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Actualités - ANALYSE

Partenariat euro-mediterranéen : à la recherche d'un impossible équilibre

Toutes les réputations ne sont pas usurpées. Ainsi, le reproche souvent fait à la Commission européenne de vivre en vase clos, d’être coupée de la réalité, aveugle aux faits patents, d’être, selon le mot de Jacques Julliard, une technocratie sans âme, n’est sans doute pas entièrement infondé. Vingt-trois journalistes arabes (1), invités tous frais payés, ont eu l’occasion du 3 au 7 mars, à Bruxelles, de constater à quel point la situation et le devenir du Proche-Orient apparaissent différents selon qu’on les observe à partir du siège de l’Union européenne ou des Etats du Machrek.
Pendant cinq jours, les délégués de la Commission ou d’autres organismes de l’UE ont, sur un ton non dénué parfois de morgue, chapitré leurs hôtes dans la perspective de la prochaine conférence euro-méditerranéenne qui doit se tenir à Malte les 15 et 16 avril prochain, et dont l’un des objectifs est d’aboutir à un pacte de stabilité (VOIR AUSSI PAGE 8). L’idée motrice de tous les discours, à raison de 4 à 5 exposés-débat quotidiens, était la suivante: la première conférence euro-méditerranéenne (Barcelone, 27-28 novembre 1995) a jeté les bases d’un programme de partenariat visant trois objectifs:
l la création d’une zone commune de prospérité, de paix et de stabilité;
l la mise en place d’une zone de libre échange, accompagnée d’une augmentation substantielle de l’aide financière prodiguée par l’Union européenne;
l le développement des ressources humaines, l’approfondissement de l’entente entre cultures différentes et la promotion des échanges au niveau de la société civile.
Un peu comme Guizot qui, sous Louis-Philippe, conseillait aux Français de s’enrichir par le travail et l’épargne (2), l’UE invite aujourd’hui ses partenaires du Machrek à s’engager sur la voie du développement économique par une libéralisation à outrance (devant aboutir en 2010 à un démantèlement des barrières douanières dans le cadre de la globalisation mondiale) en faisant abstraction du contexte politique, national et militaire découlant du conflit arabo-israélien et de la politique d’expansion et d’hégémonie suivie par l’Etat hébreu, notamment depuis l’arrivée au pouvoir du Likoud.

