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Actualités - REPORTAGE

La cour a entendu hier quatre témoins dans l'affaire du double attentat d'Antelias Les relations Murr-Geagea au coeur des débats (photos)

Samir Geagea et Michel Murr, ministre de la Défense en 1991 au moment du double attentat d’Antélias, avaient-ils des relations amicales? La question, longuement évoquée au Cours de l’audience d’hier devant la Cour de justice, n’a pas encore obtenu une réponse définitive. Pour la défense, l’amitié des deux hommes ne fait aucun doute, alors que, pour la partie civile, au contraire, il y aurait eu, à la fois, un conflit financier et politique entre les deux hommes. Mais la partie civile rappelle aussi que, selon l’acte d’accusation, le double attentat d’Antélias aurait eu pour objectif de bouleverser les données sur le terrain et de retarder le déploiement de l’armée au Kesrouan et à Jbeil... Si Me Karim Pakradouni, entendu hier parmi les témoins du Parquet, a précisé que, selon lui, la relation entre les deux hommes était «plus que tiède mais moins que chaleureuse», le député Roucheid el-Khazen, dont le témoignage à ce sujet pourrait être crucial, ne s’est pas présenté devant la Cour. Les trois autres témoins entendus hier — parmi lesquels l’enquêteur militaire, le lieutenant Edmond Abbas, passé depuis peu à la retraite, ce qui a permis à la Cour de l’interroger en présence des journalistes contrairement à l’année précédente, dans le cadre de l’affaire de l’attentat contre l’église de Zouk — n’ont pas fait d’importantes révélations. Une seule question de M. Geagea au lieutenant Abbas laisse toutefois deviner le nouveau plan de la défense qui souhaite prouver qu’il existerait un autre «Mano-Manolito» que l’inculpé actuel Manuel Younès. Enfin, au Cours de l’audience d’hier, il n’a plus été question de la piste menant au ministre Elie Hobeika, lancée mercredi dernier et reposant sur un vague coup de fil — dont la date n’avait pas été précisée — entre un proche de Hobeika et un ami auquel il demandait de ne pas se rendre à Beyrouth... Prochain rendez-vous mercredi 5 février pour l’audition des trois derniers témoins du Parquet.
Truffée d’anecdotes, l’audience est incontestablement l’une des plus détendues de ce procès. Est-ce parce que le principal inculpé, Samir Geagea, semble de plus en plus en forme, participant activement à l’interrogatoire des témoins, retrouvant toute son autorité pour parler avec ses anciens collaborateurs et souriant largement lorsque leurs réponses vont dans le sens de son innocence? Ou parce que le principal témoin entendu est Me Karim Pakradouni qui sait à merveille alléger les atmosphères les plus lourdes et évoquer les questions les plus délicates avec une sérénité pleine de bonhomie? Toujours est-il que, dans la salle du tribunal, ce jour-là, la différence entre les inculpés et l’assistance semble moins nette que d’habitude et Geagea a établi plus d’un dialogue silencieux avec les siens et même avec les journalistes...
Au début de l’audience, la défense présente sa liste de témoins, 12 pour les avocats de M. Geagea, parmi lesquels les ministres Boueiz et Dalloul, les anciens ministres Roger Dib et Albert Mansour, MM. Elias Michel Murr, Joseph Aboucharaf et le général Elie Hayeck et 5 pour les avocats de Manuel Younès, parmi lesquels le ministre Michel Murr, le commissaire du gouvernement près le tribunal militaire, M. Nasri Lahoud, et le capitaine Imad Kaakour.

«Le Piège»

Le vice-président du parti Kataëb est ensuite cité à la barre des témoins. La démarche dansante et le sourire en permanence aux lèvres, Me Pakradouni s’avance un livre à la main. Il s’agit d’un exemplaire de son ouvrage, «Le Piège», qu’il offre à la Cour, précisant qu’il y raconte, notamment dans le troisième chapitre, des détails qui pourraient intéresser les juges. Après avoir prêté serment, Me Pakradouni se montre, dans ses réponses, beaucoup plus évasif que lors de son audition par le juge d’instruction, M. Georges Ghantous. Et comme Me Fadia Hamed de la partie civile — qui a fait hier des interventions très judicieuses — le lui fait remarquer, Me Pakradouni répond: «Le juge d’instruction nous notifie la veille de notre convocation. Nous n’avons donc pas le temps de nous préparer, alors que nous apprenons notre convocation devant la Cour plusieurs jours à l’avance. J’ai donc pu me rafraîchir la mémoire. Et s’il y a une contradiction entre mes propos aujourd’hui et mes déclarations devant le juge instructeur, je vous prie de tenir compte de ce que je dis maintenant...»
Le vice-président du parti Kataëb évoque les détails de l’accord conclu le 15 janvier 1986, au moment de l’intifada de Samir Geagea, et destiné à permettre l’évacuation d’Elie Hobeika, Elias Murr et leurs compagnons. Pakradouni raconte ainsi que le 15 janvier 1986, Geagea lui demande de se rendre à Yarzé pour transmettre à Michel Murr ses propres exigences: il fallait que Hobeika signe sa démission du comité exécutif des FL (qu’il présidait) et remette à Geagea l’argent contenu dans la caisse nationale des FL (selon Me Youssef Germanos de la partie civile, cette caisse contenait la somme de 300 millions de L.L.). Selon le témoin, M. Murr — très inquiet sur le sort de son fils Elias —s’engage à garantir l’exécution des deux conditions. Et c’est sur cette base qu’est assurée l’évacuation de Hobeika et de ses compagnons.
«Mais, poursuit le témoin, ces deux conditions n’ont pas été exécutées». Ce qui rejoint la thèse de la partie civile qui estime que la non-exécution de ces deux conditions serait à l’origine du conflit entre Geagea et Murr et aurait poussé Geagea à ordonner la mainmise des FL sur les biens meubles et immeubles de Murr dans les régions est. Mais Me Pakradouni s’empresse de préciser, qu’à sa connaissance, il n’y a pas eu une mainmise des FL sur les biens de M. Murr, «seulement une partie du complexe Halate-sur-Mer a été utilisée pour abriter des officiers des FL».

