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Actualités - REPORTAGE

Profession : producteur de spectacles Nagi Baz : des risques, des tracasseries... mais tout pour la musique (photo)

Producteur de spectacles, Nagi Baz soutient que son métier a un côté «un peu politique. Parce qu’aujourd’hui rassembler plus de 15.000 personnes pour écouter de la musique occidentale, c’est aussi une façon d’affirmer une identité pluriculturelle». Des propos qui n’étonnent pas lorsqu’on sait que la production de spectacle est une activité qui reste soumise, au Liban, aux aléas de la petite politique. Et aux tracasseries des bureaucrates...
Le parcours «initiatique» de cette dynamo du show-biz est impressionnant. Installé à Paris, Nagi Baz fait l’Institut d’études politiques puis rejoint Publicis, rayon direction commerciale, avant de devenir directeur chez Polydor. De 1990 à 1993 il est donc à la tête de la plus grosse maison de disques en France. Ce qui lui permet de frayer avec des artistes du calibre de Sting, James Brown, Brian Adams, Mylène Farmer, Eddy Mitchel, les Bee Gees, MC Solar...
En 1993, Nagi décide de retourner avec sa femme et son fils au pays. Là, il constate que le niveau des «spectacles servis aux Libanais est médiocre». Il compare d’ailleurs les chanteurs qui se sont produits ces dernières années au Liban à «des fins de séries culturelles, à part quelques exceptions». Mais explique qu’une certaine nostalgie d’avant guerre est sans doute à la base de cet engouement du public pour les artistes dont l’heure de gloire — et les tubes — remontent souvent aux seventies... «Les années 80 qui ont été des années charnières au niveau du rap, de la house, du new wave, de la techno n’ont pas été pleinement vécues au Liban à cause de la guerre», indique-t-il. «Pour comprendre la musique des années 90, on ne peut pas faire l’impasse sur celle des années 80. Au Liban, il y a eu rupture. Il faut donc un certain temps pour que les jeunes se reconstituent en clans au niveau musical».
Nonobstant ce retard musical, Baz critique «ce complexe d’infériorité qui empêche les Libanais de relancer les grosses vedettes. Alors qu’il n’y a aucune raison pour qu’elles ne viennent pas au Liban, si on leur paie le cachet demandé et si on leur assure sécurité et confort. Evidemment, la paranoïa américaine (allusion à l’embargo U.S. frappant ce pays) rend les choses difficiles et empêche la venue de la moitié des stars mondiales. En fait, poursuit-il, tout dépend de la personne à qui on s’adresse. Vous appelez un Français, il vous répond avec bienveillance. Avec un Anglais, cela va de la curiosité bienveillante au scepticisme. Alors qu’avec un Américain, cela se limite au scepticisme. Vous insistez, il fait un infarctus...»

Censure

Nagi Baz fonde donc à Beyrouth «Buzz Production» et entame une carrière de producteur de spectacles par un concert de Chris de Burgh (une ancienne connaissance de chez Polydor) qu’il amène au Liban en 1994. «Je l’appelle, je lui fais une offre. Il accepte. Tout baigne. On prépare sa venue. On vend les billets. Je me rends à la Sûreté générale pour retirer son visa. Et là, surprise, on me dit que ce monsieur ne peut pas mettre les pieds ici parce qu’il a écrit une chanson intitulée... «Jérusalem». Une chanson qui parle en fait de croisades! C’est grâce aux interventions de trois ministres (Michel Eddé, Farès Boueiz et Adel Cortas) et après examen de la question en conseil des ministres qu’on nous délivre enfin le visa à la veille de l’arrivée de l’artiste».
Une mésaventure qui ne le décourage pas pour autant puisque l’année suivante, il réunit au Mont La Salle, six groupes internationaux (pop dance) dans un premier «Beat Machine» (Dr. Alban; Red Nex; Culture Beat…). Suivi, en mars 96, «quinze jours avant l’opération israélienne d’avril», d’un second «Beat Machine» au Forum de Beyrouth — «encore en construction» — avec entre autres «Los del Rio’s», «No Mercy»; «Chaggy»; et encore «Red Nex»…
En août de la même année, il produit le plus grand groupe anglais du moment, les «East Seventeen». «Ça a malheureusement coïncidé avec les élections législatives du Mont-Liban. Ce qui fait qu’au lieu des 15.000 personnes prévues il n’y a eu que 7000».
Enfin, le concert des «Scorpions» — accompagné d’un tournage de clip — en novembre dernier a été un véritable succès. «Un gros enjeu», souligne Nagi Baz. «Le seul transport des dix-neuf tonnes de matériel a nécessité plus d’une cinquantaine de manutentionnaires. Plus une centaine de techniciens, 25 personnes pour l’encadrement, cent agents de sécurité…».

