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Actualités - ANALYSE

Un plan vert pour Beyrouth menacé par sa ... reconstruction

Beyrouth est encore une fois en danger. Cette fois-ci, ce ne sont plus les destructions occasionnées par la guerre qui menacent la ville, c’est au contraire sa reconstruction. Tirant à son tour la sonnette d’alarme, un sociologue libanais installé à Paris, Nabil Beyhum, estime que le caractère libanais et méditerranéen de la capitale, avec ses grands îlots, ses jardins, ses escaliers extérieurs, ses terrasses, ses grandes demeures, ses rues à l’échelle humaine, disparaît progressivement au profit d’un aménagement banal. Le débat engendré par les projets de reconstruction n’est certes pas nouveau, mais M. Beyhum, enseignant à Paris-La Seine, ne se contente pas de fustiger les promoteurs du Beyrouth affairiste. Dans un article publié dans un numéro récent du bimestriel Urbanisme, il propose un plan vert qui permettrait à la ville d’améliorer son image avec un coût relativement restreint.
«On peut construire partout, dans la région métropolitaine de Beyrouth, avec des densités importantes et des règles peu contraignantes. Seuls le bois des Pins et l’hippodrome font exception. La guerre a ravagé la ville, et renforcé la tendance visant à mettre entre parenthèses les règlements d’urbanisme. Aucune règle concernant la volumétrie, la protection des espaces verts, l’obligation de planter n’est très précise, et cette «souplesse» participe au désordre ambiant», observe M. Beyhum.
Selon lui, «la reconstruction actuelle du centre-ville semble ignorer à la fois la totalité de l’espace urbain et tout projet cohérent de réaménagement des espaces publics de la ville. Certes, la plupart des projets tiennent compte d’aménagements ponctuels d’espaces verts, mais seul l’avenir nous dira si la logique de la spéculation les retiendra ou les jettera aux oubliettes», souligne-t-il.

Les espaces verts

«A Beyrouth on dénombre, en tout et pour tout, huit espaces verts publics (squares et parcs) et vingt-cinq surfaces plantées qui bordent les routes pour quatre cent mille habitants. Ces chiffres nous donnent une moyenne inférieure à un mètre carré de verdure par personne, et les résultats concernant la banlieue sont encore plus alarmants. Le bois des Pins s’étend sur trente hectares, depuis les coteaux d’Achrafieh jusqu’au quartier de Chatila, et représente à lui seul les trois quarts des parcs et jardins de la ville. Pendant les combats, ce «poumon vert» de la capitale a été volontairement détruit afin de permettre l’avancée des troupes. Sa récente réhabilitation a été possible grâce à un financement du conseil régional d’île-de-France, mais son espace environnant est menacé par la construction anarchique d’immeubles. Les autres jardins-Arts et Métiers, Basta, Sioufi, Mousseitbé par exemple — mériteraient une réhabilitation plus importante et, entre eux, de meilleures liaisons. Si les espaces verts publics sont rares, de nombreux autres jardins, mixtes ou institutionnels, le plus souvent fermés au public, impriment à la ville un caractère particulier, poursuit le sociologue.
«Le parc de l’université américaine, le plus vaste espace vert de Beyrouth-Ouest, offre des vues splendides sur la mer et la montagne. Cet ensemble paysager de grande qualité, au milieu duquel sont disposés des bâtiments universitaires, est malheureusement réservé aux usagers de l’université. Il en est de même pour les jardins de l’ambassade de France, de la résidence des Pins, et pour le jardin botanique de l’université Saint-Joseph», note-t-il.
«Les jardins particuliers, parfois très vastes, qui entourent les vieilles demeures libanaises (actuellement moins de quatre mille) sont eux aussi menacés par les fortes transformations urbaines en cours. Ce sont les principaux espaces verts disponibles de la zone centrale de Beyrouth; ils sont indispensables à la ville et leur protection devrait être une priorité de la politique municipale. L’octroi de subventions pourrait favoriser la plantation d’arbres sur les terrains suffisamment grands (plus de deux cents mètres carrés). La municipalité pourrait aussi contraindre les propriétaires à protéger leurs plantations, en instituant une autorisation préalable à l’abattage des arbres et en imposant, dans les règles d’urbanisme, la plantation d’arbres de haute tige. Enfin, il faudrait mettre en place un classement et une protection forte de ces propriétés pour éviter leur disparition. Par exemple, on pourrait interdire de construire dans les jardins des vieilles demeures libanaises en échange de compensations».
«Par ailleurs, des campagnes publicitaires de sensibilisation du public et des élèves des écoles sur la nécessité de planter des arbres et de les entretenir pourraient être menées», propose-t-il.
«Il ne faut pas oublier les cimetières. Ils offrent, en effet, arbres et verdure à la ville dans son secteur le plus dense. Leur protection et leur aménagement sont nécessaires. Or, les cimetières de la rue de Damas, installés sur les coteaux ouest d’Achrafieh, sont menacés par le percement du boulevard Georges-Haddad, qui les traversera afin de relier le palais de justice au centre-ville; le cimetière de Bachoura représente un havre de verdure à la limite du centre-ville, mais il n’est pas entretenu; enfin, le cimetière de Chatila installé sous la pinède résiduelle des Pins, souffrira de l’aménagement de la rocade nord reliant le rond-point de Chatila à Cola. L’amélioration du cadre de vie dépend aussi des actions entreprises dans les quartiers. Cela pourrait se traduire par de nouvelles installations sportives et la création d’une vingtaine de squares équipés de jeux pour les enfants sur des emplacements tels les terrains de la prison de Sanayeh ou ceux de Tarik Jadidé».