«Mon problème
est avec
Amine Gemayel»

Me Germanos lui demande alors s’il est au Courant du fait que Geagea a voulu s’emparer de la Mercedes blindée neuve que venait d’acheter M. Murr, en contrepartie de la non-exécution de l’engagement mais que ce dernier a réussi à la transporter à Bteghrine discrètement. Me Pakradouni répond par la négative et raconte par contre qu’au lendemain de l’intifada du 15 janvier, il a rencontré Geagea et celui-ci lui aurait dit: «Plusieurs raisons m’ont poussé à accepter le départ de Hobeika, mais la principale est la présence d’Elias Murr avec lui». Geagea aurait ensuite demandé à Pakradouni de contacter Murr pour lui proposer sa protection s’il souhaite rester dans les régions est. Lorsque Pakradouni transmet ce message à M. Murr, celui-ci aurait répondu: «Mon problème est avec le président Amine Gemayel et non avec les FL». Geagea hoche longbation.
Mais Me Fadia Hamed demande au témoin pourquoi, dans ce cas, Michel Murr n’est pas rentré dans les régions est, après le départ de M. Gemayel en septembre 88. Selon Me Pakradouni, le ministre Murr n’en a pas vraiment eu le temps. «Il craignait d’abord le général Aoun, pendant la guerre dite de libération, puis pendant la guerre dite d’élimination, il craignait pour sa vie...»
Pour confirmer ses dires, le témoin précise qu’un an au moins après l’intifada précitée, Elias Murr effectue un séjour dans les régions est.
Toutefois, le vice-président du parti Kataëb et ancien vice-président des FL reconnaît que, le fait que Michel Murr n’ait pas tenu ses engagements, a marqué Geagea, qui le lui rappelat de temps en temps, au Cours de leurs entretiens. «Mais cela n’a pas affecté la relation entre les deux hommes, qui n’ont jamais rompu leurs contacts», ajoute-t-il.
Alors qu’il avait affirmé précédemment que Samir Geagea était le chef incontesté des FL et que c’est lui qui prenait les décisions, le témoin déclare à la Cour qu’il est en train de revoir cette théorie, notamment à la suite du verdict de la Cour dans l’affaire de Zouk, puisque la plus haute instance judiciaire du pays avait considéré que cet attentat était le fait d’une cellule au sein des FL qui avait agi sans avertir Samir Geagea. Mais selon les attendus du verdict de la Cour, la situation était bien différente: en 1994, les FL avaient été officiellement dissoutes depuis au moins deux ans, ce qui avait poussé certains éléments des FL, notamment du service de sécurité, à se chercher d’autres maîtres... Me Youssef Germanos lui demande à ce propos qui a nommé les chefs des services de sécurité des FL et le témoin répond que c’est Geagea lui-même qui l’a fait. «Dans ce cas, reprend Germanos, comment a-t-il pu nommer Ghassan Touma qui a été ensuite infiltré par les Israéliens?» Le président Khairallah rejette la question.

