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Actualités - CHRONOLOGIE

La démission du président du conseil constitutionnel est irrévocable Mallat à l'Orient-Le Jour : diverses contraintes ont entravé notre action (photos)

«Irrévocable». Telle apparaissait, hier soir, la démission du président du Conseil constitutionnel, M. Wajdi Mallat, qui a fait l’effet d’une bombe dans les milieux politiques (VOIR PAGE 3). Pour quelles raisons M. Mallat a démissionné? C’est une question à laquelle beaucoup aimeraient voir M. Mallat répondre de façon plus explicite. Grosso modo, on comprend des propos du président Mallat, qui a bien voulu nous recevoir hier soir à son domicile, que lors de l’examen de 17 recours en invalidation consécutifs aux élections législatives de l’été 1996, des membres du Conseil constitutionnel ont été soumis à des pressions politiques qui ont fini par limiter leur liberté de jugement.
Le Conseil constitutionnel s’est alors trouvé devant une décision difficile: accepter les recours qu’il lui était permis de recevoir, et fermer les yeux sur les autres. Une démarche en contradiction flagrante avec l’indépendance que lui garantit la loi.
Pour éviter, d’une part, d’être un faux témoin et, d’autre part, d’aller de l’avant, et de heurter de front une autorité politique synonyme, par ailleurs, de paix civile, le président Mallat, sachant trop bien où le désordre peut mener, a préféré cette «paix civile» au fait d’avoir raison contre l’ordre établi. Poussé dans ses derniers retranchements, il a préféré démissionner. C’est du reste la raison pour laquelle il insiste pour dire que sa démission est «un signe de santé», ou encore le signe que le processus démocratique fonctionne toujours, contrairement à certains régimes figés où même les démissions sont impossibles.
Un «signe de santé» quand même paradoxal, à bien y réfléchir. Oui, certes, la paix civile doit être placée au-dessus de tout, mais est-il permis de laisser des recours en invalidation menacer cette paix, quand on se vante, par ailleurs, d’édifier un Etat de droit? De ce point de vue, la démission d’hier est une sorte de sonnette d’alarme tirée par un homme qui s’est vu dans l’impossibilité de remplir en conscience la mission qui lui avait été confiée, mission hautement symbolique et chargée de valeur morale, mission où tous les Libanais sincères ont placé une partie de leurs espoirs. Il ne fait pas de doute qu’au-delà de la valeur positive que M. Mallat essaie de lui conférer, cette démission consacre donc le triomphe du tribalisme politique sur la loi.
Recevant «L’Orient-Le Jour», M. Mallat a affirmé ne pas avoir personnellement subi des «pressions» de quiconque, mais que cela n’empêche pas chacun «d’être un peu l’otage d’un climat général». Et d’ajouter que certaines décisions s’imposent «quand on ne peut pas modifier un climat général».
Toutefois, le président démissionnaire du Conseil constitutionnel refuse de donner à sa démission une quelconque signification politique, se contentant de constater qu’il a démissionné parce qu’il n’était «pas possible de continuer», et «sans vouloir porter ombrage à qui que ce soit».
M. Mallat a rendu hommage, au passage, aux «grandes qualités et à la compétence» des autres membres du Conseil constitutionnel, tout en laissant entendre qu’il est difficile pour un homme, dans certaines circonstances, de «rester égal à soi-même» et d’exercer une «liberté naturelle».
«J’ai simplement craint qu’un certain climat leur ait fait subir une espèce de contrainte», a concédé à dire M. Mallat, en réponse à une question plus précise sur le type de pressions que certains membres du Conseil constitutionnel ont subies.
Au sujet des «indiscrétions» publiées par la presse, M. Mallat devait déclarer qu’elles l’ont «indisposé», mais qu’il n’a «rien de décisif» au sujet de leur source, et qu’il ne peut affirmer que ces fuites sont le fait de membres du Conseil constitutionnel.
«Pour quelles raisons j’ai démissionné, ajoute-t-il, chacun, pourra l’interpréter à sa convenance. La porte de la jurisprudence est ouverte à pleins battants». Et d’ajouter que ces raisons peuvent être «générales et particulières, et même psychologiques», avant de souligner que «dans le climat général, on ne se sent pas à son aise» et que «sans vouloir s’ingérer politiquement», il existe «une espèce d’instabilité qui gêne un mouvement utile».
Il est significatif, cependant, que M. Mallat se propose de défendre, auprès de M. Berry, qu’il doit rencontrer dans les prochains jours, la cause d’un certain nombre d’amendements qu’il juge nécessaire au règlement du Conseil constitutionnel. Il souhaite en effet «plus de clarté dans les textes qui règlent la compétence du Conseil constitutionnel en matière de contestation électorale».

