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Actualités - REPORTAGE

Les membres de l'armée rouge refusent de répondre aux questions des émissaires de Tokyo L'affaire japonaise en voie de règlement Satisfaction dans les milieux judiciaires où l'on juge evité le piège tendu au Liban (photos)

Les milieux judiciaires ne cachent pas leur satisfaction. Non seulement «l’affaire japonaise» est en voie de règlement — après des rebondissements souvent controversés — mais de plus, à leurs yeux, «le piège» tendu au Liban a été évité. Si, hier, dans une cohue et un rush sans précédent au Palais de justice, quatre diplomates japonais ont pu rencontrer les huit suspects «asiatiques» au bureau du procureur, dans une volonté évidente de la part du Liban de montrer son désir de coopération, il n’est toutefois pas question d’extrader les cinq membres présumés de l’Armée rouge.
Ainsi, «la bévue» — comme l’appellent certains — de la Sûreté de l’Etat aurait été réparée et la procédure judiciaire devra désormais suivre son cours. L’enquête préliminaire ayant été clôturée hier soir, le dossier sera transmis ce matin au procureur général près la Cour d’appel de Beyrouth, M. Abdallah Bitar, qui engagera probablement des poursuites contre les cinq membres présumés de l’Armée rouge (Kozo Okamoto, Haruo Wako, Mariko Yamamoto, Masao Adachi et Kazuo Tohira) entrés illicitement au Liban, à l’aide de faux passeports et de visas falsifiés, avec la complicité éventuelle de la Libanaise Oumayya Abboud. Quant aux trois autres Japonais arrêtés — Mme Siharada, qui s’occuperait de Kozo Okamoto, devenu pratiquement un handicapé physique et mental, et MM. Chamato et Morochima —, ils seraient tout à fait en règle aux yeux de la loi libanaise et par conséquent, ils pourraient être libérés dans le plus proche avenir.
C’est sur ces trois personnes que porterait donc le compromis, même si ce ne sont pas elles que sont venus chercher les Japonais...
Selon des sources libanaises informées, Chamato et Morochima pourraient bien être, en effet, des espions travaillant pour le compte des autorités nippones, envoyés au Liban pour identifier les membres de l’Armée rouge et faciliter leur arrestation. Ils pourraient donc être rendus à leurs supérieurs avec, en plus, «l’infirmière» d’Okamoto. Pour les autres, il faudra attendre la fin de la procédure judiciaire et c’est à ce moment seulement que la demande d’extradition, si elle est présentée, pourra être examinée par les autorités libanaises. Mais que s’est-il passé hier au Palais de justice?

Les visiteurs
de l’aube

C’est à 5 heures du matin, alors que le jour n’est pas encore levé, que les huit suspects japonais arrivent au Palais de justice sous la garde de plusieurs dizaines d’éléments de la Sûreté de l’Etat. D’impressionnantes mesures de sécurité sont prises dans tout le périmètre et les huit suspects sont aussitôt installés dans deux salles du troisième étage. Ils sont divisés en deux groupes, sévèrement gardés. Et pour eux, la longue attente commence. Les premiers alertés — comme d’habitude — sont les journalistes japonais qui débarquent en masse, dans l’espoir d’apercevoir leurs compatriotes arrêtés. Le troisième étage — où se trouvent les bureaux des magistrats du parquet — est aussitôt pris d’assaut par une nuée de journalistes nippons bardés de caméras et de magnétophones et accompagnés de leurs interprètes. Pour les fonctionnaires, habitués à une calme routine, c’est une véritable «invasion jaune», et c’est à qui essayera de sauver sa chaise ou sa bouteille d’eau. Les journalistes libanais tentent de suivre le mouvement, mais les Japonais ne leur laissent pas beaucoup de place. C’est à peine s’ils parviennent à se faufiler entre deux caméras. Plusieurs incidents éclatent d’ailleurs, les Japonais grimpant sur les tables, déplaçant les chaises et brisant parfois au passage des lampes...
Au fil des heures, l’impatience monte. M. Addoum étant retenu dans le bureau du ministre de la Justice par une réunion avec une délégation américaine, accompagnée de l’ambassadeur Richard Jones, les journalistes japonais se sentent un peu floués. Mais vers midi, les couloirs du troisième étage sont envahis par les éléments de la Sûreté de l’Etat qui veulent éloigner tout ce qui porte crayon ou caméra. La délégation japonaise, formée de quatre diplomates — dont aucun responsable de sécurité, précise M. Addoum —, arrive sur les lieux pour s’entretenir avec les suspects. La confrontation a lieu dans le bureau du procureur général. Les suspects sont divisés en groupes de deux, et chaque groupe est interrogé par un diplomate en présence d’un membre du parquet et d’un interprète. Dès le départ, le procureur général exige que toutes les conversations soient menées en anglais et il interdit les questions tournant autour de l’enquête en cours.

