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Actualités - CHRONOLOGIE

Après le torpillage du processus devant conduire aux municipales Crise ouverte entre Hraoui et Hariri Report sine die du conseil des ministres initialement prévu pour aujourd'hui à Baabda (photo)

La crédibilité du pouvoir issu de Taëf — ou plutôt le peu qu’il en restait — a été sapée dans ses fondements par deux fois en ce début du mois d’avril: d’abord, du fait de la démission du président du Conseil constitutionnel, M. Wajdi Mallat, en raison des pressions politiques qui ont entravé l’action de cette haute instance juridique; ensuite, par la décision du chef du gouvernement Rafic Hariri de retirer du Parlement le projet d’amendement de la loi sur les municipales dont l’approbation devait ouvrir la voie à l’organisation des élections municipales en juin prochain.
Les causes qui ont poussé le président Mallat à résilier ses fonctions n’échappent à personne, mais elles ne peuvent, au stade actuel, être exposées d’une manière explicite et officielle en raison du caractère secret (et, en principe, sacré) de la mission du Conseil constitutionnel. Par contre, il est, à tous les égards, inadmissible que le premier ministre n’ait pas daigné fournir à l’opinion publique une explication sérieuse et convaincante pour justifier sa subite décision de torpiller les élections municipales alors que son gouvernement planchait depuis quatre mois sur les préparatifs de ce scrutin tant attendu par nombre de Libanais. Cette attitude cavalière a provoqué une crise ouverte avec Baabda.
Les milieux de M. Hariri invoquaient hier des «problèmes d’ordre administratif» et des «divergences au sujet de certains points de la loi sur les municipales» pour justifier le report du scrutin. De tels prétextes évoqués dans les cercles de Koraytem constituent, à l’évidence, une insulte à l’intelligence des Libanais. Comme l’a souligné fort à propos, hier, le ministre de l’Agriculture Chawki Fakhoury, ces problèmes ne sont pas nés d’hier, et ils n’ont nullement été soulevés au sein des commissions parlementaires ou lorsque le cabinet Hariri a décidé ( le 4 décembre 1996) de fixer au début du mois de juin la date de l’élection des conseils municipaux.
D’aucuns évoquent la conjoncture régionale explosive pour fournir une explication au torpillage de la consultation populaire. Il s’agit là d’un prétexte facile qui peut servir de paravent à toute mesure ou démarche discrétionnaire. Est-il nécessaire de rappeler à ce propos que «la conjoncture régionale explosive et particulièrement délicate» n’a nullement empêché les Israéliens de se rendre aux urnes, en mai dernier, et de renverser le gouvernement travailliste de M. Shimon Pérès qui était le principal artisan du processus de paix avec les pays arabes?
Pour l’heure, les faits parlent d’eux-mêmes: les dirigeants ne jugent pas utile d’expliquer aux Libanais les véritables raisons de la volte-face gouvernementale. Une petite phrase attribuée par un député au président Elias Hraoui serait susceptible d’éclairer quelque peu notre lanterne sur ce plan. Le chef de l’Etat aurait affirmé en effet, lors des audiences qu’il a accordées jeudi aux parlementaires, que M. Hariri a œuvré en vue du report des élections municipales parce qu’il n’avait pas eu le temps de faire approuver certaines décisions par l’actuelle municipalité de Beyrouth avant l’élection du nouveau conseil municipal ! Dans les milieux des deux oppositions pro-Taëf et anti-Taëf, on chuchote que c’est parce que les opposants avaient le vent en poupe dans les grandes agglomérations que le premier ministre a mis tout son poids dans la balance afin de torpiller la consultation populaire qui risquait de se retourner contre lui.
Que cette thèse s’avère exacte ou erronée, cela ne changera rien à la réalité: en retirant le projet sur les municipales, M. Hariri a sapé non seulement le peu de crédibilité dont jouissait le pouvoir de Taëf, mais également — et surtout — la confiance (très relative) des Libanais en ce pouvoir. Comme l’a souligné lui-même, hier, le vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur Michel Murr, «il y va de la crédibilité de l’Etat». M. Murr a relevé, à juste titre, que le gouvernement ne fait que se discréditer lorsqu’il décide subitement d’ajourner sine die les élections après les avoir préparées, en dépit de toutes les difficultés, pendant quatre mois (VOIR L’ENSEMBLE DE NOS INFORMATIONS EN PAGES 2 ET 3).
Plus grave encore, l’initiative de M. Hariri constitue une violation flagrante de la Constitution, de la législation en vigueur et de l’esprit de Taëf. Une violation qui porte atteinte aux prérogatives du chef de l’Etat. Rien d’étonnant, par conséquent, que cet épisode des municipales ait provoqué une grave crise entre le président Hraoui et le premier ministre. Du même coup, la cohésion intergouvernementale a subi un grave revers, comme le montre l’attitude de MM. Murr et Fakhoury, ouvertement hostiles à la démarche de M. Hariri. Le ministre de l’Agriculture n’a pas mâché ses mots à ce propos en accusant, sans détours, le chef du gouvernement d’avoir violé la Constitution.