Les affaires

«La première étape, a expliqué l’un des intervenants au nom de l’UE, consiste à assurer une plus grande coopération économique et commerciale entre l’Europe et chacun de ses partenaires. La suivante doit porter sur l’extension de ce processus aux relations entre les partenaires eux-mêmes».
Un autre intervenant devait être plus cynique et tranchant: «Nous développons les affaires. Nous ne pouvons nous soucier de rien d’autre!».
Il est bien entendu qu’il ne faut pas prendre des vessies pour des lanternes. Evitons donc de nous méprendre sur la démarche européenne. Faute d’être en mesure de disposer effectivement d’un fauteuil ou même d’un simple strapontin dans le processus politique mis en marche par les Etats-Unis à Madrid, l’Europe tente de se rattraper, de se ménager une place, à travers l’économique. Certes, l’UE a délégué un émissaire au Proche-Orient, l’ambassadeur Moratinos, mais elle ne manque pas une occasion de préciser que son rôle est complémentaire de celui de Washington et ses ambitions sur ce plan sont dès lors limitées.
En revanche, elle a le champ libre en matière économique et culturelle, d’où la conférence de Barcelone, les accords bilatéraux de partenariat et, bientôt, la conférence de La Valette.
La visite d’information à Bruxelles organisée à l’intention des journalistes du Machrek s’inscrivait dans le cadre de la préparation de la conférence de Malte, qui fera suite elle-même donc à celle de Barcelone. Les représentants de l’UE ont, dans leurs interventions, estimé que la région méditerranéenne s’acheminait inéluctablement vers l’instauration d’une économie de marché. Dès lors, ont-ils fait valoir, l’objectif du partenariat euro-méditerranéen est d’aider à l’avènement d’une prospérité générale dans cette région, ou, au moins, d’en améliorer sensiblement les conditions économiques.
Cet aspect du partenariat, c’est, si l’on veut, la carotte que l’on agite devant les Arabes du Machrek. Le bâton étant représenté par les pressions américaines et les menaces israéliennes.
Mais ce que l’Union européenne semble ne pas prendre en considération, ou du moins ce que ses représentants n’ont pas suffisamment mis en relief au cours de leurs exposés, c’est que la donne au Proche-Orient a complètement changé depuis Barcelone. Depuis l’avènement du Likoud en juin 96, Israël n’a cessé de fouler aux pieds les principes énoncés dans la déclaration de Barcelone, à laquelle il a pourtant adhéré (3). L’Union européenne appelle aujourd’hui ses partenaires du Machrek à aller de l’avant dans l’application du programme arrêté dans la capitale catalane, alors qu’Israël viole tous les jours au Liban-Sud et dans les territoires palestiniens l’esprit et la lettre de ce programme. Le discours tenu à Bruxelles sur l’utilité du dialogue, la nécessité pour les partenaires euro-méditerranéens de s’ouvrir les uns aux autres dans la perspective de créer une zone de libre échange relève des vœux pieux et méconnaît la réalité sur le terrain, le recours systématique d’Israël aux menaces et à la violence et le peu de cas qu’il fait des engagements qu’il a pris à Barcelone. Par souci de ne pas s’aliéner l’une des parties et d’éviter le risque d’une rupture du dialogue avec elles, l’UE se tient plus ou moins à équidistance d’Israël et de ses partenaires du Machrek. Elle apparaît ainsi timorée et elle risque, par pusillanimité, de condamner à l’échec ce qu’elle croit préserver.

Les colonies de peuplement

De surcroît, qui dit Likoud, dit multiplication des colonies de peuplement juif, ce qui est la négation même du processus mis en marche à Madrid et du programme de Barcelone qui n’est que l’une de ses retombées.
Comment Bruxelles espère-t-elle promouvoir la paix, la stabilité et le développement économique dans le Machrek alors qu’au Liban-Sud se poursuit une guerre d’usure du fait du maintien de l’occupation de cette région par l’Etat hébreu, que dans les territoires palestiniens la violence se déchaîne tous les jours, que l’Egypte et la Jordanie multiplient les mises en garde contre la politique suivie par Netanyahu et que la reprise des négociations de paix entre la Syrie et Israël demeure hypothétique?
Si rien n’est fait pour contraindre l’Etat hébreu à se conformer aux principes convenus à Madrid et à respecter les engagements qu’il a pris à Barcelone, il y a lieu de craindre que l’impasse dans le processus de paix se double d’une impasse dans au moins une partie du processus de Barcelone.
Comme le dieu Janus, le programme euro-méditerranéen est à deux faces. Il pourrait représenter pour les pays de ce côté-ci de la Méditerranée une chance formidable de s’engager sur la voie du développement économique, de la démocratie et de la stabilité. Mais il risque aussi, si Israël n’est pas remis en place au sens propre et figuré, de déboucher pour plusieurs peuples de la région, dont le peuple libanais, sur de nouvelles déceptions et frustrations, sources de nouveaux cycles de violence.

R.G.

(1) Représentant le Liban, la Jordanie, l’Egypte, les territoires palestiniens et la Syrie.
(2) Ce qui ne lui a pas épargné les journées de février.
(3) Au nombre de ces principes, le renoncement au recours à la force et aux menaces ainsi qu’à l’acquisition par la force de territoires.
Toutes les réputations ne sont pas usurpées. Ainsi, le reproche souvent fait à la Commission européenne de vivre en vase clos, d’être coupée de la réalité, aveugle aux faits patents, d’être, selon le mot de Jacques Julliard, une technocratie sans âme, n’est sans doute pas entièrement infondé. Vingt-trois journalistes arabes (1), invités tous frais payés, ont eu...