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Actualités - ANALYSE

La décentralisation , un plan en butte à de nombreux obstacles

Le projet de décentralisation administrative élaboré par le ministre de l’Intérieur M. Michel Murr — pour répondre aux recommandations des accords de Taëf — est en butte actuellement à deux sortes d’attaques: certains tentent de le faire mettre en hibernation; d’autres d’y apporter de sensibles modifications...
Dans les deux cas le but est d’éviter que le pouvoir central ne perde trop de son emprise sur la province qui souffre d’un retard certain de développement, en grande partie à cause du fait que sa population n’est pas en mesure de gérer directement ses besoins comme ses problèmes. Il va donc y avoir à cette fin des assemblées de mohafazats et des fédérations de municipalités.
A Taëf, les participants étaient convenus d’initier, parmi les réformes considérées comme nécessaires, une décentralisation administrative qui ne serait pas en contradiction avec le principe fondamental d’un Etat solidement uni, doté d’un fort pouvoir politique central. Les législateurs avaient précisé que le programme devrait se fonder sur les éléments suivants:
— Renforcement des prérogatives des mohafez comme des caïmacams.
— Installation d’une antenne pour tout service public dans chaque région administrative, pour que les résidents puissent y accomplir toute formalité sans devoir se rendre à Beyrouth.
— Redécoupage de ces zones administratives dans un sens cultivant tout à la fois le brassage, la coexistence des populations ainsi que l’unité des institutions.
— Mise en place d’assemblées de cazas placées sous l’égide des caïmacams.
— Elaboration d’un plan de développement global pour l’essor socio-économique de la province.
— Regroupement des municipalités en fédérations pour en renforcer l’utilité, les moyens, l’efficacité et les ressources.
A l’époque, l’un des objectifs politiques de cette proposition de décentralisation administrative était de réfuter les arguments des seigneurs de guerre séparatistes qui soutenaient qu’on devait autonomiser les régions — voire en faire des cantons libres, chrétiens ou musulmans — pour en permettre le développement pluraliste. Auparavant à Genève et à Lausanne, nombre de parties, notamment chrétiennes, avaient insisté dans leurs propositions sur l’identité du Liban et sur les réformes politiques, économiques, administratives, confessionnelles et sociales qu’il faudrait y opérer. Certaines associations avaient même souligné qu’il faudrait créer un Etat fédéral, pour répondre à la nature bipolaire d’un pays où se côtoient deux collectivités culturelles distinctes. Les partisans de cette thèse connue se défendaient en citant les exemples de nations confédérées composites comme la Suisse, la Belgique, l’Autriche, le Canada et les Etats-Unis qui permettent à chacune de leurs composantes de préserver ses spécificités, du reste enrichissantes pour les autres, à l’ombre d’un même drapeau national. Pour les avocats du fédéralisme présents à Taëf, directement ou indirectement, il fallait également prendre garde au danger d’une abolition du confessionnalisme qui se ferait uniquement dans les textes et non dans la réalité, brisant des équilibres nécessaires à la survie politique même de l’entité libanaise.
C’était donc surtout afin de neutraliser ces courants d’opinion considérés comme potentiellement dangereux pour l’union du pays, qu’on avait répondu par le projet de décentralisation administrative qui, aux côtés du maintien «provisoire» du confessionnalisme politique, devrait suffire pour que régions et communautés puissent faire valoir leurs spécificités.
Aujourd’hui ce volet politique paraît obsolète ou du moins hors d’actualité jusqu’à nouvel ordre. Les déséquilibres sont consommés, mais la décentralisation administrative n’en semble que plus nécessaire encore car elle rejoint le seul domaine où elle a vraiment de l’importance: le service public bien compris et le développement économique des régions. C’est ce que soulignaient déjà les documents de travail qui réclamaient une déconcentration des pouvoirs et dont on peut citer: les dix constantes de la Rencontre islamique; le mémoire de Saëb Salam; le manifeste du Bloc des députés arméniens; le programme commun présenté par MM. Adel Osseirane, Saëb Salam, Rachid Karamé, Nabih Berry et Walid Joumblatt.