Le front de mer

«La corniche de Beyrouth et ses aménagements le long du boulevard offrent une grande promenade, la seule de la ville. Le manque d’entretien et les bombardements ont dégradé ce vaste espace public. Les rochers situés en contrebas de cette avenue sont souvent jonchés de détritus. Le manque d’escaliers permettant l’accès à la mer contraint le public à des cheminements parfois dangereux. L’ancien port de pêche est en partie couvert par un boulevard et bordé par des tours et une marina modernes», constate M. Beyhum.
«De même, le cap de Beyrouth, avec ses landes rocheuses et quelques vieilles demeures, perd de son caractère. Les grands immeubles de luxe qui s’implantent et le projet de Centre de congrès international cassent l’échelle du quartier. Les rochers de Raouché donnant sur le célèbre rocher aux Pigeons sont de plus en plus couverts de bâtiments qui bloquent la vue vers le large. Quant à la plage publique de Ramlet el Beïda, la plus grande de Beyrouth, les détritus la recouvrent régulièrement et une décharge la borde...», déplore-t-il.
«Le projet de remblayer une soixantaine d’hectares du centre-ville permettrait de réaménager le front de mer du cœur de la métropole. Les objectifs du schéma directeur régional donnaient la priorité à la création de jardins sur cet emplacement. Le plan directeur pour la reconstruction du centre-ville ne reprend que partiellement cette idée, en plaçant un espace vert de huit hectares face au porte de plaisance de la baie du Saint-Georges. Mais, pour le moment, il ne s’agit que d’une zone de décharge, dont la dépollution nécessitera des années. L’extension du port avec ses futurs quatrième et cinquième bassins ne prévoit aucune ouverture au public, comme une promenade sur la jetée. La Quarantaine, zone très abîmée par la guerre, fait l’objet d’un projet de réaménagements dans le quel les espaces verts et les espaces publics ne sont malheureusement pas pris en compte», ajoute-t-il.

