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Actualités - ANALYSE

Le froid avec la Jordanie, l'ouverture en direction de l'Irak le Liban dans la politique des axes régionaux

Au-delà des messages lancés dans de multiples directions à travers les affaires des trois diplomates irakiens libérés et du directeur de l’hôtel Marriott, une nouvelle politique des axes semble se mettre en place au Proche-Orient. Une politique dans laquelle le Liban se trouve impliqué de facto de par l’étroite coordination entre sa diplomatie et celle de la Syrie.
La libération des trois diplomates impliqués dans l’assassinat à Beyrouth en avril 1994 de Taleb Souheil al-Tamimi, opposant à Saddam Hussein et titulaire d’un passeport jordanien, n’aurait peut-être pas soulevé autant de questions si elle n’avait été accompagnée de l’affaire Darrar el-Karmeh, le directeur du Marriott. Enlevé mystérieusement, le 3 janvier vraisemblablement par des agents des services de renseignements syriens, cet homme de 39 ans d’origine palestinienne n’a été libéré que trois semaines plus tard. Depuis, il se cantonne dans un silence de mort et refuse de répondre aux questions des journalistes. Deux incidents en moins de trois semaines, c’est trop de coïncidences pour ne pas attirer l’attention des observateurs.
Ces deux affaires ont provoqué une grave tension entre le Liban et la Jordanie. Aux vives protestations du chef du Cabinet du roi Hussein, Aoun el-Kassawneh, le Liban a vigoureusement répondu qu’il n’avait «de leçons à recevoir de personne en matière de justice». La Jordanie est d’autant plus concernée par la libération des trois diplomates que Taleb el-Tamimi, ancien dirigeant du «Conseil de l’Irak libre», était un proche du palais. Son clan, les Tamim, était connu pour soutenir la dynastie hachémite en Irak dans les années cinquante, une fidélité sans faille dont a hérité le dernier des rois hachémites, Hussein. Il est peut-être trop tôt pour envisager une rupture des relations diplomatiques entre le Liban et la Jordanie, mais d’ores et déjà, Amman projette de rappeler son ambassadeur à Beyrouth, M. Fakhri Abou Taleb, et Beyrouth va en faire de même.
L’affaire des trois diplomates ne s’arrête pas là. Mohammed Farès Kamal, Ali Sultan Darwiche et Hadi Hassoun Najm ont été expulsés vers l’Irak via la Syrie, ce qui constitue en soi un fait très significatif. En effet, les relations diplomatiques entre Damas et Bagdad sont rompues depuis 1980. Deux ans plus tard, les frontières entre les deux pays étaient hermétiquement fermées.

