentaire.
L’été suivant à Sofar, où mes parents louaient une maison, je fis toutes les nuits le rêve suivant: un lion me poursuivait sur la partie du balcon qui tenait entre la balustrade et le vide et je le suppliais de toutes mes forces de ne pas me manger. «S’il vous plaît, monsieur le lion, ne me mangez pas», me semblait, au réveil, l’insigne expression de ma lâcheté envers Dieu, ma foi, et surtout la Sainte héroïque. Mystère de l’enfance, je n’en soufflais mot à ma mère que je pressentais païenne, ni à la cuisinière, trop occupée, elle, par la mort accidentelle d’Asmahan. C’est comme ça que Sainte Blandine occupe certainement encore aujourd’hui une place privilégiée dans le lot d’intenses culpabilités que je traîne sur le chemin libano-français de mes classes primaires.
C’est à Sofar encore, mais un mois seulement, passé dans la maison de ma tante A. et de ses enfants, où la salle de bains était quasiment privée de lumière, que je vécus l’un des moments les plus pathétiques de ma vie. Cela se passait ainsi. Moi: «Mon Dieu, faites que je n’aie pas une apparition, mon Dieu, faites que je n’aie pas une apparition» et ainsi de suite. Pourquoi? Parce que le programme de l’année scolaire s’était étendu sur Bernadette Soubirous et l’apparition de l’Immaculée Conception. Je retenais que, devant cette enfant agenouillée, le ciel, non pas entrouvert mais carrément fendu, dégageait un rougeoiement de flammes fuchsia, au travers desquelles la Sainte Vierge se présentait pour charger d’une mission la petite enfant des Pyrénées. Je mourais de peur que, n’ayant, comme Bernadette, d’autres qualifications que celles d’une âme simple, sinon sainte, on ne me choisît pour une nouvelle charge. L’idée que dans ce lieu qui semblait d’autant plus noir que j’étais très jeune, le mur puisse se casser et soudain me montrer la robe si blanche et si bleue de la mère de Jésus entourée par une sorte d’incendie, cette idée me terrifiait. Je n’en aurais voulu pour rien au monde du nouveau message qu’elle me transmettrait. Rien au monde. Fulgurance, responsabilité, vierge grand format, je n’avais goût à rien de cet honneur. Pas une fois, au cours des parties de cache-cache auxquelles j’acceptais de me livrer, je ne choisis de me réfugier dans cette cachette que mes cousines utilisaient à qui mieux mieux. Je ne garde pas grand souvenir de Bernadette, qui, évidemment, ne pouvait plus qu’entrer dans les ordres, mais je me souviens encore vivement du premier spectacle de science-fiction qu’il m’a été donné de voir, et dont je refusai, jusqu’à la nausée, l’imagerie et les risques... Il me poursuivit avec beaucoup plus de force que le lion de Sainte Blandine. Sainte Blandine, c’était encore un individu, c’était encore moi, au-delà de la peur. L’«Immaculée Conception» aurait pu apparaître à n’importe qui des enfants de mon âge, donc à moi, sans choix. Blandine était une intime, l’«Immaculée» une étrangère. L’une ne me demandait que du courage, l’autre une publicité en technicolor pour une cause dont la compréhension me dépassait entièrement, et une vision qui m’aurait clouée au sol.
Mais ne débattons pas de ces deux Saintes, dont la place est désormais au ciel, loin des sœurs de Besançon et des dames Ursulines.
Célébrons plutôt, avec l’islam entier, le dieu d’Abraham en cette Adha de printemps.

Amal NACCACHE
Rendons à Bruno Bettelheim ce qui appartient à Bruno Bettelheim et à l’éducation religieuse des enfants, à son merveilleux et à ses effets, ce qui lui appartient en propre. Contes de saintes contre contes de fées, la différence n’est pas grande. Mais ce qui suit n’a pas la prétention d’analyser, seulement celle de raconter, à travers deux exemples, comment pouvait...