Ingérences

Une chose est donc évidente, la démission de M. Mallat est en rapport étroit avec les recours en invalidation consécutifs aux législatives de l’été dernier. Le processus d’examen de ces recours s’est heurté, dès le départ, à des obstacles. Trois mois après la présentation de ces recours, le Conseil constitutionnel se plaignait des «manœuvres dilatoires» du ministère de l’Intérieur, qui tardait à lui confier les procès-verbaux de décompte des voix nécessaires pour un contrôle d’exactitude. En février dernier, des sources proches du Conseil constitutionnel continuaient de protester contre cette attitude dilatoire, et affirmaient que certains des procès-verbaux établis dans les bureaux de vote, n’étaient toujours pas disponibles.
En février, le Conseil Constitutionnel était confronté à un développement majeur: la publication par la presse des premières conclusions auxquelles le Conseil était parvenu, au sujet de certains recours en invalidation. Un coup fatal pour la crédibilité de tout le Conseil constitutionnel, dont la responsabilité repose sur certaines personnalités politiques haut placées.
Du coup, les ingérences et interférences se multiplièrent jusqu’au harcèlement, au point de troubler la paix du foyer de certains membres du Conseil constitutionnel et de dénaturer les travaux du Conseil. Un ancien président du Conseil, impliqué malgré lui dans ces tiraillements, s’en était même plaint à une instance politique supérieure.
Parallèlement, au vu de ce qui avait été publié dans la presse, il apparaissait que le Conseil constitutionnel était «autorisé» à recevoir les recours basés sur un décompte erroné des voix, mais non ceux qui se basaient sur l’application de la loi électorale, et encore moins celles qui faisaient état de pressions sur l’électorat.
Dans le concret, les recours présentés par MM. Robert Ghanem (contre M. Henri Chédid, dans la Békaa), de M. Mohammed Yehya (contre M. Khaled Daher, dans le Akkar) et de M. Nazem Khoury (contre M. Emile Naufal, à Jbeil), pouvaient être reçus, mais non ceux qui avaient trait à des vices de forme (Ainsi, le député Ragi Abou Haïdar, qui a battu M. Albert Moukheiber dans le Metn, n’a apparemment pas présenté sa candidature dans les délais légaux), ou à l’existence de pressions sur l’électorat ayant pu influer sur l’issue finale du vote (ainsi, dans le Akkar, le recours en invalidation de M. Mikhaël Daher). Dans cette deuxième catégorie se situeraient aussi deux autres recours jugés recevables, ceux des députés Habib Sadek (contre M. Ali Hassan Khalil, au Liban-Sud) et Issam Naaman (contre M. Khaled Saab, à Beyrouth).
Du reste le Conseil constitutionnel se heurtait à toutes sortes d’entraves plus ou moins grandes, dans l’accomplissement de sa tâche. Et notamment la maigreur des moyens mis à sa disposition. C’est vrai, le ministère de la Justice avait détaché dix fonctionnaires pour l’assister dans le dépouillement des documents examinés, mais il est non moins vrai que pour faire paraître son premier arrêt, le Conseil constitutionnel français avait mis près de treize mois, rappellait-t-on dans les cercles concernés.
Placés devant toutes ces données, et compte tenu des échéances de la vie nationale, comme la visite du pape en mai et les élections municipales, début juin, il semble que le président Mallat ait tenté de calmer les esprits en proposant de remettre le verdict du Conseil constitutionnel pour la période qui suivrait les dates fixées pour les municipales. Ce faisant, M. Mallat tenait compte du fait que toute invalidation de mandat législatif entraînerait nécessairement l’organisation d’un scrutin dans les deux mois suivants (article 41 de la Constitution). Toutefois, cette tentative se heurtant à l’opposition de certains membres du Conseil et dans l’impossibilité de poursuivre sa tâche dans le climat qui prévalait, M. Mallat a donc démissionné.
Selon une source politique, M. Mallat avait finalement cherché à faire approuver les décisions du Conseil constitutionnel à l’unanimité, bien que le vote de sept membres sur dix du Conseil ait été suffisant. Là aussi, M. Mallat s’était heurté à des obstacles insurmontables.

La lettre de démission

La lettre de démission — succincte — de M. Mallat a été adressée mercredi à M. Nabih Berry. Toutefois, le président de l’Assemblée nationale avait demandé à M. Mallat d’y réfléchir encore 24 heures, ce que M. Mallat avait consenti à faire, par égard pour un homme auquel il est lié d’amitié.
Il semble, d’autre part, que M. Mallat n’ait consulté aucun des membres du Conseil constitutionnel, avant de démissionner. C’est pourquoi ces derniers ne s’étaient pas expliqué son absence, mercredi, et qu’ils l’avaient relancé chez lui. M. Mallat avait prétexté un alitement.
Selon le statut du Conseil constitutionnel (article 4), la place laissée vacante doit être pourvue dans un délai d’un mois. L’examen des recours ne pourra reprendre avant ce délai, auquel s’ajoute le délai nécessaire à l’élection d’un nouveau président. On sait par ailleurs qu’en juin, cinq des membres actuels du Conseil constitutionnel dont les noms seront tirés au sort, devront démissionner et être remplacés par cinq nouveaux membres désignés soit par le Conseil des ministres, soit par la Chambre. Il est donc évident que si l’on veut faire vite, le verdict du Conseil constitutionnel devra avoir lieu avant cette quintuple démission.
M. Mallat a reçu, hier soir, à son domicile, les visites de plusieurs personnalités juridiques et politiques, ainsi que celles de certains de ses confrères du Conseil constitutionnel, venus apporter leur caution à son geste et, pour certains, lui demander de reconsidérer sa décision. «L’opinion n’acceptera jamais que vous vous retiriez», a déclaré notamment M. Albert Moukheiber, qui a souligné que la démission «est un geste grave qui a ému l’opinion» et qui, sur le plan politique, «relance la balle dans le camp de l’Exécutif».

F.N.
«Irrévocable». Telle apparaissait, hier soir, la démission du président du Conseil constitutionnel, M. Wajdi Mallat, qui a fait l’effet d’une bombe dans les milieux politiques (VOIR PAGE 3). Pour quelles raisons M. Mallat a démissionné? C’est une question à laquelle beaucoup aimeraient voir M. Mallat répondre de façon plus explicite. Grosso modo, on comprend des propos...