Une confrontation
d’une demi-heure

La confrontation dure près d’une demi-heure. Selon des sources judiciaires, elle commence par une vérification d’identité, les diplomates demandant aux suspects s’ils sont bien X ou Y... Les mêmes sources précisent justement que les membres présumés de l’Armée rouge nient l’identité qui leur est attribuée, refusant de répondre à la plupart des questions, notamment celle portant sur le désir de transmettre un message à leurs familles au Japon. Par contre, les trois autres, ceux qui ne détiennent que des passeports japonais avec des visas en règle, répondent à l’appel de leur nom.
Et Kozo Okamoto?
Jusqu’à maintenant, aucun officiel libanais n’a confirmé sa présence parmi les suspects, mais officieusement, on laisse entendre qu’il est dans un tel état de délabrement mental qu’il est incapable de répondre à une question.
L’entrevue terminée, la délégation diplomatique quitte le Palais de justice, suivie de près par les agents de la Sûreté de l’Etat qui ramènent les suspects vers leur geôle. En autorisant cette confrontation, les autorités libanaises ont voulu montrer leur désir de coopération et leur respect des droits des citoyens étrangers. Mais maintenant, selon les sources judiciaires, la procédure doit suivre son cours. L’enquête préliminaire ayant été achevée, les cinq suspects détenteurs de fausses pièces d’identité seront déférés dès aujourd’hui devant le parquet de la Cour d’appel de Beyrouth qui décidera d’engager des poursuites contre eux et transmettra leur dossier au juge d’instruction. Les sources judiciaires précisent que la Libanaise Oumayya Abboud pourrait être accusée d’avoir facilité le séjour illicite de ces 5 personnes au Liban et par conséquent, elle pourrait être poursuivie pour complicité dans la falsification. Ce qui est somme toute un délit mineur et si son avocat présente une demande de remise en liberté sous caution, le juge pourrait facilement y donner une suite favorable. Par contre, les 5 membres présumés de l’Armée rouge sont passibles d’une peine d’au moins trois ans. Et tant qu’ils n’auront pas purgé leur peine, aucune demande d’extradition ne pourra être examinée. Les autorités japonaises devront donc, en principe, prendre leur mal en patience.