Une image internationale

Selon M. Beyhum, «le stade de cinquante mille places de la nouvelle Cité Sportive devrait redonner à Beyrouth sa dimension régionale et internationale en matière sportive. Ces aménagements fourniront un cadre de qualité bien qu’inadapté aux besoins des quartiers environnants. En revanche, l’hippodrome, vingt hectares situés sur l’ancienne ligne de combats faisant partie de la seule zone inconstructible de Beyrouth, est sous-utilisé alors qu’il pourrait accueillir des équipements sportives diversifiés si l’on envisageait de le déplacer, par exemple dans la plaine de Hadeth. Les courses ont lieu une fois par semaine, et ses dimensions sont trop courtes pour permettre des manifestations équestres d’échelle internationale», selon lui.
«Une utilisation plus rationnelle des équipements existants est souhaitable, mais elle ne suffira pas à satisfaire les besoins de la population. Il faudra donc aménager de nouveaux terrains de sport. Les grands boulevards et avenues de Beyrouth donnent souvent l’impression d’espaces linéaires peu aménagés. Les variations dans les règlements d’urbanisme ont amené des désordres dans les volumétries des constructions. Les alignements d’arbres le long des boulevards sont assez rares, sinon sporadiques, faute d’une véritable politique de plantation et de verdissement de la capitale. Pourtant, ces plantations permettraient de redonner davantage de cohérence à la ligne générale des grandes voies de circulation, et de relier les espaces verts entre eux tout en créant une ambiance urbaine mieux adaptée au climat de la ville et à l’échelle de l’homme. A cet égard, Tripoli et, depuis peu, Saïda, disposent d’une armature verte beaucoup plus importante le long de leurs grandes artères. Quant aux places publiques, elles sont généralement organisées pour faciliter le passage des voitures, les piétons disposant de trottoirs dans les espaces résiduels. Leur aménagement permettrait de valoriser l’image de la ville. Les destructions dues à la guerre ont dégagé de grands espaces sur le site historique du col de Beyrouth (place Béchara el-Khoury). Ce lieu de passage obligé, pour les anciens voyageurs en provenance de Damas et de Saïda, est celui par lequel ils découvraient la dépression géographique du Beyrouth historique. C’est donc ici que se trouve la limite naturelle du centre historique de Beyrouth. L’aménagement d’un vaste square marquant le col entre Achrafieh et Basta aurait une valeur symbolique forte. A Cola et à Barbir, des aménagements de grandes places minérales qui accueilleraient des marchés sous les arbres pourraient être envisagés. La place du Musée national, la place Debbas, la place Sassine sont autant de places qui peuvent être améliorées. La place des Martyrs, avec son ouverture sur le premier bassin du port, favorisera la liaison entre la ville et la mer. Les nombreux espaces non construits existants — souvent à des lieux stratégique (carrefours, axes visuels...) — et le climat libanais — avec plus de cinq mois de chaleur par an — devraient impliquer une politique volontariste et systématique de plantation d’arbres sur les espaces publics. L’installation de fontaines ou de sculptures participeraient également à l’amélioration de l’image de Beyrouth», écrit M. Beyhum.

Les moyens juridiques

«Si les moyens financiers de la municipalité sont réduits, les moyens juridiques sont importants. En effet, Beyrouth maîtrise la réglementation d’urbanisme de son territoire. Elle peut donc imposer des règles et des obligations sur tous les aménagements de sa commune. Par ailleurs, des financements croisés entre les différents niveaux de service public, ou entre le secteur public et le secteur privé sont autant de façon de multiplier les capacités d’action de la municipalité», souligne-t-il.
«Les opérations sur les espaces verts sont une façon de valoriser Beyrouth, avec des finances relativement réduites, en s’appuyant sur les actions des particuliers (règlements d’urbanisme) et des aménageurs des grandes opérations (Solidere, Elyssar...), en trouvant des bailleurs de fonds pour des projets phares (le jardin botanique du Liban peut notamment compter sur l’Association mondiale des jardins botaniques et sur des contributions volontaires...)», note-t-il.
«Les aménagements réalisés par l’Etat (infrastructures, grands équipements) sont autant d’occasions d’exiger des aménagements paysagers financés par l’Etat. Dans un contexte de forte concurrence entre les métropoles régionales, Beyrouth peut se distinguer de ses voisines en offrant un cadre de vie de meilleure qualité. Le développement du tourisme, la venue d’une population très qualifiée, l’implantation d’entreprises étrangères en dépendent. D’autre part, la qualité de la vie des habitants devrait être une préoccupation permanente des autorités», avertit M. Beyhum.
«Le long processus de réappropriation de l’espace par les citadins, qui en ont été dépossédés par seize années de guerre et cinq années de «reconstruction» assez sauvage et surtout ponctuelle, passe par un plan paysage de réaménagement des espaces publics. Certaines autorités en ont conscience.Des comités de citadins s’organisent, mais leurs capacités demeurent réduites dans une ville où la reconstruction semble souvent se limiter à la spéculation immobilière. Un grand débat sur ce sujet est en préparation. Il pourrait aider à modifier les logiques qui dominent la ville, puisqu’il ne peut que remettre le souci du bien-être des habitants au cœur des plans d’aménagement», conclut-il.
Beyrouth est encore une fois en danger. Cette fois-ci, ce ne sont plus les destructions occasionnées par la guerre qui menacent la ville, c’est au contraire sa reconstruction. Tirant à son tour la sonnette d’alarme, un sociologue libanais installé à Paris, Nabil Beyhum, estime que le caractère libanais et méditerranéen de la capitale, avec ses grands îlots, ses jardins, ses...