Difficultés

Etre producteur de spectacles, ce n’est pas vivre dans un monde de paillettes. Les difficultés foisonnent et s’accompagnent de stress. Nagi Baz avoue passer régulièrement des nuits blanches. «La production de spectacle se divise en quatre étapes», dit-il. «Il y a d’abord le travail d’approche, les négociations avec l’artiste, les conditions de sa venue: date, lieu, cachet... ensuite la conclusion du contrat avant de passer à la pré-production. Il s’agit alors de mettre sur pied les conditions techniques exigées par la vedette (qui en fait part par écrit dans une espèce de cahier de charges). Cela va de la réservation des chambres d’hôtel, au menu quotidien souhaité, en passant par le transport du matériel, la sécurité…» Nagi Baz relève à ce sujet que les fameux caprices des stars sont inversement proportionnels à leur importance. «Plus un artiste est important plus il est simple. Plus il est éphémère plus «il se la joue», parce qu’il est le premier à savoir qu’il ne fera qu’une saison». Dernière phase et point culminant du stress: la production, qui commence à partir de l’atterrissage et de l’accueil et qui se termine avec la fin du concert. «Avant une arrivée d’artiste je ne dors plus», dit Nagi. «Je passe la nuit entière près du téléphone avec la trouille qu’on ne m’annonce une annulation de dernière minute. J’ai déjà vécu cette situation lorsque le groupe «Too Unlimited» a annulé son arrivée le jour même du concert. Et je peux dire que c’est le cauchemar du producteur. Car même si on est assuré contre ce genre d’incident, il n’en reste pas moins que nous risquons de passer pour menteurs aux yeux du public».
Parmi les autres problèmes qui se posent au producteur, il y en a qui sont inhérents à ce métier et d’autres spécifiques au Liban. «Dans la première catégorie, à part donc l’annulation de dernière minute, il y a le risque de tomber sur des managers véreux, les mauvaises prévisions côté présence du public… Quant aux problèmes exclusivement liés au pays, ils sont nombreux. Il s’agit en premier lieu de la difficulté à convaincre un groupe de venir au Liban, vu que les images de guerre restent encore très fortes. Ensuite, il y a le puritanisme ambiant qui empêche de prendre contact avec Madonna par exemple. Les tabous également, comme cette ridicule histoire de «groupe satanique» qui pousserait les adolescents au suicide. Il y a l’exemple de Chris de Burgh (cité plus haut). Sans oublier l’interdiction faite à tout titulaire d’un passeport portant un tampon israélien d’entrer au Liban. Et enfin, le blocus américain…» La totale, quoi!
Mais, en contrepartie de ces désagréments, il reste quand même au producteur quelques satisfactions. Dont la plus valorisante est «de contribuer à replacer le Liban sur la carte des concerts internationaux». Et, sur un plan plus «affectif», «le plaisir de voir les visages heureux des milliers de gens à la fin d’un spectacle comme aussi de recevoir les remerciements de personnes anonymes»…

Zéna ZALZAL
Producteur de spectacles, Nagi Baz soutient que son métier a un côté «un peu politique. Parce qu’aujourd’hui rassembler plus de 15.000 personnes pour écouter de la musique occidentale, c’est aussi une façon d’affirmer une identité pluriculturelle». Des propos qui n’étonnent pas lorsqu’on sait que la production de spectacle est une activité qui reste soumise, au...