Saadé empruntait
le même chemin
que Murr

En réponse aux questions, Pakradouni se lance ensuite dans une analyse politique de la situation en 1991, estimant que l’assassinat du ministre de la Défense aurait affaibli les FL puisqu’il aurait poussé l’Etat à plus de fermeté et que, de toute façon, les FL en auraient été accusées puisque cela se passait dans les régions est. Selon le témoin, le ministre Murr n’avait d’ailleurs pas un poids politique suffisant pour influer sur la formation des gouvernements. «Son souci était alors d’être ministre, et non de peser sur la formation d’un gouvernement», déclare-t-il.
A une question de Geagea, Pakradouni répond, qu’à son avis, si Murr avait été tué, il aurait été remplacé au portefeuille de la Défense par Mohsen Dalloul, par Sami Khatib ou par Elie Hobeika. Ce qui aurait été pire, à ses yeux, pour les FL. Pakradouni précise ensuite que l’une des raisons pour lesquelles Geagea refusait de participer aux gouvernements était qu’il estimait avoir droit à une part de représentativité plus importante que celle de Elie Hobeika et de Sleiman Frangié au sein de ces gouvernements. A une question de Me Abou Tayeh (avocat de Manuel Younès), Pakradouni répond que le Dr Georges Saadé empruntait la même route que le ministre Murr et passait donc par le lieu où ont explosé les deux voitures les 21 et 29 mars 1991. Enfin Geagea lui demande son avis sur une déclaration d’un responsable des FL parue dans le «Diyar», le 19/3/91 (quelques jours avant le premier attentat) attaquant le ministre Murr et Pakradouni — qui avait quitté les FL à partir de l’été 1988 — répond que les FL n’avaient pas l’habitude d’utiliser un tel langage, au moins lorsqu’il s’y trouvait.
Pendant la pause, Sethrida Geagea révèlera que quelques mois après l’attentat d’Antélias, elle s’était rendue à Moukhtara, en réponse à une invitation du ministre Joumblatt et en tant que représentante de son mari, dans la voiture même du ministre Murr. Ce qui pourrait en dire long sur la relation entre les deux hommes après l’attentat.
Le second témoin, Rachid Daou, est un membre des FL, actuellement emprisonné à Roumié car il a été condamné dans l’affaire de l’assassinat du père Semaan Khoury à Achkout. Le jeune homme qui avait fait d’importantes révélations devant le juge d’instruction sur l’équipe chargée de piéger des voitures au sein des FL, prétend ne rien savoir devant la Cour. Selon lui, le juge aurait tout inventé avant de lui demander de signer. Pourtant, selon la partie civile et la défense, sa déposition devant le juge comporte peu de questions, comme si l’homme avait parlé spontanément.
Le troisième témoin est le lieutenant à la retraite Edmond Abbas. Membre de la police judiciaire et du service de renseignements de l’armée, il a effectué les interrogatoires préliminaires de Elie Jabbour et Fouad Ghosn. Le premier a bénéficié d’un non-lieu dans l’acte d’accusation alors que le second a été inculpé et il est actuellement en fuite. Le lieutenant qui avait été entendu l’an dernier dans le cadre de l’affaire de Zouk au cours d’une audience à huis clos, est aujourd’hui entendu publiquement. Il affirme que les deux personnes qu’il a interrogées n’ont été soumises à aucune pression et à aucune contrainte. Il ajoute que les interrogatoires se sont déroulés en l’absence d’un greffier car il a entendu les deux hommes à titre d’information et c’est lui-même qui a rédigé les procès-verbaux. Geagea lui pose alors une question très troublante. Il lui demande comment, dans un procès-verbal qu’il a lui-même établi et daté du 5/8/95, il déclare aux autorités qu’il ne sait rien d’un certain «Mano-Manolito», alors que Manuel Younès avait été arrêté à Yarzé le 10/7/95. Pour Geagea, ce seraient donc deux hommes différents... Mais si les autorités ne savaient pas que Manuel Younès n’était autre que le fameux «Mano-Manolito», pourquoi a-t-il été arrêté? Le président ne le laisse pas s’attarder sur ce point, pourtant crucial.
Le dernier témoin est membre du service d’anthropométrie de Jounieh. Il a effectué une inspection sur le lieu de l’attentat le 21/3/91 et a pris des photos et des empreintes. Mais à part le rapport qu’il a effectué à l’époque, il n’a presque rien à dire. Il se contente de confirmer que la voiture qui a explosé le 21 mars était une Mercedes 200, alors que Manuel Younès, après avoir parlé d’une Mercedes 200 devant le juge, a déclaré devant la Cour qu’il s’agissait d’une Mercedes 280.
C’est alors que Me Issam Karam revenant sur la déposition du témoin farfelu de l’audience précédente, Ghazar Ghazarian — qui avait déclaré devant la Cour qu’on lui avait montré des photos sur lesquelles il avait identifié la seconde voiture qui a explosé le 29 mars, une américaine beige et marron — demande que soient retouvées ces photos. «Car si, comme l’a dit le témoin précité, la voiture était gardée devant le mur du patriarcat arménien, elle aurait dû être endommagée lors de la première explosion. A moins que le Saint-Esprit ne l’ait épargnée...», ajoute Me Karam. Et le président Khaïrallah promet de faire de son mieux pour retrouver les photos.
Le brigadier Michel Rahbani ayant envoyé une excuse pour refuser la comparution de l’enquêteur militaire Jihad Khoury, la Cour décide de ne plus le convoquer. Par contre, comme le député Roucheid el-Khazen ne s’est pas présenté, elle décide de le convoquer une nouvelle fois mercredi prochain. Ce sera la dernière audience consacrée aux témoins du Parquet...

Scarlett HADDAD
Samir Geagea et Michel Murr, ministre de la Défense en 1991 au moment du double attentat d’Antélias, avaient-ils des relations amicales? La question, longuement évoquée au Cours de l’audience d’hier devant la Cour de justice, n’a pas encore obtenu une réponse définitive. Pour la défense, l’amitié des deux hommes ne fait aucun doute, alors que, pour la partie civile,...