Les conditions de
l’extradition

Si les suspects sont jugés et condamnés, et une fois leur peine purgée, l’Etat nippon pourra envoyer à l’Etat libanais un dossier d’extradition expliquant les cas des personnes demandées et les crimes dont elles sont accusées et comprenant une copie des mandats d’arrêt émis contre elles. Comme il n’y a pas de traité d’extradition entre le Liban et le Japon, les dispositions des articles du Code pénal traitant de l’extradition devront être appliquées. Or, l’article 35 de ce code précise qu’on ne peut extrader une personne poursuivie dans son pays pour un crime politique... De toute façon, le dossier sera remis au procureur général près la Cour de cassation, qui verra si les conditions de l’extradition sont réunies. Le procureur remettra ensuite son rapport au ministre de la Justice et la décision finale sera prise par un décret du gouvernement. Mais de toute façon, il semble un peu prématuré d’évoquer ces questions. Pour l’instant, tous les regards sont tournés vers le procureur général près la Cour d’appel de Beyrouth, M. Abdallah Bitar, qui devrait recevoir le dossier des Japonais ce matin.
S’il décide, comme prévu, d’engager des poursuites contre les 5 membres présumés de l’Armée rouge entrés illicitement au Liban, ceux-ci pourront désigner des avocats, qui pourront alors les rencontrer régulièrement. Mais ces 5 personnes ne sont-elles pas venues de Syrie? Des sources sécuritaires qui ont suivi l’enquête affirment que les 5 Japonais détenteurs de faux papiers sont installés au Liban depuis dix ans. Pourquoi, dans ce cas, ont-elles été arrêtées il y a 16 jours seulement?

Un scénario délirant

C’est là que commence le scénario digne d’un metteur en scène à l’imagination délirante. Selon ce scénario, le chef de la section d’information au sein de la Sûreté de l’Etat aurait été convaincu par les autorités japonaises — qu’il aurait rencontrées au cours d’une mission récente au Japon — d’arrêter les 5 membres de l’Armée rouge. Mais comme il n’était pas sûr de pouvoir les identifier, il aurait été aidé par les deux espions présumés envoyés au Liban par Tokyo.
L’officier aurait-il été convaincu que ces hommes avaient trempé dans l’attaque contre le minibus syrien à Tabarja, en décembre dernier, et aurait-il voulu ainsi les arrêter croyant faire d’une pierre deux coups? Pour l’instant, ce ne sont encore que des supputations. Toujours est-il que la Sûreté de l’Etat a arrêté les huit Japonais (on se demande d’ailleurs justement pourquoi les trois personnes aux papiers en règle ont fait partie du lot). Les autorités syriennes ayant vivement réagi à cette arrestation, qui, à leurs yeux, intervient à une période de dures pressions internationales pour une éventuelle reprise des négociations de paix, les responsables libanais ont aussitôt voulu sortir de ce mauvais pas. Ils se sont mis à faire des déclarations fantaisistes et contradictoires, essayant de nier la présence de détenus japonais. Mais les délégations japonaises successives n’ont pas cru un seul mot de ces dénégations, fortes apparemment des révélations fournies par leurs propres espions.
C’est alors que la loi libanaise est venue au secours des responsables libanais, leur assurant une issue honorable. Ce scénario n’a pas encore été confirmé. Il ne le sera probablement jamais, mais dans les coulisses politiques, on en parle de plus en plus.
Quelle sera toutefois la réaction des autorités nippones à l’issue trouvée dans la loi libanaise, qui les privera, au moins pour quelque temps, de l’extradition des 5 membres de l’Armée rouge, à un moment où elles ont besoin d’un coup d’éclat pour faire oublier la prise d’otages de Lima? «C’est la loi libanaise et nous sommes obligés de l’appliquer», répond une source informée.
Et si les Japonais décident de ne plus accorder d’aides au Liban? «Ce serait bien dommage, mais nous ne pouvons pas contourner la loi», précise encore la source, qui affirme toutefois que pour l’instant, les Américains n’ont jamais évoqué la question des membres de l’Armée rouge avec les Libanais. La source est convaincue qu’il ne s’agit que d’une revendication japonaise. Mais de toute façon, pour l’instant, ce qui compte pour elle, c’est que le «piège» tendu au Liban a été évité. Jusqu’à quand et à quel prix? C’est la question à laquelle il n’y a pas encore de réponse.

Scarlett HADDAD
Les milieux judiciaires ne cachent pas leur satisfaction. Non seulement «l’affaire japonaise» est en voie de règlement — après des rebondissements souvent controversés — mais de plus, à leurs yeux, «le piège» tendu au Liban a été évité. Si, hier, dans une cohue et un rush sans précédent au Palais de justice, quatre diplomates japonais ont pu rencontrer les huit...