Redistribution des cartes

De source bien informée, on indique que les affaires des trois diplomates et du directeur du Marriott s’inscrivent dans le cadre d’un subtil jeu de redistribution des cartes et d’un réajustement des rapports de forces régionaux. En encourageant le Liban à libérer les trois ressortissants irakiens, Damas a voulu adresser des messages à l’Irak, à la Jordanie, à Israël et aux Etats-Unis. La direction syrienne a voulu faire un geste de bonne volonté en direction de Bagdad qui fait un retour discret et contrôlé sur les scènes arabes et internationales après un ostracisme qui a duré six ans. Evidemment, on est loin du rétablissement des relations entre les deux pays et la normalisation pourrait ne pas intervenir de sitôt. D’ailleurs, de source bien informée, on précise que les responsables syriens ont conseillé au Liban de ne pas renouer dans l’immédiat les relations diplomatiques qu’il avait rompues le 11 avril 1994 une semaine après l’assassinat de Taleb el-Tamimi.
Cependant, c’est à la Jordanie et à Israël que le message essentiel est adressé. Dans la délicate équation régionale, il y a une constante dans la politique syrienne: éviter à tout prix l’isolement pour ne pas se retrouver acculée à faire des concessions à l’Etat hébreu. L’attitude de Damas à l’égard des deux gendres dissidents de Saddam Hussein illustre parfaitement cette situation. Lorsque Hussein Kamel el-Majid et son frère Hakim ont trouvé refuge à Amman en août 1995, la Syrie a déployé d’immenses efforts pour empêcher le roi Hussein de récupérer la défection de ces deux éminents piliers du régime de Bagdad — qui ont été assassinés en février 1996 à leur retour en Irak. Contre toute attente, le président Hafez el-Assad a refusé d’accueillir les frères el-Majid en Syrie et s’est démené pour faire avorter toute tentative visant à faire de la Jordanie le berceau d’un mouvement d’opposition irakien efficace. «La Syrie appréhende plus que tout la chute du régime irakien et son remplacement par une équipe proche du royaume hachémite. Cela accentuerait son isolement sur la scène régionale», précise une personnalité libanaise qui entretient de bonnes relations avec la direction syrienne.
C’est dans cette même logique que s’inscrivent les affaires des diplomates et du directeur du Marriott. Le rôle joué par le roi Hussein dans la signature de l’accord sur Hébron a montré que les craintes des dirigeants syriens sont fondées. Un axe Jordanie-Israël-Palestiniens est en train de se former au détriment de la Syrie, voire de l’Egypte. C’est pour faire face à cette nouvelle équation que Damas brandit le spectre d’une amélioration de ses relations avec Bagdad. «Benjamin Netanyahu a une vision de la paix différente de celle des travaillistes, ajoute-t-on de même source. La paix globale qui l’oblige à rendre le Golan ne l’intéresse pas. Sa vision consiste à réaliser une paix partielle (avec la Jordanie et les Palestiniens) et, à travers ces deux parties, tenter de normaliser ses relations avec les Etats du Golfe. Ce projet s’accompagne d’un plan de déstabilisation de la Syrie et du Liban». Consciente de ce danger, la Syrie est passée à l’attaque en menaçant de rétablir ses relations avec l’Irak, pendant que le vice-président syrien, M. Abdel Halim Khaddam, et le ministre des Affaires étrangères, M. Farouk el-Chareh, font la tournée des pays du Golfe pour leur rappeler leur engagement à ne pas normaliser leurs relations avec l’Etat hébreu avant que ce dernier ne soit parvenu à un accord de paix avec la Syrie.

Haïfa v/s Beyrouth

Le Liban ne serait-il donc qu’un instrument de la diplomatie syrienne? Un pion dans ce jeu complexe d’équilibres régionaux qui semble le dépasser? «La mise en place d’un axe Jordanie-Israël-Palestine se fera sans doute au détriment du Liban», déclare la personnalité précitée. «Sur le plan économique, le port de Haïfa se substituera à celui de Beyrouth en tant que centre de transit régional. Si la normalisation entre l’Etat hébreu et les pays du Golfe s’effectue avant l’instauration de la paix globale, le Liban peut dire adieu à ses ambitions. Il ne sera plus la plate-forme économique et commerciale qu’il espère devenir au Proche-Orient, pas plus que le centre bancaire régional. Ce rôle lui sera ravi par Israël. Aussi, les dirigeants libanais appréhendent-ils, au moins autant que les Syriens, la mise en place de cet axe. Par ailleurs, Beyrouth a beaucoup à gagner d’un éventuel rétablissement de ses relations avec l’Irak. Ce pays constitue un débouché très important pour les marchandises libanaises et un centre de transit essentiel pour les produits destinés aux Etats du Golfe et qui arrivent au port de Beyrouth».
En plus de la polémique qui oppose le Liban et la Jordanie, des responsables libanais ont adressé dans les coulisses ces derniers temps de vives critiques au royaume hachémite. «Il ne faut pas oublier que Amman est responsable d’une partie des malheurs qui ont frappé le Liban ces trois dernières décennies, déclare-t-on de source judiciaire. Les organisations palestiniennes se sont implantées au Liban après avoir été chassées de Jordanie en 1970. Et il ne faut pas oublier le rôle joué par des agents jordaniens au début de la guerre pour creuser le fossé entre les Libanais...»
A défaut d’avoir une stratégie régionale bien définie, le Liban se contente d’exécuter celle de la Syrie. Et pour l’heure, sa diplomatie fonctione conformément au postulat-axiome suivant: les ennemis de mes amis sont mes ennemis...

Paul KHALIFEH
Au-delà des messages lancés dans de multiples directions à travers les affaires des trois diplomates irakiens libérés et du directeur de l’hôtel Marriott, une nouvelle politique des axes semble se mettre en place au Proche-Orient. Une politique dans laquelle le Liban se trouve impliqué de facto de par l’étroite coordination entre sa diplomatie et celle de la Syrie.La...