Réticences

Cependant nombre d’officiels freinent des quatre fers et développent au sujet de la décentralisation administrative les contre-arguments suivants:
— On ne voit pas l’utilité d’une assemblée du mohafazat élue, en sus des conseils municipaux comme de ministres de l’Intérieur, des Municipalités, des mohafez et des caïmacams. Il y aurait en effet alors confusion accrue au sujet des attributions comme des projets, qui en seraient retardés ou perturbés, ce qui entraverait le développement voulu.
— Si on ne veut absolument pas s’en passer, alors il faudrait que ces assemblées de mohafazat soient non pas élues mais désignées par l’autorité centrale qui, en les gardant de la sorte sous son contrôle, abrégerait les étapes. (Il convient d’ailleurs de rappeler sur ce point que le projet même de M. Murr prévoit qu’un membre sur trois serait désigné par le gouvernement, sous prétexte qu’il faut laisser une place à l’élite qualifiée...).
— Une décentralisation élargie serait d’un prix trop coûteux. Il faudrait en effet alors prévoir une force spéciale de l’armée et des FSI pour chaque mohafazat en tant que tel, détacher un surcroît de juges et installer une infinité de services administratifs, leur acheter ou louer pour leur compte des locaux dans les régions.
— En concédant à chaque mohafazat des pouvoirs élargis on en fait implicitement un mini-Etat, un canton autonome et un jour ils réclameront leur indépendance, comme cela s’est vu dans l’ex-Yougoslavie ou actuellement au Canada et à un moindre degré en Belgique.
— Dès lors il vaudrait mieux ramener de 24 à 12 le nombre d’unités administratives envisagées, soit une seule pour deux cazas. Cela permettrait de réduire les dépenses et d’utiliser plus économiquement les équipements.
— En se référant aux accords de Taëf, on trouve qu’ils ne recommandent ni de faire du caza un mohafazat, ni de supprimer la fonction de caïmacam, mais de renforcer les prérogatives de ce dernier comme du mohafez. En procédant à une véritable dislocation administrative, on ne peut qu’ouvrir la voie à des problèmes d’empiètements entre les administrations diverses, le mohafez, l’assemblée du mohafazat, le caïmacam et les municipalités. De plus il est difficile d’harmoniser un plan global de développement et de pédagogie entre 24 unités administratives au titre ronflant de mohafazats.
— S’il s’agit de faciliter les choses pour les citoyens, on peut le faire en gardant le système actuel, à condition d’élargir les pouvoirs du couple mohafez-caïmacam et d’informatiser les services, les formalités (qui doivent du reste être simplifiées) pouvant alors être accomplies au chef-lieu du département, après approbation du terminal computer de Beyrouth.
Toujours est-il que pour sa part, et selon ses visiteurs (dont M. Auguste Bakhos), le ministre de l’Intérieur M. Michel Murr est contre tout atermoiement et contre toute retouche en profondeur. Il affirme qu’il y tient pour des raisons socio-économiques qui n’ont rien d’électoral. En adoptant le caza comme plate-forme administrative, M. Murr veut promouvoir des projets de développement pointus et en même temps permettre aux citoyens d’accomplir au moins 80% de leurs formalités sans être obligés de se rendre dans la capitale. Selon le ministre le plan ne prend sa réelle valeur que par la dynamisation des municipalités et de leurs fédérations. Il souligne enfin que ce sont uniquement des critères géographiques naturels, comme les vallées entre les montagnes ou entre les rivières, qui ont commandé le redécoupage des cazas et leur multiplication. Quant à l’utilité d’une assemblée du mohafazat, elle saute aux yeux quand on considère, entre autres exemples, les projets de traitement des déchets ou de voirie. Cette instance sera présidée par un mohafez auquel on aura conféré les prérogatives du caïmacam ainsi que, pour éviter les empiètements, nombre de pouvoirs des ministères de l’Intérieur et des Municipalités.

E.K.
Le projet de décentralisation administrative élaboré par le ministre de l’Intérieur M. Michel Murr — pour répondre aux recommandations des accords de Taëf — est en butte actuellement à deux sortes d’attaques: certains tentent de le faire mettre en hibernation; d’autres d’y apporter de sensibles modifications...Dans les deux cas le but est d’éviter que le pouvoir...