Une démarche illégale

Première conséquence immédiate de la rupture entre le président de la République et le chef du gouvernement (car nous nous trouvons effectivement, semble-t-il, face à une rupture): le Conseil des ministres extraordinaire qui devait se tenir ce matin au palais de Baabda a été annulé à la demande du président Hraoui. Jeudi soir, déjà, le chef de l’Etat avait refusé de répondre à un appel téléphonique du premier ministre. Durant toute la journée d’hier, M. Murr a tenté d’arrondir quelque peu les angles entre Baabda et Koraytem. Mais ses efforts se sont avérés vains. Les deux entretiens qu’il a eus successivement avec M. Hariri puis, en soirée, avec le président Hraoui n’ont abouti sur ce plan à aucun résultat tangible.
Si le torchon brûle, ainsi, entre la première magistrature et le chef du gouvernement — ainsi qu’entre ce dernier et certains de ses ministres —, c’est que M. Hariri a non seulement outrepassé ses prérogatives, mais a marché également sur les plates-bandes du chef de l’Etat. Le ministre de l’Agriculture n’a pas manqué hier d’exposer une solide argumentation à ce propos.
La Constitution stipule clairement que le pouvoir exécutif est détenu par le Conseil des ministres réuni. Or M. Hariri a pris l’initiative de retirer du Parlement le projet de loi sur les municipales (ce qui équivaut à annuler le scrutin de juin) sans en référer au Conseil des ministres. De surcroît, le premier ministre confiait hier soir à ses visiteurs que les élections municipales n’auront pas lieu avant 1998. Une telle attitude revient à concentrer entre les mains du chef du gouvernement tout le pouvoir exécutif, ce qui remet en cause l’esprit même de Taëf.
La démarche de M. Hariri est, d’autre part, considérée comme illégale en raison du fait qu’elle constitue une violation du règlement intérieur de la Chambre. Ce dernier stipule qu’un projet de loi transmis au Parlement par décret présidentiel peut être retiré par le gouvernement, avant son approbation à l’Assemblée, par le biais d’un autre décret présidentiel. En clair, cela signifie que le président Hraoui devait signer avec le premier ministre un décret pour retirer le projet en question. Or le chef de l’Etat n’a pas été consulté à ce sujet et, pis encore, il est farouchement hostile au retrait du projet.

