Rechercher
Rechercher

Actualités - ANALYSE

La nouvelle carte d'identité soulève de nombreuses questions politiques

Bien entendu l’émission d’une nouvelle carte d’identité donne lieu, dans les milieux politiques un peu trop saturés de termes comme «scandale», «corruption» et «querelles d’intérêt», à de belles envolées patriotiques de circonstance. Ainsi le ministre de l’Intérieur M. Michel Murr relève dans l’allocution prononcée lors de l’inauguration du centre qui va délivrer la précieuse pièce, que le gouvernement va redonner au citoyen une carte qui lui manquait depuis 1976... Un autre responsable de surenchérir en affirmant, péremptoire, que «les détenteurs de la carte ne doivent pas être Libanais que de nom, mais comprendre qu’à travers cette pièce ils doivent préserver l’identité de la patrie».
Toute grandiloquence oiseuse mise de côté «l’identité de la patrie» continue à poser problème, dans la mesure où elle ne peut se définir avec exactitude quand la souveraineté fait défaut. D’autres facteurs parallèles manquent également au rendez-vous. «Peu importe, remarque ainsi un opposant, qu’en application des accords de Taëf la confession ne soit plus mentionnée, car ce n’est pas sur le papier mais dans les esprits que le confessionnalisme existe et se montre même plus vivace que jamais. On est encore loin du but: que l’amour de la patrie prime tout, qu’elle soit le dépositaire unique de toute allégeance, qu’on y puise sa force propre sans chercher ailleurs...»

Recensement

Sur un plan moins conceptuel sinon plus prosaïque, il est certain qu’il ne sera plus possible de falsifier la carte comme lorsque, durant la guerre, l’Etat avait été obligé d’annuler toutes les pièces émises après 1976. A l’époque des éléments avaient pu s’infiltrer au siège de l’état civil et fabriquer autant de documents qu’ils voulaient, ce qui permettait aux bénéficiaires, souvent non-Libanais, d’obtenir des passeports ou des permis de conduire, papiers utiles dans plus d’une opération terroriste ou crapuleuse à l’étranger...
Autre élément d’ordre pratique: l’octroi de la nouvelle carte, entamé par une cérémonie officielle à Badaro en présence du chef de l’Etat, va permettre au fil des mois de recenser indirectement la population libanaise, tout en neutralisant les détenteurs de faux papiers qui ne pourront pas faire de demande.

Observations

Mais pour opportune que soit l’initiative elle suscite quelques remarques émaillées d’amers rappels:
— Qu’advient-il du décret destiné, par une nouvelle fournée, à réequilibrer un peu les naturalisations massives d’il y a trois ans dont la promulgation est juridiquement attaquée devant le Conseil d’Etat...
— Où en est-on, à ce propos, de l’élaboration d’un nouveau Code des naturalisations, l’actuel offrant comme on sait autant de brèches que de lacunes.
— Va-t-on laisser sur la touche les émigrés que les aléas de l’histoire ont privé de leur nationalité d’origine (bon nombre n’ayant pas su qu’il fallait à un certain moment dans les années quarante confirmer cette nationalité)...
On ne peut donc pas évoquer la carte d’identité, sans parler de ce problème de naturalisations qui, comme beaucoup d’autres ici, est marqué au coin des conflits confessionnels et socio-politiques. La Constitution présente indique dans son article 6 que les moyens d’obtenir, de garder ou de perdre la nationalité libanaise seront déterminés dans une loi spéciale. Les accords de Taëf précisaient pour leur part que le Code des naturalisations ferait partie des questions dites cruciales nécessitant pour son approbation une majorité des deux tiers des membres du Conseil des ministres.
Mais, comme on sait, la première vague de naturalisations a fait l’objet d’un décret simple et non d’une loi, malgré son évidente importance numérique aussi bien que politique... Il paraît dès lors étonnant que sous prétexte de «ménager les sensibilités socio-politico-communautaires» dont on n’a fait aucun cas pour ce décret, on hésite actuellement à mettre sur l’établi la préparation de ce Code des naturalisations recommandée par Taëf. La Convention de Lausanne, toujours en vigueur, reconnaît le droit à la nationalité de tout ressortissant dont la famille réside en territoire libanais depuis la date du 30 août 1924; elle offre par ailleurs aux émigrés le choix de conserver la citoyenneté libanaise sans obligation de s’installer dans la mère-patrie; elle précise que le mari, et pas la femme, peut donner sa nationalité à sa moitié comme à ses enfants.

Législation
unifiée

A part cela il n’existe toujours pas au Liban, en ce qui concerne la nationalité, une législation unifiée, mais des lois et des réglements épars. On pouvait se faire reconnaître la nationalité libanaisse par verdict de tribunal ou par décret exceptionnel pris au cas par cas en Conseil des ministres, jusqu’à ce qu’il y ait eu le train énorme du 20 juin 1994 qui sous le décret numéro 5.247 a octroyé l’identité libanaise à des dizaines de milliers de familles. Une opération approximative et si manifestement improvisée ou embrouillée, que les responsables affirment, sans fausse honte, ne même pas savoir le nombre exact de bénéficiaires! Les évaluations varient dès lors entre 200.000 et 160.000 au bas mot. tout ce que l’on sait, c’est que l’équilibre confessionnel n’a pas été respecté, ce qui a provoqué de vives réactions à l’Est, après quoi on a promis un décret de compensation qu’on attend toujours... Toujours est-il que les naturalisations ont été si mal contrôlées que l’on a pu dénoncer d’innombrables cas où elles ont été attribuées à des gens qui ne résident pas, ou ne résident plus au Liban ou dont on ne trouve aucune trace dans les localités signalées comme lieu de résidence à de visibles fins électorales et démo-confessionnelles... Autrement dit sur le papier plusieurs villages n’ont plus une population en totalité ou à forte majorité communautaire déterminée, ce qui porte à l’intérieur même des régions (et à faux) le vice des déséquilibres démographiques. Et politiques, vu que la vie publique ici se fonde entièrement sur le principe de la coexistence des 18 communautés et du consensus confessionnel.

E.K.
Bien entendu l’émission d’une nouvelle carte d’identité donne lieu, dans les milieux politiques un peu trop saturés de termes comme «scandale», «corruption» et «querelles d’intérêt», à de belles envolées patriotiques de circonstance. Ainsi le ministre de l’Intérieur M. Michel Murr relève dans l’allocution prononcée lors de l’inauguration du centre qui va...