L’équilibre
communautaire

Cette violation flagrante des prérogatives du chef de l’Etat (et du Conseil des ministres dans son ensemble) remet sur le tapis le fragile équilibre qui caractérise le partage du pouvoir entre les composantes communautaires du pays. Les prérogatives du président de la République ont déjà été réduites par l’accord de Taëf. Dans les cercles du Palais de Baabda, on s’interroge ouvertement, désormais, sur le fait de savoir si la Première Magistrature n’est pas confrontée à une tentative visant à rogner les ailes, encore davantage, au chef de l’Etat. Compte tenu de ce que représente la présidence de la République au niveau de l’équilibre communautaire local, la dernière initiative du chef du gouvernement paraît pour le moins maladroite, sinon suspecte.
Ce problème en rapport avec les prérogatives constitutionnelles paraît d’autant plus sérieux que les milieux du Palais de Baabda ne cachaient pas hier leur amertume à l’égard de l’attitude du chef du Législatif Nabih Berry et du premier ministre. Car une nouvelle donne politique est apparue jeudi à la faveur du vote parlementaire sur le retrait du projet gouvernemental sur les municipales. La proposition de M. Hariri a été approuvée à la majorité parlementaire grâce à la complicité à peine voilée de M. Berry. Après le récent éclatement de la «troïka», nous assistons ainsi actuellement à ce qui paraît être un renversement d’alliances entre les trois pôles du pouvoir. A l’axe Hraoui-Hariri qui faisait face au chef du Législatif depuis plusieurs mois se substitue un axe Berry-Hariri qui a pour conséquence d’affaiblir la position du président de la République. Cela a amené les cercles du Palais de Baabda à lancer hier une boutade qui en dit long sur le climat politique qui prévaut désormais dans le pays: «S’ils (le président de la Chambre et le premier ministre) désirent gouverner seuls le pays, qu’ils le fassent sans nous...».
En tout état de cause — et dans l’attente, comme à l’accoutumée, de la traditionnelle médiation du parrain syrien — la rupture semble consommée entre le président Hraoui et M. Hariri. Les sources proches de la Première Magistrature vont même jusqu’à s’interroger sur l’opportunité de la poursuite de la coopération avec M. Hariri en tant que chef du gouvernement.
Certes, nous n’en sommes pas encore là. Mais dans l’immédiat, le Conseil des ministres pourrait difficilement se réunir avant la fin du mois en cours. Aux voyages successifs de M. Hariri à l’étranger (il quitte ce week-end pour Moscou) viendront s’ajouter les fêtes de l’Adha et de Pâques orthodoxe. Un problème légal se pose à ce niveau: le cabinet se doit de tenir une séance avant le 30 avril afin de décider officiellement de la reconduction des mandats des conseils municipaux actuellement en place. Ces mandats expirent le 31 juin, et le corps électoral doit être convoqué deux mois à l’avance. Si le cabinet Hariri ne reconduit pas ces mandats avant le 30 avril, la décision qu’il a prise le 4 décembre 1996 d’organiser les élections municipales au début du mois de juin demeurera en vigueur, et le scrutin aura lieu sur base de la loi de 1977 que le gouvernement cherchait à amender.
Dans les couloirs du Palais de Baabda, on affirmait hier soir que tout sera mis en oeuvre afin d’assurer une minorité de blocage (dix ministres, soit le tiers des membres du gouvernement) afin de faire échec à la tentative de M. Hariri de reconduire les conseils municipaux actuellement en place. Plusieurs ministres auraient l’intention, d’ores et déjà, de faire bloc autour du chef de l’Etat à ce propos. Il s’agit, notamment, de MM. Michel Murr, Chawki Fakhoury, Chahé Barsoumian, Nadim Salem, Nicolas Fattouche, Elias Hanna, Elie Hobeika et Sleiman Frangié.
Quoi qu’il en soit, le peu de sérieux manifesté par le cabinet Hariri dans son attitude à l’égard d’un dossier aussi vital et crucial que des élections municipales ne manquera pas de discréditer encore davantage l’Etat issu de Taëf. Et du même coup, les dirigeants auront raté une occasion en or d’enclencher un timide processus de réconciliation entre une large frange de la population et le pouvoir du fait accompli en place depuis plusieurs années.
M.T.
La crédibilité du pouvoir issu de Taëf — ou plutôt le peu qu’il en restait — a été sapée dans ses fondements par deux fois en ce début du mois d’avril: d’abord, du fait de la démission du président du Conseil constitutionnel, M. Wajdi Mallat, en raison des pressions politiques qui ont entravé l’action de cette haute instance juridique; ensuite, par la décision...